« La chair est folle
Et j’ai tant à lire ! »
Florilège
« L’odeur fade de la viande crue me monta à la tête. Vue de près, en plein dans l’éclairage du matin d’été qui s’engouffrait par la longue vitrine, elle était rouge vif, belle jusqu’à l’écœurement. Qui a dit que la chair est triste ? La chair n’est pas triste, elle est sinistre. Elle se tient à la gauche de notre âme, nous prend aux heures les plus perdues, nous emporte sur des mers épaisses, nous saborde et nous sauve ; la chair est notre guide, notre lumière noire et dense, le puits d’attraction où notre vie glisse en spirale, sucée jusqu’au vertige. »,
Alina Reyes, Le Boucher, page 10.
« Qui pourrait jamais comprendre le monde ? Ses trèfles à quatre feuilles ? Le monde lui-même n’était-il pas monstrueux, n’étions-nous pas ses bourbillons glorieux et pourrissants ?
J’avais ce matin jeté le bouquet de roses que je gardais depuis plusieurs jours dans ma chambre. Aussitôt que je les avais sorties du vase, l’odeur nauséabonde de l’eau avait envahi la pièce. Les roses étaient encore très belles. Leurs pétales aux couleurs un peu fanées me glissaient des mains, se répandaient sur le sol en une gerbe pâle. Je les ramassais un à un, dans leur douceur et leur finesse incomparables, et l’envie me prenait de les déguster, de m’en composer une robe de sens, un oreiller à rêves ; lorsque j’en eus la poignée pleine, j’ouvris la main, et la laissai s’effeuiller au-dessus de la poubelle. », page 36.
« Ne sommes-nous pas ridicules de vouloir attraper le monde avec nos stylos, nos pinceaux au bout de notre main droite ? », page 43.
« Il nous aurait fallu pendus tous les deux par un crochet de fer face à face dans un frigo rouge, crochetés par le haut du crâne ou par les chevilles, tête en bas, jambes écartées, face à face nos chairs, livrés impuissants au couteau de nos sexes brûlant comme des fers rougis, ouverts, brandis. Il nous aurait fallu hurlants à la mort sous la tyrannie de nos sexes, qu’est-ce que nos sexes ? », page 72.
« On a beau voir et voir, que sait-on, quand on a le goût du mystère ? », page 75.
« Où est l’amour, sinon dans le mal brûlant du désir, de la jalousie, de la séparation ? », page 80.
« Ainsi sont les autres : ils ne voient pas la beauté de votre vie, votre vie leur semble horriblement triste si, par exemple, vous n’êtes pas bronzé en plein été. Ils veulent que vous voyiez comme eux où est la juste joie, et si vous avez la faiblesse de vous laisser faire, jamais ensuite vous ne trouvez l’occasion de dormir seul dans un fossé, tout déchiré, par une nuit noire. », page 88.
« J’arrivai à une première maison, entourée d’une haie d’où débordaient des roses. J’en coupai une, lui arrachai ses pétales par paquets, les mangeai. Ils avaient beau être fins et délicats, j’en avais plein la bouche. Le chien de garde se précipita derrière le portail, en aboyant et en grognant de toutes ses dents. Je finis de déguster la fleur, et lui jetai la tige épineuse. », page 90.
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