La poésie est comme le bon Dieu : partout et nulle part. Elle trotte dans les têtes, et parfois dans une chanson des rues disait Michel Leiris (1).
Alors pourquoi pas la boxe ? Justement, j’aimerais vous parler aujourd’hui de Boxing parade, de Pascale Bouhénic. Or, si la poésie court partout, les bons livres de poésie sont rares. Il se trouve que Boxing parade, de Pascale Bouhénic, en est un, et qui plus est un très bon ; pour tout dire, je le trouve même carrément exceptionnel.
Le sous-titre de la page de garde est lapidaire ; il tient en un mot : « récits ». Pascale Bouhénic, en effet, a choisi de nous raconter la vie de boxeurs légendaires ; dix boxeurs : Marcel Cerdan, Jack Johnson, Gene Tierney, Max Schmeling, Daniel Mendoza, Georges Carpentier, Eugène Criqui, Jake La Motta.
Il s’agit bien de récits. De récits en vers. Et de récits épiques.
La chanson qui file à travers ces dix récits, c’est un peu comme une chanson de geste. Rappelez-vous : la mort de Roland à Roncevaux, le son du cor dans le ravin, le râle du guerrier à l’agonie, on vous a bassiné avec ça, au lycée. Rassurez-vous, ce n’est pas le cas ici : Boxing parade, vous le lirez comme un roman ; laissez-vous faire, laissez-vous bercer, ce livre-là vous allez le dévorer. Un boxeur, c’est émouvant ; un poète aussi.
Mais faisons d’abord un petit tour du côté de Wikipédia :
« Une chanson de geste est un récit versifié (un long poème) en décasyllabes ou, plus tardivement, en alexandrins, assonancés regroupés en laisses, (longues strophes de taille variable) relatant des épopées légendaires héroïques mettant en scène les exploits guerriers de rois ou de chevaliers, remontant aux siècles antérieurs. La geste, du latin gesta, est ici à comprendre comme « action d’éclat accomplie » de caractère guerrier ou fantastique. ».
Eh bien, il vous suffit de changer les mots « décasyllabes », « alexandrins », par le mot « vers libre », et les mots « rois » et « chevaliers » par boxeurs, et vous y êtes comme nous y sommes !
Ces vies sont passionnantes, ces récits sont de vraies merveilles. Bravo, sincèrement. Je me suis pris à aimer la boxe, moi qui déteste la violence ; je me suis cru, je me suis vu sur un ring, ou dans une salle de boxe – de la sueur, de la rage, du chagrin et des bruits ? –, je me suis vu, en lisant chacun de ces récits, à l’entraînement moi aussi – souffrir pour un mot, joyeuse peine, et pourquoi non ?… Je me suis pris à aimer les boxeurs, et je n’en ai jamais vu un, « en vrai » comme disent les enfants.
Chaque récit est fait de mots simples, et il y a dans ces récits, par surcroît, beaucoup d’humour, vous savez la politesse du désespoir, à moins que ce ne soit le goût de la capitulation ? Un humour discret, délicat, subtil, duveté ; pétale de rose, c’est un comble. Mais il y a surtout la cadence du récit, le rythme, et ses ruptures brutales, les vers en séries, telle une grêle de coups. Et le mot-choc, bien frappé, un petit bout de phrase parfois, jeté en fin de strophe, sur une ligne ; paf ! K.O. à chaque récit : K.O. du lecteur ; et bien entendu victoire de l’écrivain ; K.O. de l’auteur. Bravo Pascale, très sincèrement. Le combat spirituel, la bataille d’hommes écrivait Rimbaud autrefois. La bataille d’hommes, celle des boxeurs, le combat spirituel, celui du poète ? allons donc, la bataille d’hommes, le combat spirituel pour tous, poètes, boxeurs ; et vous.
Extraits :
« Mais la forme, qu’est-ce que c’est ?
La forme est un mystère
C’est la matière euphorisée
(…)
Car la forme est violente et bonne cependant
Mais il faut s’en méfier
C’est ce que disent certains (et parmi eux de grands écrivains). »
(Boxing parade, Vie du boxeur M., page 16)
« Car la vie, quant à elle, ne raconte jamais rien »
Vie du boxeur M.
(Boxing parade, page 23)
« Avec le corps, on ne peut jamais savoir »
(Boxing parade, Vie du boxeur Max, page 59)
« Ce qu’un homme pense de lui, c’est ce qui règle son destin
Dit Henry David Thoreau, un sportif moyen, surtout poète », page 60
« L’art leibnizien d’obtenir avec le minimum de forces
Le maximum d’effets possibles, explique Philonenko. C’est tout. »
(Boxing parade, Vie du boxeur petit D., page 77)
« Comme la vie, quant à elle
Ne raconte jamais rien »
(Boxing parade, Vie du boxeur Eugène, page 107)
« Car le chemin que se forge un homme
Qui refait sa vie
Passe par la trahison de ce qu’il a été. », page 114
« J’ai tiré ce récit de ces œuvres magnifiques
Et de bien d’autres encore où j’ai plongé souvent
Dans une eau complexe et sans fond
J’ai nagé.
Mais, au fond
Je n’ai pas compris du Taureau
Mon terrible adversaire, toute la vie —
Q’importe ! j’ai passé du temps avec lui.
Ainsi, après cette échappée
Remontant à la surface, je suis changée
Et neuve
Comme cette vie envers. »
(Boxing parade, Vie du taureau, page 152)
(1) Comment ne pas penser aussi, à : De la littérature considérée comme une tauromachie, de Michel Leiris, en lisant Boxing parade…
la boxe ne dit jamais ce que font les mains dans les gants ! ont-elles peur? phalanges meurtries par de pâles anges….
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BOXER LES YEUX FERMÉS…
Pour nous maintenir, cher Joël, « en forme », dans un fraternel combat.
…ou LES SENTIERS DE LA CRÉATION
On ferme les yeux pour écouter la musique, pour s’écouter cherchant la note juste et la note à l’écart , juste ce qu’il faut , pour l’impro.
On ferme les yeux pour écouter les amis de cordes et de trompes qui font sonner ce monde que l’on épouse dans un fraternel combat.
On ferme les yeux pour relier ses doigts et son souffle à l’esprit sensible qui nous entoure et que maints autres frères humains s’ingénient à nier, changeant leurs rêves d’amitié, en force brute, butée, cruelle, absurde.
On ferme les yeux pour rappeler aux dieux rusés et aux âmes en mal de reconnaissance qu’il n’y a qu’une visée humaine qui vaille, celle des sentiers de la création.
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