« J’affirme que le monde n’est que l’association des coquins contre les gens de bien, des plus vils contre les plus nobles »,
Giacomo Leopardi, Pensées, Editions Allia, Paris, 1992.
« – C’est un brave type, dit Slim. Y’a pas besoin d’avoir de la cervelle pour être un brave type. Des fois, il me semble que c’est même le contraire. Prends un type qu’est vraiment malin, c’est bien rare qu’il soit un bon gars. »,
John Steinbeck, Des souris et des hommes, Gallimard, Folio, page 82.
Notre époque est friande de superlatifs, car louer fait vendre, quand bien même la louange serait injustifiée ou excessive. Les livres n’échappent pas à cette règle d’or du commerce. Une maigre consolation existe cependant : vous aussi n’est-ce pas, vous avez vraisemblablement remarqué qu’à force de s’agglutiner dans les colonnes de nos journaux, tous ces dithyrambes, au demeurant vrais ou faux, finissent par s’annuler entre eux ? Mais fort heureusement, parfois, la louange est le strict reflet de la vérité, et nous en avons aussitôt la prescience.
Aussi, lorsque, sous la plume de Bertrand Schefer, son éditeur en français, nous lûmes, à propos du Zibaldone de Giacomo Leopardi (1798-1837), ces quelques mots de présentation de l’ouvrage : « Une œuvre absolument unique, quasi monstrueuse, sans équivalent dans la littérature universelle », allez comprendre pourquoi – nous sûmes aussitôt que c’était vrai…
Monstrueux, en effet, que ce Zibaldone di pensieri ! de plus de 2000 pages. Imprimé, comme il se doit, sur un beau et fin papier bible, avec signet à l’ancienne (joli ruban de tissu rouge par conséquent) ; et couverture cartonnée à l’appui.
Nous ruant chez Colette – cette bonne et célèbre librairie, ô combien parisienne –, nous l’achetâmes avec enthousiasme, ce Zibaldone, dès sa sortie en 2003.
Le terme « Zibaldone » est intraduisible, prévient Bertrand Schefer ; sa traduction la plus approchante serait « mélange ». Et, en effet, c’est bien de « mélanges », à la fois littéraires et philosophiques, et aussi d’un immense « journal intellectuel » dont il s’agit ici, visant à « totaliser infiniment l’expérience » comme le souligne son traducteur et annotateur (Bertrand Schefer, La Chambre noire de l’esprit, XIII).
Bien entendu, en dépit des index, remarquables de précision (probablement ceux de l’auteur lui-même), qui l’accompagnent et en facilitent l’accès, il est probable que nous ne lirons jamais en entier cette œuvre monumentale.
Pour autant, s’il est un livre qui se prête bien à ce : « Lire comme picorent les poules, en levant la tête de temps en temps, pour méditer » que nous recommandait autrefois Jacques Foyer, notre éminent professeur, – c’est bien lui, cet extraordinaire Zibaldone !
Mais à vrai dire, ce n’est pas seulement de lui, de ce Zibaldone, dont nous voulions vous entretenir aujourd’hui. Il existe, en effet, un tout petit livre du même auteur, intitulé sobrement : « Pensées ».
Petit livre dont le contenu, pour l’essentiel, est fait d’emprunts à l’autre, le plus gros. Petit livre par la dimension, en ce qu’il tient en une centaine de pages imprimées, – cent onze pensées en tout le composent – mais petit livre dont l’enseignement est primordial.
Nous donnerions tous les livres sacrés pour ce livre-là, et c’est à peine si nous exagérons !
Peu de livres ont suffisamment de mérite pour être mis entre toutes les mains, singulièrement celles des jeunes, dont la soif de connaissance et d’expérience n’a d’égale qu’une propension à l’étancher avec tout ce qui leur tombe sous les yeux ; et la jeunesse n’a pas d’âge vous le savez bien ! Or, parmi ce « tout ce qui leur (nous, vous) tombe sous les yeux », il serait bon, utile, voire même indispensable, que figurent les Pensées de notre Giacomo…
Pourquoi ce petit livre est-il donc d’une telle importance, me direz-vous ? Eh bien, tout simplement parce qu’il nous offre ni plus ni moins que les clés de la vie en société. Votre œil noircit, vous froncez le sourcil, vos lèvres prennent un mauvais pli ? sceptique, perplexe ? incrédule ? tout ce qu’il convient de savoir pour vivre heureux – mieux, en homme averti – en société, serait rassemblé là ? Cela tiendrait donc dans ces cent onze pensées ? mais vous plaisantez, cher ami !
A quoi nous nous contentons de répondre : « Lisez-le, et vous verrez bien… », manière aussi de le garder pour nous, et pour ce petit nombre (ceux que ce billet excite déjà, et qui liront !), le trésor des cent onze pensées de Leopardi…
Ce trésor est grand. Il fut écrit au dix-huitième siècle, sur une période de quinze ans, par cet italien mort à l’âge de trente neuf ans. Il a fallu plus de cent ans à la France pour le traduire dans notre langue… Comme le souligne d’emblée Bertrand Schefer (La chambre noire de l’esprit, VII) : « Il faudra bien expliquer un jour ce persistant silence »…
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