Honoré de BALZAC, Eugénie Grandet, Librairie Gründ, Bibliothèque précieuse, Paris, 1955

Je me promenais, ce matin-là, boulevard Saint-Michel à Paris. J’avais deux heures devant moi. Je ne voulais pas les perdre. J’avisai donc la librairie Boulinier. J’entrepris de fouiller les boîtes à romans. Installées sur le trottoir, devant la vitrine. Je ne tardai guère à trouver mon bonheur du jour. Je mis la main sur un exemplaire d’Eugénie Grandet. Eugénie Grandet est un roman d’Honoré de Balzac, publié la première fois en 1834. Mon exemplaire datait de 1955. Il était en piteux état. Il sentait le moisi. Le papier des pages était jauni. La couverture avait été recollée à la va-vite par le libraire. A l’envers. J’entrai dans la boutique. Je me dirigeai tout droit vers la caisse. Le livre coûtait vingt cents. Une vraie misère. Pour pareille richesse. Je payai et m’en fus. Je relus ce livre, que j’avais lu enfant. Cela se passe à Saumur au dix-neuvième siècle. C’est fascinant. Ce roman raconte l’histoire d’un riche avare. Tous les avares sont-ils riches ? Il est tonnelier, et vigneron. Il amassa, amasse, peut-être amassera, une fortune. Sa fille Eugénie… Sa fille Eugénie… Colette à Simenon : « Des phrases courtes, mon chéri. ».

Voir aussi Honoré de BALZAC, Le père Goriot, ici.

Florilège

« Le regard d’un homme accoutumé à tirer de ses capitaux un intérêt énorme contracte nécessairement, comme celui du voluptueux, du joueur ou du courtisan, certaines habitudes indéfinissables, des mouvements furtifs, avides, mystérieux, qui n’échappent point à ses coreligionnaires. Ce langage secret forme en quelque sorte la franc-maçonnerie des passions. », page 12

« Financièrement parlant, M. Grandet tenait du tigre et du boa : il savait se coucher, se blottir, envisager longtemps sa proie, sauter dessus ; puis il ouvrait la gueule de sa bourse, y engloutissait une charge d’écus et se couchait tranquillement, comme le serpent qui digère, impassible, froid, méthodique. », page 13

« Quatre phrases exactes autant que des formules algébriques lui servaient habituellement à embrasser, à résoudre toutes les difficultés de la vie et du commerce : Je ne sais pas, je ne puis pas, je ne veux pas, nous verrons cela. Il ne disait jamais ni oui ni non, et n’écrivait point. », page 15

« cette croyance en soi que donne l’habitude d’avoir toujours réussi dans ses entreprises. », page 16

« A l’âge de vingt-deux ans, la pauvre fille n’avait pu se placer chez personne, tant sa figure semblait repoussante ; et certes ce sentiment était bien injuste ; sa figure eût été fort admirée sur les épaules d’un grenadier de la garde ; mais en tout il faut, dit-on, de l’à-propos. », page 22

« Le père Grandet pensait alors à se marier, et voulait déjà monter son ménage. Il avisa cette fille rebutée de porte en porte. Juge de la force corporelle en sa qualité de tonnelier, il devina le parti qu’on pouvait tirer d’une créature femelle taillée en hercule, plantée sur ses pieds comme un chêne de soixante ans sur ses racines, forte des hanches, carrée du dos, ayant des mains de charretier et une probité vigoureuse comme l’était son intacte vertu. Ni les verrues qui ornaient ce visage martial, ni le teint de brique, ni les bras nerveux, ni les haillons de la Nanon n’épouvantèrent le tonnelier, qui se trouvait encore dans l’âge ou le cœur tressaille. », page 22

« Affreuse condition de l’homme ! Il n’est pas un de ses bonheurs qui ne viennent d’une ignorance quelconque. », page 34

« Un Parisien, un Parisien de la sphère la plus élevée pouvait seul et s’agencer ainsi sans paraître ridicule, et donner une harmonie de fatuité à toutes ces niaiseries, que soutenait d’ailleurs un air brave, l’air d’un jeune homme qui a de beaux pistolets, », page 39

« Dans la pure et monotone vie des jeunes filles, il vient une heure délicieuse où le soleil leur épanche ses rayons dans l’âme, où la fleur leur exprime des pensées, où les palpitations du cœur communiquent au cerveau leur chaude fécondance, et fondent les idées en un vague désir ; jour d’innocente mélancolie et de suaves joyeusetés ! Quand les enfants commencent à voir, ils sourient ; quand une jeune fille entrevoit le sentiment dans la nature, elle sourit comme elle souriait, enfant. Si la lumière est le premier amour de la vie, l’amour n’est-il pas la lumière du cœur ? Le moment de voir clair aux choses d’ici-bas était arrivé pour Eugénie. », page 55

« Cette réflexion jette une horrible clarté sur l’époque actuelle où, plus qu’en aucun autre temps, l’argent domine les lois, la politique et les mœurs. Institutions, livres, hommes et doctrines, tout conspire à miner la croyance d’une vie future sur laquelle l’édifice social est apputé depuis dix-huit cents ans. Maintenant, le cercueil est une transition peu redoutée. L’avenir, qui nous attendait par-delà le Requiem, a été transposé dans le présent. Arriver per fas et nefas au paradis terrestre du luxe et des jouissances vaniteuses, pétrifier son cœur et se macérer le corps en vue de possessions passagères, comme on souffrait jadis le martyre de la vie en vue de biens éternels, est la pensée générale ! pensée d’ailleurs écrite partout, jusque dans les lois, qui demandent au législateur : Que payes-tu ? au lieu de lui dire : Que penses-tu ? Quand cette doctrine aura passé de la bourgeoisie au peuple, que deviendra la pays ? », page 85

« Assez souvent, certaines actions de la vie humaine paraissent, littéralement parlant, invraisemblables, quoique vraies. Mais ne serait-ce pas qu’on omet presque toujours de répandre sur nos déterminations spontanées une sorte de lumière psychologique, en n’expliquant pas les raisons mystérieusement conçues qui les ont nécessitées ? », page 86

« Beaucoup de gens aiment mieux nier les dénouements que de mesurer la force des liens, des nœuds, des attaches qui soudent secrètement un fait à un autre dans l’ordre moral. », page 87

« Tout pouvoir humain est un composé de patience et de temps. Les gens puissants veulent et veillent. La vie de l’avare est un constant exercice de la puissance humaine mise au service de la personnalité. Il ne s’appuie que sur deux sentiments : l’amour-propre et l’intérêt ; mais l’intérêt étant en quelque sorte l’amour-propre solide et, bien entendu, l’attestation continue d’une supériorité réelle, l’amour-propre et l’intérêt sont deux parties d’un même tout, l’égoïsme. », page 89

« Où est l’homme sans désir, et quel désir social se résoudra sans argent ? », page 89

« Il se rencontrait en lui, comme chez tous les avares, un persistant besoin de jouer une partie avec les autres hommes, de leur gagner légalement leurs écus. Imposer autrui, n’est-ce pas faire acte de pouvoir, se donner perpétuellement le droit de mépriser ceux qui, trop faibles, se laissent ici-bas dévorer ? Oh ! qui a bien compris l’agneau paisiblement couché aux pieds de Dieu, le plus touchant emblème de toutes les victimes terrestres, celui de leur avenir, enfin la Souffrance et la Faiblesse glorifiées ? Cet agneau, l’avare le laisse s’engraisser, il le parque, le tue, le cuit, le mange et le méprise. La pâture des avares se compose d’argent et de dédain. », page 89

« La femme a cela de commun avec l’ange que les êtres souffrants lui appartiennent. », page 93

« Il est dans le caractère français de s’enthousiasmer, de se colérer, de se passionner pour le météore du moment, pour les bâtons flottants de l’actualité. », page 104

« N’y a-t-il pas de gracieuses similitudes entre les commencements de l’amour et ceux de la vie ? Ne berce-t-on pas l’enfant par de doux chants et de gentils regards ? Ne lui dit-on de merveilleuses histoires qui lui dorent l’avenir ? Pour lui l’espérance ne déploie-t-elle pas incessamment ses ailes radieuses ? Ne verse-t-il pas tour à tour des larmes de joie et de douleur ? Ne se querelle-t-il pas pour des riens, pour des cailloux avec lesquels on essaie de bâtir un mobile palais, pour des bouquets aussitôt oubliés que coupés ? N’est-il pas avide de saisir le temps, d’avancer dans la vie ? L’amour est notre seconde transformations. », page 121

« Sentir, aimer, souffrir, se dévouer, sera toujours le texte de la vie des femmes. », page 133

« Vraiment, les écus vivent et grouillent comme des hommes ; ça va, ça vient, ça sue, ça produit. », page 141

« La vie est une affaire. », page 162

« le christianisme doit être la religion des avares. », page 165

« Dans la vie morale, aussi bien que dans la vie physique, il existe une aspiration et une respiration : l’âme a besoin d’absorber les sentiments d’une autre âme, et de se les assimiler pour les lui restituer plus riches. Sans ce beau phénomène humain, point de vie au cœur ; l’air lui manque alors, il souffre et dépérit. », page 167

« La flatterie n’émane jamais des grandes âmes, elle est l’apanage des petits esprits, qui réussissent à se rapetisser encore pour mieux entrer dans la sphère vitale de la personne autour de laquelle ils gravitent. », page 168

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