J’affirmais sans vergogne à cette époque : « On pourrait tout raser au cœur de Paris, à l’exception de Notre-Dame de Paris, et de Notre-Dame… de la Tuyauterie ».
« Notre-dame de la Tuyauterie », c’est-à-dire le Centre Georges Pompidou !
J’étais jeune lorsque le Centre Georges Pompidou fût inauguré en 1977, il y a trente-cinq ans. J’avais déjà le goût de l’ironie. J’imaginais volontiers le cœur de Paris comme une jungle luxuriante, peuplée de femmes et d’hommes à demi nus, dont la seule préoccupation aurait été de flâner, rêver et gamberger, allant d’une cathédrale à l’autre, à travers un océan de verdure et d’arbres immenses, monts, rocs, vallons, forêts, rivières… Un rêve me tient, aucun être ne manque, et tout est magnifié !
Lorsque je suis à Paris, il ne se passe pas une semaine sans que j’aille faire un tour au Centre. Je prends chaque année mon laissez-passer annuel. J’aime monter au cinquième étage, voir Paris couler à mes pieds, et faire la sieste dans de grands canapés.
De temps en temps, je bois un café à la cafétéria, celle du rez-de-chaussée, sur la mezzanine. Perché sur la grosse rondelle bien rembourrée d’un robuste strapontin en simili, je regarde tout là-haut, courir les tuyaux, et tout en bas marcher les touristes ; c’est Bruegel, la neige en moins ; c’est la France, que dis-je, – le monde entier qui se cultive !
J’ai vu beaucoup d’expositions au Centre. Celle de Salvador Dali, en 1979. Il y avait une petite salle au plafond bas, plongée dans la pénombre, avec des tableaux du Maître alignés sur des murs recouverts d’une toile verdâtre, ils étaient tous à peu près de la même taille. Lorsque vous restiez un peu dans la pièce, les murs de toile se mettaient subitement à gonfler, lentement, très très lentement, à un rythme de montres molles…
On nous promet une exposition Salvador Dali au Centre ; à l’automne prochain ; ce sera donc l’éternel retour du recommencement, avec Dali en moins.
Il y eut aussi une exposition consacrée, entre autres, à l’œuvre de Frida Kahlo ; il n’y avait presque personne à la visiter ; c’était avant le livre Diego et Frida de Jean-Marie Gustave Le Clezio, avant le film avec Salma Hayek.
Il y a eu beaucoup de choses d’exposé au Centre depuis sa création, beaucoup d’installations ; de toute(s) sorte(s) ; un grand foutoir inepte, superbe et généreux. J’aurais aimé participer moi aussi ; fourrer mon grain de sel, à ma façon ; avant qu’il ne soit trop tard, que la mode passe et que l’on désinstalle, et que l’on case tout ça dans les réserves, dans le noir, à l’abri des regards, du temps, et des inondations.
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Le rêve d’Alphonse
(16 poèmes-installations)
Extrait :
Installation n° 4
Le tracteur
Un beau tracteur rouge
Flambant neuf
Manitou MLT 840
C’est un monstre
Il a des roues énormes
Elles sont hautes comme un petit d’homme
Les pneus ont une largeur de cinquante centimètres
Au moins
Le tracteur trône
Dans le hall d’accueil du Centre Georges Pompidou
À Paris
C’est la foire
Georges aimait les paysans
Pour les besoins de l’installation, une partie de la façade
Est reconstruite
C’est une vitre en partie détruite
Le tracteur l’a défoncée
Pour pénétrer le Centre
C’est un artifice
C’est l’été
Si la pluie vient à tomber
Mouille la moquette
Mouille Mouille la moquette
Ce n’est pas grave
C’est heureux
Car l’installation c’est la pluie
La moquette sera remplacée
Réalisé à l’échelle du MLT 840
Le tracteur est en bois
On dirait un
Jouet d’enfant
Comme le Centre
Une fine odeur indécelable
De prime abord
Somme toute omniprésente
Et désagréable
Une fine odeur, disais-je
Baigne le hall, tout le hall
S’empare des toilettes
Celles du sous-sol
Georges aimait les paysans
Moi aussi
Au bout d’un certain temps
On reconnaît l’odeur
C’est l’indicible
pour Ulysse Joël Bécam
» Les dieux sont encore vivants. Ce sont nos frères. Ils nous attendent. Ils nous invitent à les retrouver et à nous asseoir sur des trônes aussi élevés que les leurs. À ceux qui s’insurgent contre le fabuleux, je voudrais dire : vous êtes vous-mêmes fabuleux. Vous êtes le prince perdu qui garde obscurément les pourceaux. Les aventures de votre esprit sont le plus merveilleux des romans. Vos errances ont été plus grandes que celle d’Ulysse… »
George William Russel dit A.E (1867 1935)
« Le flambeau de la vision »
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