Pour Thomas, que je remercie.
L’autre jour, j’étais à Douarnenez, le pays de Georges Perros. Vous connaissez Douarnenez ? Non ? Vous devriez. Vous devriez aussi lire Georges Perros. Georges Perros est un poète, et un grand ; un très grand peut-être ?
Qu’est-ce que c’est, un « grand » poète, me direz-vous ? La réponse, je la trouve chez un autre grand poète : Fernando Pessoa ; dans Le livre de l’Intranquillité, plus précisément. Mais pour la trouver, il faudrait que je la retrouve… Or, j’ai eu beau feuilleter, fureter ces jours-ci un peu partout parmi ces pages inoubliables, je ne la retrouve pas, ma réponse fatale : noyée dans les feuilles.
Je dirais donc, de mémoire, que notre très grand portugais inconnu de son vivant, distinguait trois sortes de poètes.
Les deux premières sortes de poètes sont des sortes, où, grosso modo, l’impétrant écrit ce qu’on lui demande, ce qu’il pense que l’on attend de lui, ou ce qu’il pense qu’il faut écrire. Mais la troisième sorte – et, bien sûr, la plus digne d’intérêt, et qui fait que l’on s’y retrouve – est formée des poètes, peu nombreux (la peur oblige), qui écrivent ce qu’ils ont envie d’écrire, sans le moindre égard pour quiconque ; comprenez : sans le désir de plaire, ou de déplaire ; et bien plus : sans le moindre désir d’être lu.
Digression : Henri Michaux : « À quoi bon avoir beaucoup de lecteurs ? En avoir peu est toujours préférable… Même si vous n’avez qu’un seul lecteur, mais un vrai, cela suffit. Et cet unique lecteur, à la limite, ce peut être tout simplement vous-même. » [1]. Voilà qui est on ne peut plus clair, n’est-ce pas ? Où faut-il vous dessiner un mouton ?
Ne pas transiger, en somme. Ne pas rechercher l’approbation d’autrui, aussi. Ne pas la rejeter non plus, naturellement : mais s’en défaire pour ne pas avoir à s’en dépêtrer ; et tout de suite !
Georges Perros, nous explique-t-on à Douarnenez ce jour-là, venait ici, dans cette petite maison basse, agrippée à la falaise comme une bernique à son rocher, pour écrire. Cela, après être allé chercher ses enfants à l’école, que nous supposons communale pour la beauté de la chose, et les avoir ramenés à la maison, en l’espèce, une hache aile aime…
Sacré Georges ! Je le soupçonne, voyez-vous, de venir se réfugier dans sa petite maison de granit au toit bleu d’ardoise épaisse, pour donner à boire à ses volets clos ! Car la légende, qui n’en serait pas une, prétend, effectivement…, que les volets de la jolie petite maison de Georges, étaient toujours clos. Dormez, bonnes gens, Georges se recueille pour vous, il médite ! Avec lui, la terre tourne, au moins !
La maison du poète – appelons-là ainsi, pour l’amour de Georges – est donc située sur la falaise. Falaise n’est peut-être pas d’ailleurs le mot qui conviendrait le mieux, car, dans mon esprit, une falaise c’est de la vraie hauteur, de la pierre de partout, couverte d’un maigrelet lichen, avec d’autres petites pierres un peu partout sur cette pierre, une bribe de lande parfois, deux trois bouts de jaune ici, ou là, et rien d’autre ; du monument.
Or, la falaise où a poussé la maison de Georges n’est pas bien haute, et c’est une grande verdure, en veux-tu en voilà, du vert, dans toute la gamme, Pissarro n’aurait rien pu faire, et surtout aujourd’hui, nom de Dieu, jour de printemps arrosé, de soleil et de pluie, et de bleu à pouvoir en mourir !
Ne point trop s’exclamer, lit-on dans les manuels de bonne littérature ! Le point d’exclamation reviendrait à la mode, lit-on aussi, ici ou là, dans la bonne presse !
Georges rit derrière ses volets : il fait comme il veut ; et les murs l’approuvent.
La maison ne tourne pas le dos à la mer ; elle ne tourne pas non plus le dos à la terre : elle les regarde de travers. Elle préfère l’ailleurs, la maison – fermez donc les volets : on étouffe ici !
Il faut avouer que tout ce vert, et tous ces bois alentour, – ah ! de la ramure et du pigeon ! – et aussi les petits vallons légers comme des ballons rouges… et les autres petites maisons, et les ruisselets, et les fleurs, dont on ne sait même pas les noms, et les fontaines glissées sous les herbes, sans compter les sentiers étroits et les murets de pierre et le chant des petits oiseaux et cette belle ruine romaine, qui sent bon la sardine, odeur venue en masse, du fond des siècles !… Quelle belle journée, Georges ! qu’attends-tu pour ouvrir tes volets, nom de Dieu ! Qu’on y vienne, nous, à ta sainte table : écrivons !
Douarnenez, c’est un port de pêche, et c’est une baie ; une vraie baie, pas comme à Audierne, à ce qu’il paraît. Et c’est vrai que, lorsque je la regarde, la baie de Douarnenez, de ce petit sentier côtier du Port Rhû, où le poète venait se nicher dans sa maison avec tous ses outils, je vois bien que c’est une baie, tellement c’est grand comme un poète, et bleu à n’en plus finir, avec des choses blanches comme de l’écume et des nuages peut-être, « Ce fin profil de fil de fer amer, si délicatement délavé, par les gouttes de soleil, les larmes de rosée, les embruns de la mer… » ; tu vois, Georges… Pierre Reverdy, tu le connais bien, n’est-ce pas ? c’est du grand aussi, et du bien loin maintenant… Ah ! tout cela… Nous sommes nombreux : voilà la bonne nouvelle, Georges ; pour finir, nous sommes très nombreux, ils peuvent bien mal se tenir, – nous serons toujours là pour veiller sur eux.
[1] Lokenath Bhattacharya, version française de F.-A. Jamme, Dernière rencontre, Attentions à Michaux, textes réunis par Pierre Vilar, Didier Devillez éditeur, Bruxelles, 1995, page 46).
merci pour cet hommage à Perros.un tres grand.
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Ecrit d’un coup…de vent de nuit provençaleà l’instant pour vous cher Joël
Votre texte – poétique ? – figurera dans mon anthologie portative
Il est peuplé de mes lecteurs quotidiens les plus attentifs…
PERROS – faux désinvolte – qui, quelque part – comme on disait pour s’amuser à son époque -, a répondu à sa manière, à votre question:
» Les poètes n’existent pas. Je n’en ai jamais rencontré. »
Je vais en reprenant sa lecture – je l’ai abandonnée de puis quelques jours sur je ne sais quel sentier de douanier- prolonger votre appel devant ses volets verts – le vert des volets d’Antibes, chantés par Nougaro devant la maison de Jacques Audiberti
PESSOA – son nom, comme vous le savez, est Personne –
Il est fatigué de ma présence, tant je l’ai réécris, pillé, recopié…
( Qu’est-ce qu’un grand poète? Celui qui ne voulant emmerder personne, laisse son oeuvre peuplée d’Hétéronymes – ses imaginaires Héros Anonymes – dans une grande malle – le baül, la caixa, la caisse de notre dernier grand voyage…)
» Emportez-moi dans une grande caravelle » ajoutait
MICHAUX…
Bon bâtisseur de villes en loques et bon compagnon de l’heure présente – 4H14mn en bas à droite de l’ordi –
Façon d’endormi Façon d’éveillé…
Pierre REVERDY , quant à votre thème Joël, que je n’oublie pas
» Sur quoi pourrait s’appuyer un auteur sans succès pour croire que son oeuvre vaut quelque chose ?
Et sur quoi peut s’appuyer un auteur à succès pour croire que la sienne vaudra toujours quelque chose ? »
ou bien
» Le rêve du poète, c’est l’immense filet aux mailles innombrables qui drague sans espoir les eaux profondes à la recherche d’un problématique trésor. »
( le trémail où luisait le loup solitaire ? du vieux Léo )
ou encore
» La poésie qui n’est que l’amour de la poésie, ce n’est que du contre-plaqué »
Et enfin, dans la cohorte de « l’immense minorité » comme les appelait joliment Juan Ramon Jimenez ( le créateur du petit âne Platero ), j’ajouterai, s’il vous plaît, le poète Jean TARDIEU, pour le moins…
et pour mes chers vivants – et bien vivants –
mes amis Gaston Puel et Jacqueline Saint Jean…
( demain dès l’aube ou peut-être à midi , j’ajouterai quelques liens sur tout cela…que nous habitons, c’est-à-dire aussi que nous quittons…avec le temps)
» En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte,
on ne crée que l’oeuvre dont on se détache,
on n’obtient la durée qu’n détruisant le temps. »
disait le terrible CHAR, quand il actionnait son marteau sans maître…( mais ceci est une autre histoire)
JEAN JACQUES DORIO
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Merci, Jean-Jacques, pour ce beau et chaleureux commentaire.
Jean Tardieu dites-vous, notamment ? Chaque année, en février ou mars si ma mémoire est bonne, Françoise Dax, qui fut l’égérie de Jean Tardieu vers la fin de sa vie, rassemble dans une même communion poétique, tous ses amis à l’occasion d’une fête donnée dans un théâtre, jamais le même. Elle s’est jurée qu’elle honorerait ainsi sa mémoire aussi loin qu’elle le pourrait… Je ne sais plus trop qui a dit qu’il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour…
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Comme promis et pour « l’Amour Délivre » quelques poèmes inspirés de Perros, Michaux, Pessoa…etc
( uniquement publiés sur mon blog « poésie mode d’emploi »
mais qui j’espère rencontreront bientôt les pages d’un recueil )
JJ DORIO
…Mais être aimé par une petite lingère, que ni le Bien ni le Mal, ni le Libre Arbitre, ni la Révolution n’empêchent de dormir et de travailler, c’est le voeu…
Georges Perros
http://dorio.blog.lemonde.fr/2007/05/14/pour-lamour-des-petites-lingeres/
Henri MICHAUX
« le grand secret le grand combat
paix dans les brisements »
http://dorio.blog.lemonde.fr/2009/01/10/le-grand-secret/
PESSOA
« Pour un homme, comme moi, qui n’agit pas, l’occasion est le chant de l’absence des sirènes. »
Fernando PESSOA ( Livro do Desassossego)
http://dorio.blog.lemonde.fr/2006/09/06/2006_09_la_giginha/
REVERDY
« Il suffirait de rien
Mais rien ne suffira »
http://dorio.blog.lemonde.fr/2006/02/03/2006_02_reverdy/
TARDIEU
» UNE VOIX SANS PERSONNE »
http://dorio.blog.lemonde.fr/2006/02/13/2006_02_monsieur_jean/
Gaston PUEL
» Le soir, c’était le soir, la douceur du soir,
on n’en savait rien dire de plus,
on n’en sait pas davantage aujourd’hui…*
http://dorio.blog.lemonde.fr/2009/04/30/le-soir-cetait-le-soir/
Jacqueline Saint-Jean ( née à Saint-Gelven Côtes d’Armor)
» sur toute surface (où)
creusant ses encoches
on reste ce guetteur »
http://dorio.blog.lemonde.fr/2006/12/10/le-don-des-poemes/
PRENEZ VOTRE TEMPS
LE TEMPS AINSI VOUS DÉPRENDRA
» Il faut que les mots nous laissent, nous poussent à pénétrer seuls dans le pays, qu’ils soient pourvus de cet écho antérieur qui fait occuper au poème toute la place sans se soucier de la vie et de la mort du temps, ni de ce réel dont il est la roue, la roue disponible et traversière ».
René CHAR
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Georges Perros est une page arrachée à mon livre préféré. Mais puisque tu me dis, Joël, qu’il rit derrière ses volets, me voici un peu moins triste. Encore que je l’imagine plus volontiers, le George, fouler les chemins verts, nez au vent dominant. Car, prendre l’air était (son) métier »… Merci pour ce texte. On ne parlera jamais assez des meilleurs. Monique.
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