Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature

Vous l’aurez remarqué vous aussi : depuis quelques lustres, il ne se passait plus une année (oui, disons une bonne année), sans que vous comme moi je suppose, nous lisions dans la presse, ou nous entendions ici ou là, avec agacement en ce qui nous concerne.
Nous entendions et nous lisions disais-je, – que le mythe du « grand écrivain » serait mort, mort et enterré. Pour toujours. Pour la simple raison que de grands écrivains, il n’y en aurait plus.
C’était bon du temps de Malraux, Aragon et Sartre (pourquoi pas Montherlant aussi d’ailleurs ?). Mais aujourd’hui, hélas, plus question de « grantécrivain » ; le moule à rêve est cassé, vieille lune que tout cela, vestige, vertige du passé, etc.
La rumeur du monde, la cacophonie, le clinquant, la confusion, la bêtise médiatiques, – notez, je vous prie, le « s » à médiatiques – auraient pris la place, toute la place du mythe. C’est définitif. Et c’est préférable.
Tout ce qui est ou se produit, tout ce qui paraît, au royaume des apparences, doit pouvoir être vendu, surtout si le choix a été fait parce que c’est mauvais, et que si c’est mauvais, très mauvais même, nécessairement ça nous ressemble, donc c’est très bon, et ça se vendra d’autant mieux ; quand bien même ça ne se vendrait plus, et depuis peu, d’ailleurs, ça ne se vend plus !
Serait-ce la médiocrité – ou l’inertie – qui mène ainsi le monde ?
Litanie desséchante. Scie qui n’a rien de musicale. Considérations de gros, et de petits marchands ; discours de mauvais critiques, ou de faux spécialistes, qui en oublient l’essentiel, ou voudraient pouvoir le cacher : l’enthousiasme, la confiance, la ferveur des lecteurs. Que rien n’arrête, que rien n’arrêtera jamais. Depuis que la littérature existe.

Cet enthousiasme justifié, cette confiance placée comme il le faut, cette ferveur intacte et ardente ont un prix. Hier (les mots, parfois, ont plusieurs sens…), ce prix a été décerné à Jean-Marie Gustave Le Clézio.
Il se trouve que le romancier Le Clézio est un grand écrivain de langue française. C’est la loi : celle de la gloire littéraire. Cette loi, ce sont les lecteurs qui l’édictent. Les marchands n’y peuvent rien, s’ils peuvent en profiter…
Si l’homme séduit, l’écrivain Le Clézio enchante.
Et nous, espérons-le du moins, par la grâce de ce juste prix Nobel, nous allons pouvoir respirer plus à l’aise pendant quelques jours…
Exit désormais l’amer Houellebecq et le morne BHL. Exit également tous les autres otages consentants de cette « rentrée ». Pour un peu, nous les plaindrions !

L’auto ronronnait, la route défilait : à l’intérieur, nous étions silencieux tous les quatre ; la fatigue du voyage, le plein des souvenirs, et aussi, la voix monocorde mais fascinante, à la radio, de Jean-Marie Gustave Le Clézio…
Nous rentrions de Vassivière , c’était en juin ? Je me rappelle cette voix ; elle est gravée ; je l’entends encore, je l’entends jusque dans les livres de cet homme de la rupture, comme l’ont qualifié si justement les Nobel, en lui décernant son prix.
Le Clézio, cet homme pourtant peu avare de confidences, nous disait ce jour-là qu’il souffrait d’acouphènes, depuis de nombreuses années. Louis Ferdinand Céline, faisait-il remarquer – à moins que ce soit nous qui l’ajoutons aujourd’hui, trompé par notre mémoire ? – aurait souffert, lui aussi, d’acouphènes… La souffrance, ou plutôt une souffrance, comme prix du talent, comme élément de ce prix peut-être ?

J’ai découvert Jean-Marie Gustave Le Clézio par la lecture du Procès-verbal, prix Renaudot de je ne sais plus trop quelle année. J’avais, moi lecteur, à peu près l’âge de l’auteur lorsqu’il écrivit le livre. Il y a plus de trente ans de cela. Je ne mentirai pas : de ce livre, qui m’a marqué, je ne me rappelle que deux choses. Le début du livre : le héros du roman, Adam Polo, un jeune homme, arrive dans une villa abandonnée, sur les hauteurs de Nice peut-être ? Dans la villa, un seul occupant, un rat, d’une taille impressionnante, gras et monstrueux ; Adam tue le rat. Dans mon souvenir, il le tue en lui écrasant la tête avec une boule de billard, mais peut-être aussi qu’il le piétine… La fin du livre : Adam est arrêté, interné dans un hôpital psychiatrique ? Il raconte, il raconte longtemps. Moi lecteur, je suis ému, transporté. « L’émotion dans le langage parlé » avait dit Céline ; ici, l’émotion lié au ton incomparable de Le Clézio. Une voix, la littérature c’est du bruit, le bruit de la langue… C’est Le Clézio qui parle. Quoi d’autre ?

Par la suite, quel âge puis-je avoir ? vingt-cinq, vingt-huit ans peut-être ? je lis Les Géants. A nouveau, la magie Le Clézio opère. Les premières pages sont inoubliables. Ce qui se dit, là ? J’ai tout oublié, je sais que j’ai été marqué par ces pages, c’est tout. Cette émotion ressentie, je la ressens encore aujourd’hui, j’en ai conservé la mémoire ; exacte, sensible, et fidèle ; les mots, le sens de ce qui se disait-là, quant à eux, se sont enfuis… Du bruit. Le Clézio a raison.

Le Clézio, par la suite, – où, et quand ? – confiera qu’il a pu croire, qu’il a voulu croire, à une époque, à une autre forme de magie, la magie des mégalopoles, et peut-être même à leur poésie. Plus récemment, à la télévision, dans un documentaire, il nous raconte encore cette possible magie des grandes villes ; en aparté, comme un rêve désormais improbable, et vain. Voix émouvante encore ; homme en marche ; landes, rochers ; la mer, et le ciel et le cri lancinant des oiseaux ; heure de petite écoute, mais de grand prodige, tranquillité d’une voix chaude et grave, presque clandestine : bruit, littérature, vous dis-je… Saurez-vous l’entendre ?
Il nous faudra rompre, certes. Comme lui. Et d’ailleurs, c’est la sortie ; la fin du simulacre est arrivée. Fin de la partie, fin de partie, coup de sifflet final, fin donnée, enfin sifflée ; venue du seul endroit d’où cela pouvait venir, des bourses de toutes les grandes villes de tous les pays… « Nous attendrons les désagrégations soudaines… », écrivit encore Jean Baudrillard, nous étions en mai de 1968.

Nous lûmes ensuite beaucoup d’autres livres de Le Clézio. Et puis, après Le chercheur d’or, plus rien ; je n’ai plus rien lu de lui… Avais-je mûri, vieilli ? M’étais-je « desséché » moi aussi ?

Hier, en l’écoutant commenter son prix Nobel, une phrase, toute petite, a retenu mon attention. En la disant du bout des lèvres, Le Clézio semblait déjà la regretter, comme si elle lui avait échappée, comme s’il s’était trahi : Ce prix, les prix, littéraires s’entend, étai(ent) là pour (lui) redonner le goût d’écrire…
Cette lassitude, cette perte du goût d’écrire, ce pas vers le vide, nous l’avions perçu chez lui, en effet : lassitude légitime, – tout donner, c’est l’honneur, le génie, et le privilège des grands.

6 commentaires sur “Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature

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  1. Sans courir, m’en aller acheter un de ses livres… « Désert » ou bien ? Non, « Désert » ça sera bien…
    Sans courir disais-je, parce que je n’irai pas à la rencontre de « MrLePrix » mais à celle de « MrL’Homme ».
    Cependant, je l’avoue… C’est le Prix qui m’a fait me souvenir de l’Homme…
    Mais, j’irai sans courir, chercher un bouquin de celui qui ne se précipite pas, qui se repose sans se poser, qui a su faire de son errance une quête…
    Merci Joël pour ta note, plus qu’intéressante.
    Bonne journée !

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  2. Cet homme au regard bleu a cherché l’or. Celui des mots et des émotions. Il a foulé le désert. Il a du, en grattant sa terre, sa plume, y laisser quelques ongles et des éclats de rage. Mais l’or était à ce prix. Pour en recueilllir une pincée de paillettes au creux de la paume, l’aiguillon de la quête, et de la sueur, des chaussures, car il faut aussi marcher, et un crayon. Georges Perros aurait pu dire de Le Clézio ce qu’il a dit pour lui-même : « prendre l’air était (m)son métier ». Prendre l’air est le seul métier possible pour ceux qui ne savent rien faire. Sinon écrire. monique F.

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  3. Merci Joël !

    Pour ce témoignage. J’avais déjà découvert l’univers de ce Jean là à travers Lullaby (superbement illustré par Georges Lemoine) et l’envoutant « chercheur d’or ». Puis j’ai eu la chance d’assister à une de ses conférences à la fac Ségalen en janvier 1996 avant d’aller retrouver sa trace dans le vieux Nice qui m’inspira ces quelques lignes :

    Emportant dans son nom
    Un air d’enclos breton
    Il revient au vieux Nice
    Où les oublis s’immiscent
    Dans les bruits de vaisselle
    Jusqu’à la Place-Vieille
    Il parcourt les ruelles
    D’une enfance au soleil
    Par delà le marché
    Et ses parfums d’été
    Enfin lui apparaît
    Le rivage outre-mer
    Quelques morceaux de verre
    Perdus dans les galets

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  4. un excellent article Joël qui rend hommage à celui qui est un peu breton; pour moi c’est un prix mérité; j’ai beaucoup lu ses ouvrages et avant qu’il n’obtienne le prix nobel, je venais justement de me plonger dans « la ritournelle de la faim »

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  5. Oui Obama mérite tous les encouragements pour tourner enfin la page d’une Amérique arrogante, mais qui ne cesse de nous fasciner par ses contradictions mêmes… Merci Joël pour ce blog, que je consulte souvent. Et vive la littérature, les livres, qui sont les meilleurs des amis.
    EJ

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