Noël approche et, bien entendu, vous ne savez toujours pas quoi lui offrir ! Il se trouve qu’il ou elle aime lire ; de la littérature, de la vraie, de la belle et bonne. Pourquoi ne pas lui offrir un petit coffret de votre invention ? composé, par exemple, de quelques livres de poche puisés dans le meilleur de la littérature italienne contemporaine ?
Petit coffret de 3 ou de 6. Selon vos moyens, fonction de son appétit.
Inutile de vous embarrasser d’une boîte en carton, ou d’acheter un papier cadeau tout fait mal fait, moche à plaisir, couleurs à vomir, et motifs de « m » comme maçon ! Faites comme moi : arrachez une jolie couverture colorée-glacée du Monde Magazine pour m’emballer tout ça, avec un chouette ruban ! soyez attentif à bien la choisir, à bien la plier à l’endroit idoine, de sorte qu’un motif original, vraiment sympa, apparaisse sur la première de votre couverture…
Pour un coffret de trois, je vous suggère : Italo Calvino, Le baron perché ; Dino Buzzati, Un amour ; Antonio Tabucchi, Pereira prétend. Avec ces trois-là, vous êtes assuré de le la ravir, vous jouez sur du velours !
Le baron perché, c’est l’histoire d’un baron, jeune, qui de rage un beau matin, s’enfuit dans les arbres ; toute une vie dans les arbres, sans jamais toucher le sol… n’empêche, de là-haut il tombe amoureux ! comme quoi il ne faut jamais désespérer d’un homme : si entêté qu’il paraisse, il finira toujours par tomber amoureux – d’une autre, au besoin !
Un amour – ai-je la berlue ? –, c’est l’histoire d’un vieux monsieur, italien jusqu’au bout de ses chaussures, qui tombe amoureux lui aussi ; d’une jeune écervelée Vénus de carrefour. Il devine, il sent, il sait qu’il va se faire boulotter, d’ailleurs elle le boulotte, et comme il adore ça !
Pereira prétend raconte l’histoire d’un homme ordinaire, un journaliste en l’occurrence, qui finira par devenir un homme tout court ; lisez !
Pour un coffret de six, aux trois précédents vous ajouterez :
Si par une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino ; attention chef-d’oeuvre ! donc, lecture un brin plus ardue, mais aussi plus gratifiante.
Le désert des tartares, bien sûr, de Dino Buzzati ; mais vous pouvez aussi lui préférer ses nouvelles inquiètes (mais surtout pas le K ! vous risqueriez fort de le ou la décevoir).
Les oiseaux de Fra Angelico, de Antonio Tabucchi, ou mieux encore et paru récemment, du même, Le temps vieillit vite, des nouvelles également ; dont voici de courts extraits.
Florilège
Antonio Tabucchi, Le temps vieillit vite, 2009, traduit de l’italien par Bernard Comment, collection folio, Gallimard.
« ; il y a des hommes comme ton père qui par profession construisent des maisons et des hommes de mon métier qui détruisent les maisons, et l’affaire suit ainsi son cours depuis des siècles, certains construisent les maisons et d’autres les détruisent, construire, détruire, construire, détruire, c’est un peu ennuyeux, tu ne trouves pas ? »
Antonio Tabucchi, Le temps vieillit vite, Nuages, page 70
« – Le Coca-Cola et le McDonald’s n’ont jamais conduit personne à Auschwitz, dans ces camps d’extermination dont on t’aura parlé à l’école, tandis que les idéaux oui, tu y avais jamais pensé, Isabèl ?
– Mais c’était des nazis, objecta Isabella, des gens horribles.
– Parfaitement d’accord, dit l’homme, les nazis étaient des gens vraiment horribles, mais eux aussi avaient un idéal et faisaient la guerre pour l’imposer, de notre point de vue c’était un idéal pervers, mais pas du leur, ils avaient une grande foi en cet idéal, il faut faire attention aux idéaux, qu’en dis-tu Isabèl ?
– Il faut que j’y pense, répondit la fillette, »…
Le temps vieillit vite, Nuages, page 72
« – Néphélomancie, répondit l’homme, c’est un mot grec, nephelê veut dire nuage, et mancie signifie deviner, la néphélomancie est l’art de deviner le futur en observant les nuages, ou mieux, la forme des nuages, » (…) « Et de la même façon qu’ils se sont formés ils se dissolvent, et c’est à cet instant précis qu’un vrai néphélomancien doit exercer son art, pour comprendre ce que prédit la forme de tel ou tel nuage avant que le vent ne le dissolve, avant qu’il ne se transforme en air transparent et ne devienne ciel. »
Le temps vieillit vite, Nuages, page 84
« Je crois avoir compris une chose, que les histoires sont toujours plus grandes que nous, elles nous sont arrivées et nous en fûmes inconsciemment les protagonistes, mais le vrai protagoniste de l’histoire que nous avons vécue ce n’est pas nous, c’est l’histoire elle-même. »
Le temps vieillit vite, Entre généraux, page 117
« L’air, pensa-t-il, la vie est faite d’air, un souffle et c’est parti, du reste nous non plus ne sommes rien d’autre qu’un souffle, une respiration, puis un jour la respiration cesse et la machine s’arrête. »
Le temps vieillit vite, Yo me enamoré del aire, page 134
« les chaises roulantes du Conducator étaient clouées au sol, »
Le temps vieillit vite, Bucarest n’a pas du tout changé, page 165
« Tu sais, mon fils, tu as envie de raconter tes souvenirs aux autres, ceux-ci sont à l’écoute de ton récit et comprennent peut-être tout jusque dans les infimes nuances, mais ce souvenir reste le tien et seulement le tien, ça ne devient pas le souvenir d’autrui parce que tu l’as raconté aux autres, les souvenirs se racontent, mais ils ne se transmettent pas. »
Le temps vieillit vite, Bucarest n’a pas du tout changé, page 166
« Ces médecins ne me plaisent pas, murmura le vieux, ils ne comprennent rien, crois-moi, ce sont de grands savants ignorants. »
Le temps vieillit vite, Bucarest n’a pas du tout changé, page 167
« ils prétendent t’astiquer la mémoire comme un miroir, voilà le but, la faire fonctionner non pas comme elle le veut mais comme ils le veulent eux, »
Le temps vieillit vite, Bucarest n’a pas du tout changé, page 167
« les rêves ne sont pas tant ce qui arrive mais l’émotion que tu éprouves à vivre ce qui arrive, »
Le temps vieillit vite, Bucarest n’a pas du tout changé, page 169
« comme quand nous comprenons finalement quelque chose que nous savions depuis toujours et que nous ne voulions pas savoir »
Le temps vieillit vite, Contretemps, page 195.
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(1) A Noël, depuis longtemps, beaucoup d’italiens viennent à Paris ; visiter, et parfois prier. Ce petit article est une forme d’hommage rendu à leur pays, à leur littérature. L’idée m’est venue en lisant Le temps vieillit vite, recueil de neuf nouvelles écrites par Antonio Tabucchi, toutes dévorées hier, dans un train perdu.
(2) Pour un coffret de six, assemblez deux couvertures de votre Monde magazine !
J »y ajouterais « La conscience de Zeno » d’Italo Svevo. De Tabucchi, j’ai beaucoup aimé « La tête perdue de Damasceno Monteiro ».
PS : je n’ai pas lu « Pereira prétend », mais c’est bientôt Noël, Joël, non? ;))
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LE TEMPS VIEILLIT VITE
nous rappelle Antonio Tabucchi
– « il tempo invecchia in fretta » –
Il reprend un fragment présocratique
que l’on ne sait trop à qui attribuer
L’exergue du livre – 9 récits du délicieux auteur transalpin –
précise que cet aphorisme sur la fuite effrénée de nos vies
est attibué à Critias
Ce “poète-là” fut un des 30 tyrans qui périt – dit la chronique – en s’opposant au retour de la Démocratie
Qu’ajouter?
Ceci: le début du fragment que ne reproduit pas Tabucchi dans son titre;
EN SUIVANT L’OMBRE… le temps vieillit vite
Oui C’est un peu glaçant…
Aussi, alors, que, par hasard, mon exercice s’écrit alors que le soleil de ce jour pointe,
grattant avec mes doigts démocrates la pierre sophiste, j’inaugure cet autre fragment:
en s’oubliant aux rais du jour
LE TEMPS RAJEUNIT LENTEMENT
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pour Joël Bécam
l’amour délivre
des livres d’amour
l’amour des lyres
du chant d’Orphée
dans l’univers
où les Sirènes
leurrent et tuent
ceux qui trop
les écoutent
l’amour des livres
tant qu’il y a
de l’amour
et des livres
dans cet univers
» que d’autres appellent
la Bibliothèque »*
* Borges
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Joyeux Joël.
Monique
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