La lecture du pouce, une pratique d’éditeur

La « lecture du pouce » est une pratique de gens pressés. Très en vogue chez les bons comme chez les mauvais éditeurs, elle consiste à piocher au hasard, au sein d’un livre, singulièrement un roman, quelques phrases, pour se faire une idée, – souvent mauvaise, et donc inexacte, mais, hélas, pas toujours ! –, de l’ensemble du livre…
Nous aussi, comme tout lecteur, lorsque sonne l’heure de choisir un roman que nous aimerions lire, nous pratiquons la « lecture du pouce »… Compte tenu de l’abondance du choix, comment pourrions-nous y échapper ? (Cf. note ci-dessous : « Si par une nuit d’hiver un voyageur… »).
L’expérience aidant, nous sommes même passé maître en cette discipline. Voici, en quelques mots, notre méthode : d’abord, nous lisons les premières lignes de la première page du roman ; cinq lignes, cela peut parfois suffire pour que le couperet tombe : à la trappe !
Si cela ne nous suffit pas, nous lisons toute la première page, avec, avouons-le, circonspection sinon quelque méfiance. Fréquemment, en effet, cette première page – l’éditeur, ce tiroir-caisse, ce rusé dont viendrait tout le mal ? est passé par là – est beaucoup trop belle pour être honnête…
Si tel est le cas, désireux cependant de faire crédit à l’auteur, nous lisons ses cinq ou six premières pages. Dans neuf cas sur dix, cela suffit : à la trappe vous dis-je !
Comme, voyez-vous, nous avons une âme de pillard, que nous aimons le saccage, le couperet tombé, nous prenons ensuite un plaisir sadique à lire la dernière page de ce livre que nous ne lirons jamais… quoi de plus désolant, imaginez un peu une vie qui commencerait par sa fin ?
Le cap des premières pages est passé ? l’impétrant aurait franchi l’obstacle, vaincu notre mauvaise volonté évidente ? Que nenni !
Nous lisons alors quelques bouts de ses dialogues, s’il en existe, sachant d’expérience que pour nombre d’écrivains, ils leur sont une épreuve… Alors, ce dialogue, hein, ça n’avance guère, tu patauges, tu piétines ? les « dit-il », « rétorqua-t-il », « s’écria Robert », « ajouta Raymond » fleurissent ? les tirets s’accumulent, on ne sait plus qui cause ? ton rappeur, tu le fais parler comme un bobo du onzième ? A la trappe, au pilon ? Au pilon ! à la trappe !

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