« Meilleur c’est, plus ça ne se vendra pas
Et moins on va en parler »
Vu d’ici, par les temps qui courent, il semblerait que la littérature, que l’enseignement de la littérature, que la recherche universitaire en littérature… souffrissent d’un très haut mal.
Or, une fois n’est pas coutume, celui-ci nous est expliqué, décortiqué, dénoncé par un membre du clan, agrégé qui plus est, inattaquable par conséquent ; une sorte d’intouchable à rebours ou de discriminé négatif, un agrégé professeur à l’Université, donc détenteur d’une parcelle de l’autorité suprême, celle qui, il n’y a pas si longtemps encore, faisait que « c’était bon » ou que « c’était mauvais », avant que le chiffre d’affaires ne vînt tuer tous nos bons critères d’autrefois !
Mais quel est donc ce gros chagrin, cet étrange blues, qui pousse ainsi un membre éminent du clan à scier la branche sur laquelle il s’était assis confortablement au départ, après avoir sué le sang pour passer son « agreg » ?
Et lorsque je dis « scier », le mot est faible, c’est plutôt de « massacre à la tronçonneuse » dont il s’agit ici ! Jugez-en :
« Le livre ne vaut que s’il mérite d’être brûlé » (pauvre de nous, on n’est pas près de faire du feu !),
Florence Balique, De la séduction littéraire, collection L’interrogation philosophique, 2009, P.U.F., page 12.
« Oui, la littérature attend un nouveau style après La Fontaine, Proust et Céline, mais qui pourrait encore le déceler à l’ère ou le neutre l’emporte, décrété valeur monnayable, où l’édition même est moins affaire d’avis d’écrivain que de chiffres de vente »,
op. cit., page 14.
« Comme il faut du social, il faut du culturel, entendons par là tout et n’importe quoi »,
page 17.
« C’est précisément (…) contre vous [que j’écris], messieurs les » cerveaux à bourrelets » qui savez très bien de quoi je parle, de votre imposture, de votre étalage culturel dénué de sens, de votre prétention à un savoir que vous ne maîtrisez pas mais que vous utilisez comme pouvoir pour asservir, pour abêtir même, si vous le pouvez, de votre cynisme qui nuit à l’enjeu démocratique par affirmation de privilèges linguistiques illégitimes, car avec vos mots mal sonnants vous n’attrapez que du vent, mais vous confisquez cette culture vivante qui ne vous appartient d’aucun droit », page 19.
« Quant aux élites elles se condamnent elles-mêmes, enfermées dans leur tour d’ivoire nous dit-on, » la Faculté, c’est une armoire bien fermée. Des pots en masse, peu de confiture » »,
page 21.
« … autre fléau, celui-là nettement plus ancien, qui discrédite la majeure partie d’une élite ronronnante, se confortant dans ses thèses vétustes, craignant les innovations du savoir comme la peste, se sentant menacée dès qu’un esprit s’aventure avec audace sur une terre qu’elle juge sienne, chasse gardée de son confort intellectuel poussiéreux. Ce second mal s’appuie comme le premier sur l’usage éhonté d’un jargon incompréhensible, arme brandie contre toute invasion extérieure qui menacerait d’effriter l’ivoire de la tour »,
page 21.
Pareille diatribe me rappelle — à chacun ses favoris — ces paroles, de fiel et d’acide, du sociologue Jean Baudrillard, à propos de l’art contemporain :
« Ça prétend être nul : « Je suis nul ! Je suis nul ! » Et c’est vraiment nul ! » (Le complot de l’art, Libération, 20 mai 1996). Eh bien, si nous transposions cette saillie à la littérature, immanquablement, nous dirions : « Ça prétend être intelligent, mais non seulement c’est vraiment nul, — mais c’est même archi nul ! »
Littérature. Morne plaine ?
Puisons encore aux mêmes sources fraîches de notre bon pape Jean :
« L’art contemporain joue de cette incertitude, de l’impossibilité d’un jugement de valeur esthétique fondé, et spécule sur la culpabilité de ceux qui n’y comprennent rien, ou qui n’ont pas compris qu’il n’y avait rien à comprendre ». Ici, il vous suffit de remplacer les mots « art contemporain » par ceux de « recherche universitaire en littérature », et vous aurez grosso modo le bon et même diagnostic !
Recherche universitaire en littérature. Attrape-couillons ?
Il existerait donc encore des professeurs de Lettres qui aiment lire, et lire avec vergogne ? Tout d’abord par goût, pour leur plaisir, et avec passion de surcroît. Et ensuite, — ensuite seulement —, lire en vue d’une recherche, pour peut-être l’approfondir, ou vérifier, nourrir la réflexion qu’elle sous-tend ?
Pour combien d’autres, moins professeurs peut-être ? qui lisent en diagonale — c’est-à-dire de travers — avec dans l’idée et pour seul but de se servir au passage, vite fait mal fait, pour agrémenter leur réflexion ?
Pour combien de pseudo chercheurs qui ne font que paraphraser ou compiler ? piquant ici ou là de quoi cacher leur maigre imagination, magnifier leur paresse, glorifier leur vide intérieur ?
Cela étant, vous chercherez en vain les articles de la grande et bonne presse consacrés au livre de Florence Balique. Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien ou presque. Signalons toutefois l’article de Joseph Macé-Scaron, directeur de la rédaction du Magazine littéraire, qu’il faut saluer. « On ne s’étonnera pas », nous dit-il « du peu d’écho rencontré dans une presse paresseuse. Et on se consolera en pensant que c’est le propre des brûlots de passer de main en main. ».
Un brûlot, ça se dévore ? moi je l’ai fait.
Vous ne trouverez rien ou presque non plus sur le web. Si, tout de même, une petite note, sur Fabula.org, insérée comme on lancerait un os à ronger à quelque jeune chien aboyeur, jugé cependant inoffensif ; un simple copier/coller donc, de la note de l’éditeur à propos du livre de Florence Balique… Mais qui se réfère à Fabula.org, en dehors de quelques lointains spécialistes de cette recherche littéraire en vase clos, entre soi et soi ?
très bon livre je vous le recommande
J’aimeJ’aime