De la difficulté d’écrire

Enthousiasme en cavale, imagination en berne, souffle court, inspiration défunte, labeur ingrat ; paresse inextinguible, incoercible, incontournable, incoyable, irrécupérable, inracontable, irréversible ; paresse inénarrable de longs poils partout dans les deux mains jusqu’au cou ; ennui à longueur de jour, ennui à vomir la nuit ; soupirs longs comme un jour sans vin ; pétards mouillés, fusées foirées, projets avortés, chansons évanouies, rêves enfuis : le lecteur trouvera ici quelques bouts d’articles ou de nouvelles, à peine commencés, juste esquissés, jamais repris, jamais finis, jamais aboutis ; conservés pieusement. Pour des raisons qui m’échappent ‒ parmi lesquelles, néanmoins, la lassitude ou ma paresse tient la première place ‒, il est probable que je ne les finirai jamais…

J’ai toujours rêvé d’écrire un article ‒ de fond ‒ sur Henry de Montherlant. Voici le tout petit début de cet article que, vraisemblablement, je n’écrirai jamais :

« Lorsque j’étais enfant – c’était encore le temps de l’ORTF –, je vis passer une photo de Montherlant à la télévision… Je savais de lui qu’il était écrivain, renommé de surcroît, mais guère plus. Or, à ce qu’il paraît, ce que nous ignorons notre esprit ‒ ayant horreur du vide ‒ l’imagine. J’imaginais donc qu’Henry de Montherlant était un écrivain du XIX siècle, aujourd’hui disparu !
Or, notre grand homme était bel et bien vivant, quoique silencieux, peut-être même reclus, et vraisemblablement désenchanté ; c’était ainsi que je l’imagine…
A quelque temps de là, c’est à la télévision, derechef, que je découvris l’une des œuvres de ce singulier personnage. »

Le lecteur intéressé par l’oeuvre et l’auteur Henry de Montherlant se reportera avec grand profit au site de Henri de Meeûs, ici même. 

A propos de mon père, projet de récit, un bout :

« Mon père, héraut mutique au pauvre sourire, éprouvait une sorte de malin plaisir à rappeler à qui voulait  bien l’entendre, qu’il n’avait lu en tout et pour tout dans sa vie qu’un roman, un seul : Le dernier des Mohicans, de James Fenimore Cooper.
Mon père ne lisait pas non plus les journaux, à l’exception du Télégramme auquel il était abonné ; encore le lisait-il par habitude plus que par goût. Il regardait la télévision d’un œil distrait. Il passait le plus clair de son temps libre à cultiver son jardin ; en silence ; avec grand soin ; paraissant indifférent au résultat ; et c’est à se demander s’il en espérait un !
Résultat qu’il obtenait pourtant chaque fois, et qui semblait inespéré à tous ceux qui n’avaient rien obtenu, ou pas grand-chose.
En réalité, cet homme paraissait ne rien attendre de la vie en général, rien de particulièrement bon ni joyeux ; pour autant, il n’était ni blasé ni serein ; il était ailleurs, mais où ? »

Bout de nouvelle intitulé « Les Mandarins » (aucun rapport avec Simone de Beauvoir)

« La porte de la cage était restée ouverte après qu’on l’eût nettoyée ; sans savoir, il s’était engouffré dans le vide – vers la liberté. Mais la liberté est une jungle pleine de chats pour un petit mandarin gris né en cage, loin du pays. »

Projet d’article consacré au livre Simulacres et simulation, Galilée, 1981, du sociologue Jean Baudrillard, un bout :

« Ce livre – Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, 1981 –, paru il y a trente ans, constitue toujours aujourd’hui, par de nombreux aspects, ni plus ni moins qu’un brûlot. Chacun d’entre nous, a fortiori s’il est journaliste dans un journal de référence, devrait lire et méditer ce livre. Et le faire entrer dans sa vie. »

Projet d’article consacré à :
J.M. (John Maxwell) Coetzee, L’été de la vie, Seuil, traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine Lauga du Plessis, août 2010, plusieurs bouts :

« Voici le troisième volet de l’autobiographie de J.M. Coetzee. Ce troisième volet, consacré à la période où l’auteur vient d’avoir trente ans, prend la suite de Scènes de la vie d’un jeune garçon et Vers l’âge d’homme, également publiés aux éditions du Seuil et disponibles en Points, collection de poche de cet éditeur.

Et si la force, toute la force d’un écrivain, tenait en une chose, une seule ? Et si, s’agissant de John Maxwell Coetzee, cette chose était celle-ci : « Feu ou flamme ne sont pas les mots qui vous viennent à l’esprit quand on pense à ses livres. Mais il avait d’autres vertus, sa force était ailleurs. Par exemple, je dirais qu’il était stable : son regard ne flanchait pas. Il ne se laissait pas facilement tromper par les apparences. » (J.M. Coetzee, L’été de la vie, page 239) ?
Le regard que J.M. Coetzee porte sur lui-même dans L’été de la vie, en effet, ne flanche pas. En revanche, son lecteur pourrait, lui, facilement se laisser tromper par les apparences… Elles tiennent à la forme choisie par l’auteur, une autobiographie « fictive », du moins si l’on se fie aux termes retenus par la quatrième de couverture.
De fait, il s’agit plutôt d’une autobiographie se présentant sous la forme d’une fiction, ce qui n’est pas la même chose. Autobiographie romanesque par la forme. Aussi, la plupart des commentateurs s’accorde pour dire qu’il s’avère impossible, dans ce livre, de démêler le vrai du faux.
Or, selon nous, tout est vrai ! et c’est justement parce que tout est vrai qu’il conviendrait de le cacher… »

Projet d’article sur le statut de l’écrivain d’aujourd’hui  (« auteur » serait plus juste), une saillie :

« C’est un lieu commun : pour que la magie opère ‒ celle des ventes bien sûr ‒ la vie d’un écrivain se doit d’être exceptionnelle ; lui-même est tenu de l’être. Un écrivain, c’est un héros, une idole, une mise en scène. Son talent ? un accessoire, comme le sac à main de la dame, maigre comme un coucou la dame. »

Projet de poème à propos de l’équipe de France de Football, dernière Coupe du monde :

« Haler les bleus !

Hâlés les bleus ?
Les bleus ? ce sont des bleus, les bleus
Les bleus, c’est de la bleusaille
Circulez, les bleus, y’a rien à voir !
Les bleus voient rouge
Qui se souvient des bleus ?
Circulez les bleus, y’a rien à voir ! »Bout d’article (une phrase) consacré à Milan Kundera :

« L’insoutenable légèreté de l’être : le titre serait révélateur du degré de profondeur de l’œuvre de Kundera ? »

Projet d’article (très regretté celui-là) consacré à Ada, ou l’ardeur de Vladimir Nabokov, plus précisément au chapitre premier de la quatrième partie, laquelle ne comporte qu’un seul chapitre, et dont seul un bout de florilège fut recopié… :

« Je sais aussi que vous, et moi probablement, sommes nés, mais cela ne prouve pas que nous soyons passés par la phase chronale que l’on appelle Passé : c’est mon Présent, mon court moment de conscience, qui me dit que je l’ai fait, et non le tonnerre silencieux de l’infinie inconscience qui caractérise ma naissance, il y a cinquante-deux ans et cent quatre-vingt-quinze jours. »
Vladimir NABOKOV, Ada ou l’ardeur, Fayard, 1975, traduit de l’anglais par Gilles Chahine, avec la collaboration de Jean-Bernard Blandenier, traduction revue par l’auteur, page 445

« Mon but, en écrivant La Texture du Temps, ouvrage difficile et délectable que je m’apprête à déposer sur le pupitre déjà éclairé du lecteur encore absent, est de purifier ma propre notion du Temps. Je veux examiner l’essence du Temps, non son cours , car je ne crois pas que son essence puisse être réduite à son cours. Je veux caresser le Temps. », page 446

« On peut être amoureux de l’Espace et de ses possibilités : la vitesse, par exemple, la vitesse lisse, le sifflement de son sabre, la gloire aquiline de la vélocité domptée, le cri de joie du virage ; et l’on peut être un amateur du Temps, un fin gourmet de la durée. », page 446

« Le temps est rythme : rythme d’insecte d’une nuit chaude et humide, onde cérébrale, respiration ou le martèlement dans ma tempe – voilà nos montres fidèles ; et la raison corrige le battement fébrile. », page 447

« La seule chose peut-être qui laisse entrevoir un sens du Temps est le rythme ; non les battements récurrents du rythme, mais le vide qui sépare deux de ces battements, le creux gris entre les notes noires : le Tendre Intervalle. La pulsation elle-même ne fait que rappeler la triste idée de mensuration mais entre deux pulsations se cache quelque chose qui ressemble au Temps véritable. », page 447

« Y a-t-il jamais eu une forme de Temps « primitive », au cours de laquelle, par exemple, le Passé ne s’étant pas encore clairement différencié du Présent, ses formes et ses fantômes apparaissent à travers un « à présent » encore flasque et larvaire ? », page 448

 

2 commentaires sur “De la difficulté d’écrire

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  1. La Paresse (P majuscule) est un Art (A majuscule) Monsieur !

    Les points de suspension de l’inachevé, le point d’interrogation de l’inabouti peuvent ranimer les chansons évanouies, faire péter les pétards mouillés et éclater les fusées foirées en mille feux d’artifice….

    En ce qui concerne le (la) lecteur que je suis, le « projet de récit, un bout » qui raconte ton père, suffit à mon bonheur de lecture de ce soir…. Point n’est besoin d’en dire un mot de plus..
    Voilà mon ressenti cher ami !
    De plus.. Pour ta paresse avouée, il te sera beaucoup pardonné !

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  2. Voilà un bien agréable voyage dans vos carnets de croquis,souvent,très souvent,les esquisses sont plus délicieuses que l’oeuvre aboutie,scellée ,fermée,vernie,aussi juste , belle , vibrante qu’elle puisse être.J’aime tout simplement ces fusains saillants.
    Eva

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