En ce temps-là les champs étaient fermés et les maisons ouvertes.
Les vaches venaient nous voir à la barrière.
Elles marchaient d’un pas paisible ; des badauds, vous dis-je, arpentant les boulevards.
L’herbe était drue le cheveu rase.
Comme aujourd’hui.
A quoi rêvait-on alors ?
On ne rêvait pas.
Mais on priait le dimanche à la messe
Que cela s’achève
Vite
Pour aller au café
Si l’on était un homme
Pour aller chez le boucher
Si l’on était une femme
Ou s’éterniser au cimetière
A bavarder dans le vent froid
Ce qui est la moindre des choses
Quand on pense que la vie est éternelle
Et on a bien raison de le croire !
Sauf qu’il faut tout de même y passer
Sous la terre
Avant de ressusciter
D’entre les Morts
Allez, mille ans plus tard
Faut ce qu’il faut à la petite graine
Pour nous refaire son trafic
On mangeait du lard
En ce temps-là
On n’en faisait pas
La terre est basse et j’ai les reins crevés
Cause à l’arthrose de ma hanche petit
Et tu verras la vie
D’alors
Que j’ai eue
Pour t’avoir
Toi
Avec tes ficelles et ton canif
Tes yeux pensifs et ton sucig
Et tes robinets qui fuient
Et tes bobines à toupie
Oh ! mon joli cœur aux petites mains d’enfant meurtri
En ce temps-là c’était chacun son tour
Comme toujours
Pour aller au cabinet
D’aisance
Là, caché au fond de la cour
Derrière la basse-cour
Qui caquette
Tandis que toi tu pousses et tu
Sur ta planche de bois percée
D’une ronde ouverture
Pour aller à la selle
Parlons-en, tiens, de la cour
C’était la cour
Parce que c’était la cour
On savait bien que c’était la cour
Parce qu’on y passait
Dans la cour
Et que donc
C’était la cour où on passait
Et rien d’autre
Pas d’herbe ni de gravier
Mais quelques touffes éparses, certes
Allez risquons la métaphore
Foin de l’opaque et de la prétention
Dans la métaphore
Faisons-là transparente
La métaphore qui endort
Quelques touffes disais-je
Comme de petites bouses
De vache
Vrai vous appréciez ?
A sa valeur
Qui est juste
Car le compte est bon dans ce monde
Dont le compte est fait
Depuis longtemps
Par d’autres
Qui comptent aussi
Tout le temps
Qui reste nous est compté
« Moi je paie tout ! »
Disait-on en breton
Autrefois, dans ce temps dont je parle
Ça oui, tu paieras tout mon homme
Et la note sera belle et salée !
« Va t’en chier ! » avait dit ma grand-mère au gitan
Qui voulait lui vendre un panier d’osier
Qu’elle avait fabriqué
Même si c’était pas le même
Et qui insistait le pauvre
Petit vendeur condamné
Ah ! la Maryvonne elle avait su la vendre
Sa vache à mon grand-père
L’autre, du côté du père
Il suffisait d’y penser
A mélanger le lait de Ruzenn avec celui de la Blanchette
Dans le seau
Tiens François-Marie : regarde son lait !
Gast, leun eo !
Il est beau hein son lait François-Marie ?
Gast oui ! et elle en a fait !
Sourire pensif de la Kerouanton Mary
Et marché conclu François-Marie !
Naïf que tu es François-Marie
Tu ne sais donc pas que ton fils
Epousera ma fille ?
Qu’ils iront à Paris
Me faire un doux petit
Ecrivain
Avec son sucig
Allons bon
Finissons-en
Y’a pu d’papier ma mère !
Paris, La grange aux belles, mars 2003
Je viens de relire « Fils de Ploucs », tome 1, de Jean Rohou, et je retrouve dans ce texte la vérité de notre temps pas si lointain.
Nous n’avons pas oublié, il fait doux de s’en souvenir. Pour garder les pieds ancrés dans notre histoire et la tête au repos. Nous n’avons pas rêvé notre vie d’alors… c’était çà !
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Bonjour,
Merci pour votre commentaire (pour l’anecdote, sachez que Jean Rohou et moi-même sommes nés dans le même village !).
Bien cordialement.
Joël.
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Le printemps des poètes… temps fort de l’écriture ; du soi à l’autre, un chemin de mots pour s’ouvrir aux différences, aux interrogations
d’univers que l’on se doit d’explorer, sous peine de se priver des richesses culturelles d’autres pays, d’autres continents, même si la planète est aussi petite que précieuse aujourd’hui…
Au printemps, on ouvre sa maison, et, émerveillés, nous pouvons alors identifier l’intemporalité, l’universalité, la force de tous les mouvements de la nature. Mais humblement, comme pour la remercier de ce cadeau ; imitons cette inclinaison en écoutant avec attention la musique de l’autre, avec le coeur plutôt qu’avec la tête…
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Joël. Je viens de relire « En ce temps-là » sur le blog. Je revendique ce texte qui me parle très fort avec les réminiscences d’un temps où j’allais à la campagne l’été. Petit paysan, je menais un petit troupeau sur la route « goudronnée », faisant attendre les premiers touristes en voiture (à Lanfeust au Conquet). Le roi n’était pas mon cousin. Merci ! Je vais continuer à découvrir ce blog très attrayant. A bientôt !
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bonne et jolie idée , dommage qu elle soit traitée en niveau cm2
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