Frédéric BEIGBEDER, Un roman français, prix Renaudot 2009

Une grande et belle page toute entière de publicité pour « Un roman français », soudain apparue dans notre bien aimé journal Le Monde daté du samedi 7 novembre –  la page 5. Alors l’envie pressante d’y aller voir – c’est le but recherché – nous prit.

Que voit-on dans cette page ?

D’abord, au centre de cette page, il y a le dessin de la couverture du « roman français ».

On y voit le visage angélique d’un jeune enfant, dont on peut supposer qu’il est le portrait de l’auteur lui-même. Qu’il le soit ou non importe peu, n’est-ce pas ? Ce portrait, c’est pour faire tendre et joli à la fois, et c’est attendrissant. Ce doux visage d’enfant ne figure pas, en réalité, sur la vraie couverture, celle du roman mis en vente, mais cela aussi importe peu, c’est la magie de la publicité, c’est bientôt Noël, rien de grave à ce qu’elle se déploie. Il se pourrait aussi que l’on veuille nous faire entendre que l’auteur est resté un grand enfant, un éternel ado, victime du syndrome de Peter pan comme il l’avoue lui-même. Ce serait d’autant plus attendrissant.

Ensuite, il y a le nom de l’auteur : Beigbeder donc ; une fois n’est pas coutume, ce nom est marqué deux fois, une fois à l’horizontale, une autre fois à la verticale, la première fois en lettres capitales noires, la deuxième fois en bas de casse, mais en gros et d’une couleur différente, du gris, un beau gris ma foi, pour nous rouler dans la farine.

Sous la couverture, en très très gros caractères rouge tomate, il y a marqué, noblesse oblige : PRIX RENAUDOT.

Tout en bas, en rouge aussi – est-ce subliminal, Grasset et Renaudot même combat ? –, et sur fond blanc, le nom de l’éditeur : Grasset.

Pour agrémenter l’ensemble, de courtes citations, extraites d’articles parus dans la grande et bonne presse, et signés des critiques littéraires les plus en vus. Il y a en tout 24 courtes citations, toutes élogieuses c’est la règle. Elles vont du laconique « splendide » de François Julien dans VSD, au bien plus subtil « A 43 ans, le romancier signe un livre plein de grâce et d’allure : une jeunesse très française qui fait davantage penser aux films de Truffaut qu’aux romans de Bret Easton Ellis. » de Olivia de Lamberterie dans Elle ; ringard, le Beigbeder, belle Olivia ?

Il y aussi le « Tout simplement sublime. » un peu bonasse de Anne-Sylvie Sprenger dans Le Matin Dimanche, et le bien trop audacieux « Beigbeder vous dépiaute la psyché jusqu’à l’os. » de Joseph Macé-Scaron dans Marianne. Mais il est probable que lui aussi se moque sans avoir l’air d’y toucher. Etc. 24 en tout.

Nous avons eu la curiosité de lire la plupart des articles en question, en l’occurrence ceux que notre bon vieux moteur Google met sans vergogne à notre disposition. Dans l’ensemble, la critique est bonne et honnête, je veux dire par là que les extraits cités dans cette publicité reflètent le ton général des articles eux-mêmes. Ton élogieux donc. Derrière l’éloge vendeur, le message nous paraît être le suivant : Frédéric Beigbeder a progressé, il ne se cache plus derrière ses personnages tel un dindon qui ferait l’autruche, il parle de lui avec sincérité et glousse beaucoup moins qu’avant ; c’est plutôt émouvant, c’est fluide, donc ça se lit bien, donc c’est bien écrit, donc ça va plaire, et ça plait, par conséquent ça va se vendre, et d’ailleurs – ça s’est déjà très bien vendu.

Et c’est très bien ainsi.

Dès lors, on connaît la chanson : la Critique, dithyrambique, excessive, est de connivence. C’est normal, c’est même juste, ça ne peut pas être autrement, et au passage tant pis pour Jean-Philippe Toussaint qui méritait certainement le prix. En 32 Céline méritait le Goncourt, il eut le Renaudot ; en 2009, Toussaint méritait le Renaudot, il a le Décembre. L’Histoire se répète à moins qu’elle ne bégaie, même si Toussaint n’est pas non plus Céline, et que l’Histoire est une vue de l’esprit.

Mais en réalité, la Critique est avisée, prudente, et même plutôt bonne fille. Pourquoi irait-elle scier la branche sur laquelle tout le monde est assis ? Le roman est une marchandise fragile, un domaine économique menacé ; il n’est pas sûr que la marchandise franchisse le cap du numérique ; à trop agiter le hochet de la « littérature bafouée » comme certains critiques font avec allégresse, on risque de casser le marché… Il y a un mot pour exprimer cet esprit de clan, cet état de fait ; il appartient à Jean Baudrillard, c’est le mot simulacre. Cela fait des lustres que le simulacre fonctionne, ici aussi, dans l’édition, petite merveille d’hypocrisie, de lâcheté, de cynisme, d’âpreté au gain, et parfois, c’est selon, de bassesse, petite merveille d’humanité souffrante : c’est très bien ainsi. Continuons de sabler le champagne, de boire du whisky bien tassé, et n’oubliez pas le petit rail de coke et les boîtes de Ceresta.

Frédéric Beigbeder se déclare très heureux de succéder à Céline sur la liste des primés. De Louis Ferdinand Céline, prix Renaudot 1932, à Frédéric Beigbeder, prix Renaudot 2009, le raccourci, il est vrai, est saisissant ! Beigbeder ne se compare pas à Céline, le croire serait lui faire injure. Dans cette perspective, à noter que le meilleur livre de Beigbeder, ce n’est pas ce « roman français », ni ceux qui l’ont précédé, le meilleur livre de Beigbeder, c’est ce livre où il parle avec chaleur des 100 livres qu’il a lus et qui l’ont marqué, consacrant à chacun une page ou deux, toutes originales, toutes bien faites, et très pertinentes. Comment peut-on parler aussi bien des livres des autres, et rater les siens ? C’est un mystère. Car Un roman français est un roman plutôt raté, écrit par un auteur qui se considère lui-même comme un raté… Il y a là un autre mystère.

Suffit-il de maîtriser la langue, d’avoir beaucoup et bien lu, et les bons auteurs, d’avoir beaucoup d’acheteurs sinon de lecteurs, pour être un grand romancier ? C’est une question.

Ou faut-il autre chose, qui ne s’acquiert pas seulement en lisant et en écrivant, un don peut-être ? un héritage matériel, et spirituel ? quelque chose dont moi-même, je l’avoue, je ne sais pas grand-chose… un cœur léger bien plus qu’un cœur tendre ? un esprit serein, un caractère trempé ? une intelligence anormale ? une vive sensibilité ? un vrai tourment, une fureur de vivre, une grande passion ? une belle maîtrise et une longue patience ? un orgueil, une humilité, du détachement doublé d’une véritable audace ? le sens de l’autre, le goût effréné de la perfection, l’envie de vivre ? que sais-je, moi ? une capacité de travail inoxydable, une foi inébranlable ? Savoir imaginer la réalité, y compris la sienne, sous ses mille facettes : et si au fond tout était là ?

Chacun monte au front avec ses propres armes. Ce front-là n’a rien à voir avec celui que nos pères et nos grands-pères ont vécu : écrire n’est pas faire la guerre. Et la littérature ne vaut pas la peine que l’on se rende malade à cause d’elle ; faire semblant devrait pouvoir suffire, n’est-ce pas Frédéric ?

Je me suis donc plongé dans la lecture de ce roman français. Dont l’argument est mince : l’histoire d’un homme, qui se veut, et qui est, un enfant gâté, dont les parents ont divorcé, et qui cherche à nous faire comprendre que deux nuits de garde à vue – crasse et promiscuité, misère en un mot – l’ont convaincu de faire son examen de conscience, et de nous raconter sa vie ensuite.

L’auteur cherche aussi, c’est la règle du jeu d’écrire, à conquérir son lecteur et à le garder : bons sentiments, apitoiement (qu’il nous dit avoir hérité de sa mère), sincérité réelle ou simulée, défilent ainsi sous nos yeux à vive et bonne allure. Le rythme y est et ça se lit bien, c’est déjà ça ; une écriture comme un vin gouleyant, voire insipide, manquant de caractère en somme. Pour sortir de là, il faudrait déjà accepter de se voir comme on est. La lucidité ? ah, surtout pas ! car alors il conviendrait d’en rabattre. Et l’auteur, y veut pas, il a envie d’être un grand romancier, lui aussi ; ego, tu es là ?

L’auteur Frédéric Beigbeder semble ne croire ni à son talent d’écrivain ni à ce qu’il écrit ; pour ce livre-là, il a bien raison. Car la lecture d’un roman français est déprimante. L’auteur pleurniche, tandis que l’écrivain rechigne à se mettre au travail, il se contente de ses pirouettes habituelles, et de quelques trouvailles d’écriture (vers la fin, un inventaire de ce qu’il a hérité de sa maman et de son papa, par exemple ; vers le début, un poème aussi, pas très bon). Ce n’est pas grave, le lecteur moyen n’a rien lu, il en veut très peu, il aime ça. Envoyez la marchandise, par ici la monnaie ! La crise du roman dites-vous ? allons donc, la vente continue.

5 commentaires sur “Frédéric BEIGBEDER, Un roman français, prix Renaudot 2009

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  1. Très belle critique. Je l’ai lu aussi (suis contente d’avoir un CE qui m’empêche de mettre 20 euros dans de la daube).
    J’y ai vu de gros amalgames qui frisent le ridicule. Un romancier qui n’en est pas un, un egoproseur qui se la pète sous des airs de mea culpa.
    Allez, passons à autre chose. N’empêche, j’ai hâte de voir ce que peuvent en dire Jourdes ou Naulleau.

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  2. Le roman évoqué et bien d’autres qui excitent les journalistes qui ne connaissent rien à la longue histoire cyclique littéraire, ne fera pas dévier d’un pouce les programmes, pourtant aléatoires, de mes lectures… Il est vrai que je perds mon temps essentiellement dans un genre disparu qui devient même hors champ de la glose rageuse et éclairée de Joël Bécam : ça s’appelle la poésie vivante qui a momentanément disparu des critiques… du Monde dit littéraire daté du vendredi, par exemple.

    LES SIMULACRES DU TEMPS

    Cette rue comme dit Borges je ne l’emprunterai plus

    ainsi que cette nuit ne passerai plus

    Et la porte de ma maison d’enfance

    que nécessité me força à bazarder

    Mais j’abandonne la convocation des souvenirs

    et l’exténuement des mémentos

    J’ouvre la fenêtre et laisse entrer quelques instants

    la fraîcheur d’une première nuit quasi de primevère

    Laissant au vieil érudit le goût des versets de l’Ecclésiaste

    et de ses répétitions labyrinthiques

    de ce qui fut fait une fois pour toutes

    Un poème nouveau m’attend

    dans la discontinuité essentielle

    celle qui hante le temps

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  3. Très bon! C’est une critique fine, qui met bien en lumière les absurdités du petit monde littéraire, sans « casser » l’auteur de manière trop cynique et brutale, très réussi.

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  4. Quand j’ai reçu ton courriel, le début du message m’a fortement intrigué car je ne suis pas du tout attiré par l’écriture de ce Monsieur B. Il y a quelques années, certains disaient que les particules de Houllebecq étaient un « non événement littéraire ». Je me faisais un peu la même idée des écrits de Monsieurs B, notamment après avoir souffert à la lecture de Easton Ellis. Les « non événements » m’ennuient. Pensées. H

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  5. C’est le premier livre que je lis de lui, je l’ai trouvé à la médiathèque…Comme j’avais une très mauvaise opinion de lui (simples préjugés alimentés par des rumeurs) j’ai trouvé le livre mieux que l’idée que j’avais de l’auteur..Votre critique est assez juste cependant mais par trop excessive..Il m’a semblé qu’il était sincère et c’est pourquoi je suis plus indulgente ..Mais quand même lui décerner un prix, c’est aussi excessif !

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