Des dangers lourds nous guettent, Le Monde, 7 février 2011
« Si des mesures juridiques ne sont pas prises, d’ici dix ans, le périmètre d’exercice de nos libertés d’expression et d’aller et venir va se rétrécir drastiquement. (…) Nous tendons vers une société où nous serons toujours entendus, surveillés. Sans compter que les nanotechnologies rendent les instruments miniatures, donc inattaquables. Des dangers lourds nous guettent : ne plus avoir la certitude d’être seul ; ne plus avoir la spontanéité qui fait le sel de la vie. »
Alex Türk, Président de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL)
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« Nous nous rencontrerons là où il n’y a pas de ténèbres »
George ORWELL, 1984, Editions Gallimard, 1950, pour la traduction française, collection Folio, traduction de l’anglais par Amélie Audiberti, page 39
« Ils ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients qu’après s’être révoltés », page 99
« la vraie caractéristique de la vie moderne était, non pas sa cruauté, son insécurité, mais simplement son aspect nu, terne, soumis », page 102
« Les livres étaient seulement un article qu’on devait produire, comme la confiture ou les lacets de souliers », page 175
« Le nouvel air qui devait être la chanson-thème de la Semaine de la Haine (on l’appelait la chanson de la Haine), avait déjà été composé et on le donnait sans arrêt au télécran. Il avait un rythme d’aboiement sauvage qu’on ne pouvait exactement appeler de la musique, mais qui ressemblait au battement d’un tambour. Quand, chanté par des centaines de voix, il scandait le bruit des pas, il était terrifiant. Les prolétaires s’en étaient entichés et, au milieu de la nuit, il rivalisait dans les rues avec l’air encore populaire « Ce n’est qu’un rêve sans espoir » », page 199
« S’accrocher jour après jour, semaine après semaine, pour prolonger un présent qui n’avait pas de futur, était un instinct qu’on ne pouvait vaincre, comme on ne peut empêcher les poumons d’aspirer l’air tant qu’il y a de l’air à respirer », page 204
« Julia éveilla encore en lui une sorte d’envie lorsqu’elle lui dit que, pendant les Deux Minutes de la Haine, le plus difficile pour elle était de se retenir d’éclater de rire. Mais elle ne mettait en question les enseignements du Parti que lorsqu’ils touchaient, de quelque façon, à sa propre vie. Elle était souvent prête à accepter le mythe officiel, simplement parce que la différence entre la vérité et le mensonge ne lui semblait pas importante », page 206
« Dans un sens, c’est sur les gens incapables de la comprendre que la vision du monde qu’avait le Parti s’imposait avec le plus de succès. On pouvait leur faire accepter les violations les plus flagrantes de la réalité parce qu’ils ne saisissaient jamais entièrement l’énormité de ce qui leur était demandé et n’étaient pas suffisamment intéressés par les événements publics pour remarquer ce qui se passait. Par manque de compréhension, ils restaient sains. Ils avalaient simplement tout, et ce qu’ils avalaient ne leur faisait aucun mal, car cela ne laissait en eux aucun résidu, exactement comme un grain de blé, qui passe dans le corps d’un oiseau sans être digéré », page 209
« ‒ Ce que je voulais surtout vous dire, c’est que, dans votre article, vous avez employé deux mots qui sont périmés. Mais ils ne le sont que depuis peu. Avez-vous la dixième édition du dictionnaire novlangue ?
‒ Non, répondit Winston. Je ne pensais pas qu’elle eût déjà paru. Nous nous servons encore, du Département des Archives, de la neuvième édition.
‒ La dixième édition ne paraîtra pas avant quelques mois, je crois. Mais quelques exemplaires ont déjà été mis en circulation. J’en ai moi-même un. Peut-être vous intéresserait-il de le voir ? »
(…) ‒ Quelques-unes des nouvelles trouvailles sont très ingénieuses. La réduction du nombre des verbes. C’est cette partie qui vous plaira, je pense », page 211
« On ne savait pas ce qui se passait au ministère de l’Amour, mais on pouvait le deviner ; tortures, drogues, enregistrement des réactions nerveuses par des appareils sensibles, usure graduelle de la résistance par le manque de sommeil, la solitude, les interrogatoires continuels », page 223
« Au cours des époques historiques, et probablement depuis la fin de l’âge néolithique, il y eut dans le monde trois classes : la classe supérieure, la classe moyenne, la classe inférieure. Elles ont été subdivisées de beaucoup de façons, elles ont porté d’innombrables noms différents, la proportion du nombre d’individus que comportait chacune, aussi bien que leur attitude les unes vis-à-vis des autres ont varié d’âge en âge. Mais la structure essentielle de la société n’a jamais varié. Même après d’énormes poussées et des changements apparemment irrévocables, la même structure s’est toujours rétablie, exactement comme un gyroscope reprend toujours son équilibre, aussi loin qu’on le pousse d’un côté ou de l’autre. Les buts de ces trois groupes sont absolument inconciliables », page 246
« Les buts de ces trois groupes sont absolument inconciliables. Le but du groupe supérieur est de rester en place. Celui du groupe moyen, de changer de place avec le groupe supérieur. Le but du groupe inférieur, quand il en a un ‒ car c’est une caractéristique permanente des inférieurs qu’ils sont trop écrasés de travail pour être conscients, d’une façon autre qu’intermittente, d’autre chose que de leur vie de chaque jour ‒ est d’abolir toute distinction et de créer une société dans laquelle tous les hommes seraient égaux », page 268
« Big Brother est infaillible et tout-puissant. Tout succès, toute réalisation, toute victoire, toute découverte scientifique, toute connaissance, toute sagesse, tout bonheur, toute vertu, sont considérés comme émanant directement de sa direction et de son inspiration. Personne n’a jamais vu Big Brother. Il est un visage sur les journaux, une voix au télécran. Nous pouvons, en toute lucidité, être sûrs qu’il ne mourra jamais et, déjà, il y a une grande incertitude au sujet de la date de sa naissance. Big Brother est le masque sous lequel le Parti choisit de se montrer au monde. Sa fonction est d’agir comme un point de concentration pour l’amour, la crainte et le respect, émotions plus facilement ressenties pour un individu que pour une organisation », page 277
« Il s’endormit en murmurant : « Il ne peut y avoir de statistique de la santé mentale », avec l’impression que cette remarque contenait une profonde sagesse », page 288
« Est-ce que je ne viens pas de vous dire que nous sommes différents des persécuteurs du passé ? Nous ne nous contentons d’une obéissance négative, ni même de la plus abjecte soumission. Quand, finalement, vous vous rendez à nous, ce doit être de votre propre volonté. Nous ne détruisons pas l’hérétique parce qu’il nous résiste. Tant qu’il nous résiste, nous ne le détruisons jamais. Nous le convertissons. Nous captons son âme, nous lui donnons une autre forme. Nous lui enlevons et brûlons tout mal et toute illusion. Nous l’amenons à nous, pas seulement en apparence, mais réellement, de cœur et d’âme. Avant de le tuer, nous en faisons un des nôtres. Il nous est intolérable qu’une pensée erronée puisse exister quelque part dans le monde, quelque secrète et impuissante qu’elle puisse être. Nous ne pouvons permettre aucun écart, même à celui qui est sur le point de mourir », page 338
« Nous allons vous presser jusqu’à ce que vous soyez vide puis nous vous emplirons de nous-mêmes », page 339
« Le pouvoir n’est pas un moyen, il est une fin. On n’établit pas une dictature pour sauvegarder une révolution. On fait une révolution pour établir une dictature. La persécution a pour objet le persécution. La torture a pour objet la torture. Le pouvoir a pour objet le pouvoir », page 348
« Dieu, c’est le pouvoir », page 349
« ‒ La souffrance par elle-même, dit-il, ne suffit pas toujours. Il y a des cas où les êtres humains supportent la douleur, même jusqu’à la mort. Mais il y a pour chaque individu quelque chose qu’il ne peut supporter, qu’il ne peut contempler. Il ne s’agit pas de courage ni de lâcheté. Quand on tombe d’une hauteur, ce n’est pas une lâcheté que de se cramponner à une corde. Quand on remonte du fond de l’eau, ce n’est pas une lâcheté que de s’emplir les poumons d’air. C’est simplement un instinct auquel on ne peut désobéir. Il en est ainsi pour vous avec les rats. Vous ne pouvez les supporter. Ils constituent une forme de pression à laquelle vous ne pourriez résister, même si vous le désiriez. Vous ferez ce que l’on exige de vous », page 374
« Vous comprenez la construction de cette cage. Le masque s’adaptera à votre tête, sans lui laisser aucune échappée. Quand j’appuierai sur cet autre levier, la porte de la cage glissera. Ces brutes affamées s’élanceront comme des balles. Avez-vous déjà vu un rat sauté en l’air ? Ils vous sauteront à la figure et creuseront droit dedans. Parfois ils s’attaquent d’abord aux yeux. Parfois, ils creusent les joues et dévorent la langue », page 376
« Le masque se posait sur son visage. Le fil lui frotta la joue. Puis ‒ non, ce n’était pas un soulagement, c’était seulement un espoir, un tout petit bout d’espoir. Trop tard peut-être, trop tard. Mais il avait soudain compris que, dans le monde entier, il n’y avait qu’une personne sur qui il pût transférer sa punition, un seul corps qu’il pût jeter entre les rats et lui. Il cria frénétiquement, à plusieurs reprises :
‒ Faites-le à Julia ! Faites-le à Julia ! Pas à moi ! Julia ! Ce que vous lui faites m’est égal. Déchirez-lui le visage. Epluchez-la jusqu’aux os. Pas moi ! Julia ! Pas moi ! », page 377
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