Christian Boltanski : sa confession dictée

 

« Quelque cinquante œuvres rythmant le parcours de Christian Boltanski, cette ample traversée de l’œuvre d’une des plus grandes figures de la création de notre temps permet d’en mesurer l’ampleur et l’ambition marquées par son histoire et un demi-siècle de méditations sur la fonction et la parole de l’artiste dans nos sociétés. »
Jusqu’au 16 mars 2020, au Centre Georges Pompidou, rétrospective Christian Boltanski.

…………………….

Voir ci-dessous l’article que j’ai consacré au livre d’entretiens de Christian Boltanski avec Catherine Grenier, paru en 2007.

Christian Boltanski, Catherine Grenier, La vie possible de Christian Boltanski, Fiction & Cie, Éditions du Seuil, novembre 2007

 

Vient de paraître, aux éditions du Seuil, un livre qui fera date dans l’histoire de la peinture. Il s’agit de : « La vie possible de Christian Boltanski ». Ce livre a été « écrit oralement » par Christian Boltanski, et « mis en forme de la façon la plus littérale possible » par Catherine Grenier (1), à partir de longues séances d’entretiens enregistrées.

Qu’est-ce que l’art ? Et qu’est-ce qu’un artiste ? A ces questions, comme telles par trop brutales, chaque phrase du livre de Christian Boltanski apporte néanmoins une réponse à la fois claire, simple, et pertinente. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent, semble nous suggérer Christian Boltanski.

Ce qui se passe, et qui court telle une musique douce partout dans ce livre, c’est la vie, la vie seule de l’artiste Christian Boltanski, avec l’ennui parfois, le quotidien que rien n’enchante, hormis l’œuvre à inventer, à fabriquer, voire même à « bricoler », car l’émotion venant « d’un côté un peu bricolé, mal fait » (page 233), il convient donc « que ce soit home made ».

Ce qui se passe, ce sont les hommes, « avec le côté douteux de mélanger les victimes et les bourreaux, de tout égaliser » écrit-il (page 196, à propos de Menshlich, œuvre qu’il qualifie de déterminante). Ce qui importe, c’est un « regard aimant ». Car [et c’est nous qui opérons le raccourci] : « la lumière peut disparaître tout d’un coup » (page 230). Ce qui est affreux, nous dit encore Boltanski « c’est d’avoir le pouvoir sur l’autre, et il est aussi affreux d’avoir le pouvoir de sauver que de tuer, c’est presque la même chose ».

Nous évoquions, il y a peu (Voir notre article du 21 mars 2008), « Si c’est un homme », ce livre bouleversant dans lequel Primo Levi nous raconte sa vie dans le camp d’extermination d’Auschwitz. Nous serions tenté de dire que, dans le vocabulaire artistique de Christian Boltanski, chrétien, mais juif également comme l’était l’écrivain Primo Levi, le titre de ce livre, à la lumière de Menshlich deviendrait alors : « Si, c’est un homme »…

Mais, pour mieux comprendre l’enjeu crucial de ce livre, remontons un peu le cours du temps.

Dans un texte d’une rare violence, paru en 1997, intitulé Le complot de l’art (2), le sociologue Jean Baudrillard dénonçait, dans l’art contemporain, – pris dans sa globalité –, un art dit : « de la nullité ».

Jean Baudrillard écrivait notamment ceci : « L’art jouant de sa propre disparition et de celle de son objet, c’était encore un grand œuvre. Mais l’art jouant à se recycler indéfiniment en faisant main basse sur la réalité ? Or la majeure partie de l’art contemporain (c’est nous qui soulignons) s’emploie exactement à cela : à s’approprier la banalité, le déchet, la médiocrité comme valeur et comme idéologie… Toute la duplicité de l’art contemporain est là : revendiquer la nullité, l’insignifiance, le non-sens, viser la nullité alors qu’on est déjà nul. Viser le non-sens alors qu’on est déjà insignifiant. Prétendre à la superficialité en des termes superficiels. ».

Ce texte polémique de Jean Baudrillard fut interprété, à tort, par beaucoup comme une déclaration de guerre à l’art contemporain, singulièrement dans son expression aujourd’hui la plus répandue : l’installation.

Or, pour peu qu’on le lise attentivement, on s’aperçoit que c’est tout le contraire. Ce texte, en réalité, doit être lu comme un plaidoyer visant à le défendre, à le protéger contre « les faussaires de la nullité », au premier rang desquels figurent, bien entendu, certains marchands, plus épris de spéculation que de création, et donc plus préoccupés de multiplier les artistes que de les défendre…

Jean Baudrillard, en effet, écrit encore : « Or la nullité est une qualité secrète qui ne saurait être revendiquée par n’importe qui. L’insignifiance – la vraie, le défi, le défi victorieux au sens, le dénuement du sens, l’art de la disparition du sens – est une qualité exceptionnelle de quelques œuvres rares, et qui n’y prétendent jamais. Il y a une forme initiatique du Rien, … ».

C’est ici, ici seulement, que nous retrouvons le « petit Christian » comme il se qualifie lui-même dans son livre, cher à notre cœur…

Pour nous, le grand œuvre de Christian Boltanski possède, en effet, cette « qualité secrète » dont parle Jean Baudrillard, cette qualité auquel l’artiste Boltanski ne prétend jamais, comme en témoigne son livre, et qui fait de cet art, l’une des plus belles, des plus fortes, des plus émouvantes expressions de l’art d’aujourd’hui, – une « forme initiatique du rien ».

(1) Catherine Grenier est conservatrice de musée, et directrice des nouveaux espaces d’exposition du Centre Georges Pompidou, à Paris.
(2) Jean Baudrillard, Le complot de l’art, article paru dans Libération, 20 mai 1996, paru ensuite chez Sens & Tonka, éditeurs, collection Morsure, 1997.

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