La solitude du blogueur de fond

« J’attends ton article ! » m’avait-elle lancé, joyeuse ; je vois d’ici son sourire amusé, j’entends d’ici son rire.
« J’attends ton article ! », façon plaisante de me dire : « Remets-toi au travail… ».
Vous connaissez la solitude du blogueur de fond ?
Que chaque article soit une sorte de vrai petit chef-d’œuvre : voilà ce qu’il aime, qu’il veut.
Notre homme est un petit naïf, doublé d’un grand maniaque ; et un perfectionniste ; un illusionniste sans plus d’illusions ; les encule les mouches, certes ; sodomite de diptères, bien entendu ; logorrhée à tous les stades et délire assuré ! eau dans le gaz et court-circuit ! style, danse et chanson ; explose donc encore, joli flot de mercure, lisse et fou… Le pauvre homme brille et casse comme un orvet.
Petit chef-d’œuvre réussi ? parfois ; médiocre ou raté ? cela arrive… Mais petit chef-d’œuvre tout de même… dans l’intention, indubitablement.
Imaginez la solitude du blogueur de fond… Listons ensemble : Inspiration qui bat la campagne (la breloque ?) ; paresse visqueuse, type « ça adhère » ; sujet grand bateau ; imagination en berne ; procrastination à tous les étages, point et virgule après « étages » « ; » voilà, c’est fait, ça gagne du signe et ça ne mange pas de pain…
Tancez-le bien, il s’y mettra, votre blogueur de fond ?
Elle l’a fait, il s’y est pas mis, son blogueur de fond !
Et pourtant, ce matin, je m’étais dit : « Une petite nouvelle un peu drôle, et pas trop mal ficelée, voilà qui plairait bien… oui, oui, c’est ça qu’il me faut pour boucler mon année scolaire, je peux le faire… Je vais te le faire… ».
Et tout avait merveilleusement si bien commencé, visez-le plutôt :
« Bernadette Baussirot, c’est mon nom. Je suis vierge comme les abysses, et mon cœur est pur comme la mort. Enfin, ça y’est, le train entre en gare, à une allure de tortillard – j’arrive à Paris ! De Landerneau que je viens, Bécassine que je suis. D’ailleurs, j’y suis née à Landerneau, et j’aimerais tant y mourir aussi. A la gare Montparnasse, il n’y a pas de proxynète à m’attendre. Les clichés s’effacent, les photos aussi, les traditions s’oublient, la bêtise règne, la littérature demeure.
Après un point, faut-il mettre la majuscule au guillemet qui suit ?
Vous ne connaissez pas : « proxynète » ? tournez la page à très grande vitesse, elle n’est pas écrite pour vous. Ou bien demandez à Romain Gary.
Donc moi, la petite bretonne, à Paris, gare Montparnasse, sur le quai, avec, par-dessus ma très jolie tête, ce tout petit carré de ciel bleu si mal fichu, parmi la bonne odeur de poussière brûlée de Paris ; qu’on pourrait croire de café ; rapport à la chaleur de malheur, et à l’air caniculaire, qui me tapaient très durs sur la cafetière à mon arrivée…
Je ne comprends pas ta ponctuation, m’a-t-elle dit ; Moi non plus. ai-je répondu ;
Oui, juste un coin de ciel, que j’apercevais au-dessus du quai, en descendant les marches du train à grande vitesse. Avec ça, j’y insiste – la chaleur de malheur, collante comme un glaire ; l’air caniculaire, et mortifère, début d’été pourri, pouah, Paris quoi !
Jolie je le suis, c’est vrai, avec ma robe légère, mes talons dorés et mes jambes nues. Et mes seins qui battent la campagne (à moins que ce ne soit la breloque ?), dans mon corsage, tout doucement, sans faire de bruit, ah mais qu’ils battent ceux-ci ! mes petits seins bien sages reniflant l’azur, la jeunesse, quoi, hein ! ».
Mais c’était pas le tout : qu’allait-elle donc y faire en plein Paris, ma bretonne, la Baussirot, s’il n’y avait plus de proxynète pour la cueillir ? Alors voilà, cette pauvre forme m’a filé entre les doigts, telle une couleuvre, gracile et lasse, dans l’herbe grasse d’un pré… T’es qu’une triste caricature, Bernadette ; point de chair ni de sang, pas ta faute, celle à ma très grande paresse… Bien, laissons faire ta nature, me suis-je dit, et courons à la plage…
Au diable la Baussirot Bernadette ! Soleil, plage, et jolies filles ; ou jolis garçons ! comme tu veux vous dis-je ! Et à l’année prochaine mes bons lecteurs ; soyez fidèles, j’ai besoin de vous…

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