C’est à Paris après la guerre
Que je suis né.
Il y avait plein d’hommes dans les rues comme d’habitude.
J’avais douze ans,
Je ne savais ni lire ni écrire,
Je n’apprendrais jamais,
Aux dires de mes parents.
Dans les rues de Paris,
Il y avait des Algériens.
Je les voyais marcher, avenue de Saint-Ouen,
Le pas tranquille et lent,
Les yeux de rêve.
Moi je voulais écrire un livre
Plus gros que moi
Qui aurait eu des yeux de rêve.
Les Algériens de l’avenue après la guerre
Ne souriaient pas.
Ils étaient dignes.
On eut dit les platanes de l’avenue,
Dont les feuilles sous la bise d’octobre frissonnaient
Telles des gamines à leur premier baiser.
Enfin, si vous voulez.
Ils ressemblaient tous ces bicots
A mon jeune père fatigué
De n’avoir jamais rien dit après la guerre.
Moi je voulais écrire un livre
Plus gros que moi
Qui aurait eu des yeux de rêve.
Dans ce livre il y aurait eu
Les numéros de toutes les rues
Où Paris m’a vu vivre.
Une vie entière
Pour l’écrire
Ne suffit pas…
Hier en passant j’ai acheté
Chez le libraire boulevard Saint-Michel
Une grande histoire des Algériens :
Cent mille milliards de volumes !
Le garçon à la caisse me sembla morose,
Il n’avait pas des yeux de rêve,
Il était muet comme une putain
Lorsque elle te taille une pipe.
Pardonnez je digresse ma jeunesse
Roula toute entière dans la bouche
De ce livre plus gros que moi.
Aux yeux de rêve,
Que je n’écrirai pas.
Parfois je me demande à quoi là-haut
Sert-il en bas
Cet espèce de vieux bicot.
Sincèrement, tu penses qu’ils sont contents
Avec ton pauvre boniment ?
Adieu les veaux, les vaches
Les cochons, les nonnes gitanes et les curés
Tu vas enfin pouvoir crever tranquille
Personne viendra te la sucer d’entre les morts
Te voilà grave bien flouté
Comme les bicots du dix-sept octobre de mille neuf cent soixante et un
Il paraîtrait que lui mon père,
Il en sauva neuf ?
S’en sont allés promener au bois
D’Vincennes
Les neuf
Du Citroën à mon papa
Coi
Elle fut retrouvée la liberté ce soir-là.
Il était jeune j’avais douze ans.
Je ne savais ni lire ni écrire.
Parfois de temps en temps,
J’y pense avenue de Saint-Ouen
Aux yeux de rêve plus gros que moi
Sous les platanes.