« Les Chants de Maldoror, dissertation bâclée de collégien en mal d’originalité, à la recherche d’un corrigé virtuel que lui apporteront les écrivains futurs, les hommes accomplis, les auteurs véritables, tous ceux qui savent écrire, qui pèsent leurs mots et leurs théories, qui jugent, qui SAVENT CE QU’ILS FONT. »
Jean-Marie Gustave Le Clézio, Préface aux Chants de Maldoror, page 10, Gallimard, collection Poésie, 502 pages, 1973
Il est des livres incontournables, dont tout semble avoir été dit, et déjà écrit. Ce n’est pas un motif suffisant pour ne plus en parler ; c’est en revanche une bonne raison pour les lire à mon tour. Il y a très longtemps, en effet, que je souhaitais en avoir le cœur net à propos du sieur Isidore Ducasse, faux Comte de Lautréamont. Me voilà donc embarqué dans la lecture de ses fameux chants, tant vantés, au moment opportun, par André Breton, chef de file des surréalistes.
Cette lecture me laisse rêveur, et un peu sur ma faim. Le livre lu, refermé, je ne parviens toujours pas à savoir si je suis vraiment déçu, ou si peut-être je serais tout de même un peu séduit, vaguement ravi, un tantinet comblé ?
C’est une étrange expérience que je viens de vivre avec Les Chants de Maldoror. Cette lecture m’aura ennuyé, certes ; néanmoins, c’est inexplicable, j’y reviens sans cesse, et j’en viendrai à bout sans trop de peine.
Imaginez maintenant le gros nez rouge d’un auguste ; par l’opération du saint esprit, il migre en pleine poire de l’autre gugusse, le clown blanc ! Eh bien, ce procédé de style, qui relève de l’exagération, Lautréamont en use, en abuse ; moi ça m’agace. Et c’est ce qu’il veut, Isidore. Pourquoi il fait ça ? nul ne le sait, et lui aussi je pense, l’ignore.
L’auteur, en effet, prend un curieux malin plaisir à se regarder écrire, et à pointer ses propres défauts d’écriture. En marge de ce qu’il raconte, il allonge la sauce en l’épaississant ; il dit là où ça pêche, il tape là où ça lui fait mal. Un autre, à sa place, plus aguerri, plus roué, – plus adulte – se serait contenté de modifier la phrase, ou mieux, l’aurait caviardée sans le moindre petit état d’âme. Or, si l’autre intervient en amont, lui, Ducasse, en ajoute, en avale, il y tient ferme, à sa bêtise – il fait école !
Péché de débutant ; on sait, on a même bien pratiqué ; enfant, enfant que tu es ! comme c’est charmant. Sa matière est jugée par lui si précieuse, qu’il ne veut pas la perdre, pas une miette. Alors, Isidore insiste, enfonce le clou, touille, tripatouille… De cette façon, qu’espère-t-il donc atténuer, rendre plus acceptable, effacer, qui sait, se faire pardonner ? « Quelque chose d’égaré, quelque chose de ridicule » dira Lacan, plus tard, sur un tout autre plan ?!
Dans Les Chants de Maldoror, les exemples de cette loghorrée abondent (1). Ce sont probablement ces aspects de l’œuvre qui font dire à Le Clézio, dans une très bonne préface rédigée en 1967 : « Qu’est-ce que Les Chants de Maldoror, après tout, sinon le poème d’un potache, le livre d’un enfant qui rêve ce qu’il n’a pas vécu ? » (page 10). Cet esprit potache fera date ; il fera aussi des émules, Alfred Jarry, Raymond Queneau peut-être ?
Nous restent les images, d’une grande originalité, d’une grande nouveauté pour l’époque ; certaines sidérantes, d’autres improbables ou loufoques ; leur sens glisse entre les mots, la couleuvre brille dans l’herbe humide et grasse du pré ‒ mais à quoi bon chercher quelque chose qui se cherche, et qui n’est pas ? Ce sont elles malgré tout, ces drôles de belles images, qui feront – pour toujours – la force inquiète, incertaine, et étonnante des Chants.
Florilège
« Hélas ! qu’est-ce donc que le bien et le mal ! Est-ce une même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuissance, et la passion d’atteindre à l’infini par les moyens même les plus insensés ? Ou bien, sont-ce deux choses différentes ? Oui… que ce soit plutôt une même chose… car, sinon, que deviendrai-je au jour du jugement ! »
Isidore Ducasse Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Gallimard, collection Poésie, page 24
« et que les hommes, plus nombreux que les poux, fassent de longues prières », page 26
« Je suis fils de l’homme et de la femme, d’après ce qu’on m’a dit. Ça m’étonne… je croyais être davantage ! », page 29
« Ô poulpe, au regard de soie ! toi, dont l’âme est inséparable de la mienne ; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses », page 31
« l’homme s’est cru beau pendant des siècles. Moi, je suppose plutôt que l’homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu’il n’est pas beau réellement et qu’il s’en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris », page 32
« chaque homme vit comme un sauvage dans sa tanière, et en sort rarement pour visiter son semblable, accroupi pareillement dans une autre tanière. La grande famille universelle des humains est une utopie digne de la logique la plus médiocre. » page 33
« La curiosité naquit avec l’univers », page 47
« Quand un élève interne, dans un lycée, est gouverné, pendant des années, qui sont des siècles, du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au lendemain, par un paria de la civilisation, qui a constamment les yeux sur lui, il sent les flots tumultueux d’une haine vivace, monter, comme une épaisse fumée, à son cerveau, qui lui paraît près d’éclater », page 48
« L’Eternel a créé le monde tel qu’il est : il montrerait beaucoup de sagesse si, pendant le temps strictement nécessaire pour briser d’un coup de marteau la tête d’une femme, il oubliait sa majesté sidérale, afin de nous révéler les mystères au milieu desquels notre existence étouffe, comme un poisson au fond d’une barque », page 63
« Il se démène, mais en vain, dans le siècle où il a été jeté ; il sent qu’il n’y est pas à sa place, et cependant il ne peut en sortir », page 67
« Ma poésie ne consistera qu’à attaquer, par tous les moyens, l’homme, cette bête fauve, et le Créateur, qui n’aurait pas dû engendrer une pareille vermine. Les volumes s’entasseront sur les volumes, jusqu’à la fin de ma vie, et, cependant, l’on n’y verra que cette seule idée, toujours présente à ma conscience ! », page 68
« Moi, être assez généreux pour aimer mes semblables ! Non, non ! Je l’ai résolu depuis le jour de ma naissance ! Ils ne m’aiment pas, eux ! », page 70
« lorsqu’on veut devenir célèbre, il faut se plonger avec grâce dans des fleuves de sang, alimentés par de la chair à canon », page 74
« Là, dans un bosquet entouré de fleurs, dort l’hermaphrodite, profondément assoupi sur le gazon, mouillé de ses pleurs », page 77
« L’éléphant se laisse caresse, le pou, non », page 85
« Mes années ne sont pas nombreuses, et, cependant, je sens déjà que la bonté n’est qu’un assemblage de syllabes sonores », page 102
« Les loups et les agneaux ne se regardent pas avec des yeux doux », page 104
« Il est temps de serrer les freins à mon inspiration », page 119
« J’ai reçu la vie comme une blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice », page 127
« Si les hommes étaient heureux sur cette terre, c’est alors qu’il faudrait s’étonner », page 128
« Ainsi donc, Maldoror, tu as été vainqueur ! Ainsi donc, Maldoror, tu as vaincu l’Espérance ! Désormais, le désespoir se nourrira de ta substance la plus pure ! », page 136
« Soûl comme une punaise qui a mâché pendant la nuit trois tonneaux de sang ! », page 137
« de même que les rotifères et les tardigrades peuvent être chauffés à une température voisine de l’ébullition, sans perdre nécessairement leur vitalité, il en sera de même pour toi, si tu sais t’assimiler, avec précaution, l’âcre sérosité suppurative qui se dégage avec lenteur de l’agacement que causent mes intéressantes élucubrations », page 191
« La potion la plus lénitive, que je te conseille, est un bassin, plein d’un pus blennorrhagique à noyaux, dans lequel on aura préalablement dissous un kyste pileux de l’ovaire, un chancre folliculaire, un prépuce enflammé, renversé en arrière du gland par une paraphimosis, et trois limaces rouges. Si tu suis mon ordonnance ma poésie te recevra à bras ouverts, comme quand un pou resèque, avec ses baisers, la racine d’un cheveu », page 193
« Rien n’est risible dans cette planète. Planète cocasse, mais superbe », page 231
« Il est beau comme la rétractilité des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l’incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt, comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l’animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! », page 234
« nous vivons dans un temps trop excentrique, pour s’étonner un instant de ce qui pourrait arriver », page 245
« La queue du poisson ne volera que pendant trois jours, c’est vrai ; mais, hélas ! la poutre n’en sera pas moins brûlée ; et une balle cylindro-conique percera la peau du rhinocéros, malgré la fille de neige et le mendiant ! C’est que le fou couronné aura dit la vérité sur la fidélité des quatorze poignards », page 246
« Depuis le jour où un chat angora me rongea, pendant une heure, la bosse pariétale, comme un trépan qui perfore le crâne, en s’élançant brusquement sur mon dos, parce que j’avais fait bouillir ses petits dans une cuve remplie d’alcool, je n’ai pas cessé de lancer contre moi-même la flèche des tourments », page 246
(1) En voici un parmi d’autres : « M’emparant d’un style que quelques-uns trouveront naïf (quand il est si profond), je le ferai servir à interpréter des idées qui, malheureusement, ne paraîtront peut-être pas grandioses ! Par cela même, me dépouillant des allures légères et sceptiques de l’ordinaire conversation, et, assez prudent pour ne pas poser… je ne sais plus ce que j’avais l’intention de dire, car, je ne me rappelle pas le commencement de la phrase. » (Les Chants de Maldoror, Gallimard, page 232).
Bonjour,
Vous êtes cordialement invité à visiter mon blog.
Description : Mon Blog(fermaton.over-blog.com), présente le développement mathématique de la conscience humaine.
La Page No-20, THÉOREME de L’AMOUR.
LES MERVEILLEUSES ÉQUATIONS DE L’AMOUR !
(Déclaration de JOHN NASH lors de son Nobel)
Cordialement
Clovis Simard
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» N’avez-vous pas remarqué la gracilité d’un joli grillon, aux mouvements alertes, dans les égouts de Paris ? Il n’y a que celui-là : C’était Maldoror ! …..
… Mais sachez que la poésie se trouve partout où n’est pas le sourire, stupidement railleur, de l’homme, à la figure de canard. Je vais d’abord me moucher, parce que j’en ai besoin, et ensuite, puissamment aidé par ma main, je reprendrai le porte-plume… »
Un chant, un psaume, une complainte, des litanies ?
Sur les mots des notes de musique, une partition à lire ou écouter ? Comme on écoute, par exemple, un chant….. grégorien ?
Peut-être une des « drôles et belles images qui font la force étonnante des Chants »
Bonne journée Joël !
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Bonjour Joël,
bravo pour ce blog et cet article !
Je partage assez cette lecture « des Chants… »
Bonne continuation !
Sandrine
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