Primo Levi : Si c’est un homme

C’est peu après la fin de la seconde guerre mondiale, en 1947, que Primo Levi écrivit « Si c’est un homme ». Dans ce livre bouleversant, Primo Levi raconte sa vie de déporté dans le camp d’extermination d’Auschwitz. Beaucoup se sont demandés si ce livre de Primo Levi était à placer, ou non, dans le champ de la « littérature » ?

Primo Levi se considérait comme un écrivain, et pas seulement comme un témoin. Par conséquent, la question que nous nous posons, pour lui n’en était pas une. Malgré tout, il ne fut jamais vraiment accepté comme tel par ses pairs ; les qualités « littéraires » de son œuvre seraient-elles en cause ? ou ce rejet est-il à mettre, plutôt, sur le compte de la peur de devoir compter avec un homme en marge de la littérature « ordinaire », où la fiction règne en divine maîtresse ; un homme à part, en raison de ce qu’il avait eu à affronter, à subir dans le camp d’Auschwitz, et à quoi il avait néanmoins survécu ?

Si c’est un homme est écrit avec une sobriété de moyens exemplaire ; « écriture blanche » dit-on parfois, pour qualifier ces écritures qui, en réalité, la plupart du temps, affectent une froideur, et une rigueur de façade pour mieux émouvoir le lecteur, arme rhétorique donc, et donc « littérature », au plus mauvais sens du terme… ce qui, naturellement, n’est pas le cas ici.

Au fond, c’est peut-être cette raison-là qui fait que Primo Levi ne fut pas reconnu comme il aurait dû l’être : en écrivant Si c’est un homme, Primo Levi ne se met pas, en quelque sorte, « au service » de la littérature ; il ne lui fait pas acte « d’allégeance ». Au contraire, il se sert d’elle, la littérature, à des fins différentes, qui relèvent de l’innommable et de l’indicible – innommable pourtant ici nommé et indicible qui est dit –, et qui ne dépendent plus de la fiction, fût-elle d’inspiration autobiographique.

Deux aspects de la vie de Primo Levi militent, peut-être, en faveur d’une telle interprétation : d’abord, le fait que l’auteur ait pris soin de publier ses autres œuvres, de fiction celles-là, sous un pseudonyme, ce qui montre bien que dans son esprit Si c’est un homme était un livre hors normes ; son désir ensuite de traduire Kafka est également révélateur.

A cet égard, Le château, Le procès, sont eux aussi des livres bouleversants, maladroits par certains aspects, ou si l’on préfère, – peu « littéraires », au sens où nous l’entendions plus haut, le plus mauvais.

Kafka, en effet, abuse parfois des adverbes, son style n’est guère imagé, le rythme de son écriture est assez souvent ennuyeux, etc. Et pourtant, il se dégage une force et une vérité de l’œuvre de cet écrivain, qui sont sans guère d’équivalent dans la littérature, si ce n’est peut-être, justement, par exemple, dans le livre de Primo Levi.

Le « dernier mot » aurait pu revenir à Maurice Blanchot, dans le remarquable ouvrage qu’il consacre à Kafka (De Kafka à Kafka, collection idées, Gallimard), qui rassemble en fait une suite d’études que Maurice Blanchot consacra à Kafka ; or, Primo Levi n’y est jamais évoqué, même dans l’ultime article que Blanchot écrit en 1968.

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