Et pourquoi pas il était une fois, il y a de cela plus de quatre siècles, un palais ?
Ce palais appartenait au cardinal de Richelieu, mais à cette époque, excusez du peu, ce n’était encore qu’un « simple » palais. En 1642, lorsque le Cardinal mourut, il fut légué à la Couronne. Aussi, profitant de l’aubaine, Anne d’Autriche choisit de s’y installer avec son frère, et son fils, le jeune roi Louis XIV. Le caprice de ce jeune roi a suffi : de simple palais, il devint aussitôt « Palais Royal ».
Moi, hélas, je ne suis que le jardin.
Et je dus attendre l’an 1731 pour naître à mon tour. Mon père, brillant architecte, s’appelait Victor Louis, mais de lui, l’auteur de ces lignes sait si peu qu’il ne vous en dira rien…
Plusieurs siècles ont passé, et cependant – voyez là un grand privilège, celui d’être né, et d’avoir grandi « jardin » – je suis plus vert, plus beau et plus attrayant que jamais ! Quatre doubles rangées de tilleuls, taillés en marquise, et des marronniers rouges bordent mes allées. En mon centre, un bassin rond et peu profond, rempli d’eau claire, si claire qu’on en boirait. Et puis, naturellement, au beau milieu de mon bassin, mon jet d’eau qui gicle fort dans un fracas léger ! tout droit, bien dru, très haut, vers le ciel… Voilà qui me donne plutôt noble allure, mais sans ostentation, vous ne trouvez pas ?
L’été, venez vous reposer à l’ombre de mes arbres. Ils sont touffus, nul rayon de soleil ne perce leur épais feuillage. Or il fait si chaud, à Paris, en plein cœur de l’après-midi, que vous apprécierez de vous asseoir à l’ombre de l’un d’entre eux, et de feuilleter ce livre que vous aimez.
Tendez l’oreille, vous les entendez ? le cui-cui des moineaux cachés dans les branches, les cris aigus des enfants ; au loin, la rumeur sourde de la ville ; et tout près, le roucoulement d’un pigeon ramier ; il se dandine, se hâte, hop ! le voilà qui s’envole, agacé, lorsqu’un garnement espiègle se décide à lui courir après ! Et si l’envie vous en prend, n’hésitez pas, – goûtez-moi donc la paix, le calme, ce luxe et cette volupté que procurent une bonne sieste sous les ombrages !
Vous aimeriez connaître mon histoire ? Alors venez, partons nous asseoir sur un banc, dans ce petit espace de tranquillité rempli de roses. Nous y serons à l’aise pour bavarder.
Commençons par une devinette : qu’y a-t-il à la clé de toute vie humaine ? C’est trop bête, n’est-ce pas… non, vous l’ignorez ? vous donnez votre langue au jardin ? Pardi, le désir bien sûr !
Toutes ces filles, dites « de mauvaise vie », qui autrefois venaient chez moi y abriter leurs amours, était-ce bien lui – le désir – qui les animait ? ou s’agissait-il de gagner son pain ?
Sous mes arcades, on ne comptait plus les tripots où la bière et le vin coulaient à flots ; pensez donc, quatre pleines barriques chaque nuit ! L’été est chaud, à Paris, chez moi, au Palais Royal… Hussards trop fiers du second Empire, vieux marquis, aigrefins et hâbleurs, petits messieurs venus d’on ne sait trop où, commerçants qui s’encanaillent, – pain quotidien des filles ne boudant pas leur peine, âpres au gain et de peu de joie.
J’aimais cette vie, moi. Comme je les aimais ces belles-de-nuit aux yeux qui brillent, tous leurs amants d’un soir, ou d’un pauvre instant. Le temps passe, mais je sens encore leur pas dans le gravier ; celui des hommes, lourd et incertain ; le pas léger, nerveux et hésitant des femmes.
Regarde, promeneur, ce fier hussard… il a un faux sourire aux lèvres – un jour peut-être deux trous rouges au côté droit – tandis qu’il s’approche de celle qu’il convoite. Soudain, la voilà prise ! il la serre contre lui. L’esprit vide, le cœur glacé, la belle incline la tête, elle baisse les yeux et sourit à la nuit.
Mais cet autre court presque, entraînant sa vénus vers l’ombre propice – il y a tant d’arbres, il a trouvé le plus majestueux. Ils s’arrêtent, piétinent, s’enlacent… les voilà qui gesticulent ! drôle de danse, triste romance ! Il est doux et amer, d’être né jardin, au Palais Royal…
Plus d’un siècle déjà. Tant de choses me sont arrivées, banales, risibles ou insolites, ou cruelles parfois. Des fontaines à boules ; des colonnes en costume à rayures ; des restaurants huppés, des magasins de mode et des boutiques à timbres ; et des échoppes à boîtes à musique, et à soldats de plomb…
Des tréteaux, des danseurs et des musiciens ; des chanteuses d’opéra ; des galets gris, des ruisseaux à sec et des planches à roulettes !
Et les roulements de sifflet des gardiens à la nuit tombée.
Toutes ces nuits encore, le jaune des lanternes, comme des taches de soleil.
Des millions de promeneurs vinrent flâner à l’ombre de mes vieux arbres. Leurs talons claquent sur le pavé sous les arcades ; leurs pas résonnent en moi comme des marteaux sans maîtres – je les revois, c’est un rêve -, rumeur lointaine, indéfinie.
Certains sont venus se protéger de la pluie, d’autres trouver l’ombre, la fraîcheur. Mais la plupart me traverse d’un pas vif et distrait. Plus rien aujourd’hui ne les étonne, plus rien ne les contente : pourquoi voudriez-vous donc que moi, je trouve grâce à leurs yeux ? Je me trouve sur leur chemin, – voilà tout.
« La neige reposait tel un masque d’algues blanc sur les jardins à la française. La fontaine ronde gelée brillait comme un single des Stones en 1972. Yasmina déambulait les pieds dans ses moonboots, sa poussette Mac Laren dans une main, et Kimberley avec son bonnet pointu dans l’autre. L’hiver les installations artistiques disparaissaient, ce qui rendait à la place son classicisme, tant il est vrai que l’angoisse étreint parfois le promeneur devant certaines incongruités commanditées par le Ministère tout proche et qui bousculent la beauté hiératique du Palais Royal. «
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(la beauté hiératique du Palais Royal certes… qui ne se dévoile qu’à des yeux expressément AUTORISES ) entre parenthèses parce qu’il s’agit d’une mise au point, d’un rappel personnel
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