J.M. COETZEE, Une enfance de Jésus, Seuil, 2013

John Maxwell Coetzee, Une enfance de Jésus, Editions du Seuil, août 2013, pour la traduction française ; traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Catherine Lauga du Plessis.

Une Enfance de Jésus raconte l’histoire… d’un enfant, David, et de son protecteur, Simon. David et Simon, nous explique-t-on en page 4 de couverture, dans le prière d’insérer, « sont arrivés on ne sait d’où par bateau au camp de Belstar, où ils ont été  » reconditionnés  » (quel vilain mot !) afin de s’intégrer dans leur nouveau pays : nouveaux noms, nouvelles dates de naissance, mémoire lavée de tout souvenir, apprentissage de l’espagnol, langue du pays ».
Dans ce nouveau pays, Simon obtient, grâce à l’administration, un emploi de docker. Simon n’a qu’une idée en tête : rechercher la mère de David ; plus exactement, trouver une femme capable à ses yeux de tenir ce rôle et qui l’accepterait. Pour cela, Simon fait entière confiance à son intuition. Il est persuadé que lorsqu’il croisera la route de cette femme, il saura la reconnaître aussitôt. Inès, célibataire, la trentaine désœuvrée et désenchantée, sera l’élue, et finira par accepter le rôle de mère. Très vite, elle deviendra d’ailleurs une mère possessive.

De John Maxwell Coetzee, j’avais lu auparavant En attendant les barbares, puis Disgrâce ; ces deux romans m’avaient emballé. J’avais beaucoup aimé également L’Eté d’une vie, le troisième volet de son autobiographie (J’en dis un mot ici : De la difficulté d’écrire).
En revanche, si j’ai lu Une enfance de Jésus sans déplaisir et sans trop d’ennui, aussi hélas sans grand enthousiasme.
Un mot, tout d’abord, du titre de ce roman : The Childhood of Jesus, littéralement « L’Enfance de Jésus », en langue anglaise, comme en langue française. Or, ce titre devient, une fois traduit et édité en France : « Une Enfance de Jésus ».
Subtilité de traduction, liée à la langue, qui alors m’échappe ? ou plutôt prudence de l’éditrice, craignant de froisser le lecteur chrétien qui ne comprendrait pas d’emblée ‒ dès le titre, veux-je dire ‒ qu’il s’agit, ici, de l’enfance de Jésus réinventée par l’auteur ? ou tout bonnement, obligation légale liée au fait que le titre français « L’enfance de Jésus » serait déjà pris ?
Petit mystère sans grande conséquence ! En effet, si de l’enfance réelle de Jésus, nous ne savons pas grand-chose, de celle de David, nous ne saurons guère plus ! Le « Jésus-David » de J.M. Coetzee se révèle être un gamin fantasque, capricieux, et précoce, surdoué dirait-on aujourd’hui ; il apprend à lire seul, en cachette, dans le Quichotte de Cervantès.
De surcroît, une fois passé le titre du roman, le parallèle que ce titre laisse entendre avec l’histoire de Jésus n’a plus de raison d’être. L’allusion à l’enfance de Jésus n’apporte rien au roman. Mais elle contribue à donner, artificiellement, son caractère de « fable universelle » à cette histoire, à vrai dire sans grand relief.
Le principal intérêt, sinon la force de ce roman, tient plus aux idées que l’auteur place dans la bouche de ses personnages, singulièrement dans celle de Simon, qu’aux situations vécues, aux émotions ressenties par les protagonistes.
Il y avait déjà, en littérature, le roman à thèse. « Le roman à thèse est une expression utilisée en littérature pour classer des romans dans lesquels la réflexion philosophique ou politique prime sur l’histoire. ». Je renvoie le lecteur intéressé à l’article de Wikipedia, d’où provient cette citation.
Aujourd’hui, J.M. Coetzee nous propose donc le… un roman à idées ! Il n’est pas l’inventeur du genre. Dans la plupart des romans, le narrateur, sinon l’auteur lui-même, en effet, aime à livrer sa pensée par la bouche de ses personnages. Une enfance de Jésus, de ce point de vue, est un modèle du genre. La convention romanesque est respectée. L’illusion est crédible. L’impression, nécessaire, que ce sont les personnages qui nous parlent et pensent ce qu’ils disent, est bien réelle.
Citons encore le prière d’insérer : « une fable universelle aux multiples lectures possibles, où les questions qui restent sans réponse en amènent de nouvelles comme dans un cycle éternel. ». Dans le florilège qui suit, le lecteur trouvera, à cet égard, quelques exemples de ces nombreuses idées qui parsèment le roman.

Florilège

« Je ne sais pas quoi te dire. Nous sommes ici pour la même raison que tous les autres. On nous a donné une chance de vivre, et nous avons accepté cette chance. C’est formidable, de vivre. C’est ce qu’il y a de mieux au monde. », page 32.

« La foi veut dire que vous croyez en ce que vous faites même quand cela ne porte pas de fruits visibles », page 47.

« … Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Alvaro fronce les sourcils.
Ce n’est pas un monde possible, dit-il, c’est le seul monde. Que cela en fasse le meilleur, ce n’est ni à toi ni à moi d’en décider. », page 64.

« … Parce que nous voulons tous plus que ce qu’on nous doit. C’est la nature humaine. Parce que nous voulons tous plus que ce que nous valons.
‒ C’est quoi la nature humaine ?
‒ C’est comment nous, les êtres humains, nous sommes faits, toi et moi, … C’est comment nous sommes quand nous venons au monde. C’est ce que nous avons tous en commun. On aime croire qu’on est spécial, mon garçon, tous autant que nous sommes. Mais, à strictement parler, il ne peut en être ainsi. Si chacun était spécial, il n’y aurait plus personne de spécial. Et pourtant nous continuons à croire en nous-même. », page 72.

« ‒ Il y a toujours de l’argent dans la caisse, dit le garçon. C’est pour ça qu’on l’appelle la caisse. », page 73.

« De la bonne volonté viennent l’amitié et le bonheur, des pique-niques en bonne compagnie dans le parc, ou des promenades en bonne compagnie dans la forêt. Alors que de l’amour, ou du moins du désir dans ses manifestations les plus pressantes, nous viennent la frustration, le doute, les peines de cœur. Aussi simple que ça. », page 83.

« Et pourquoi ne cesse-t-il de se poser des questions, au lieu de simplement vivre, comme tout le monde ? », page 83.

« Je vais donc te dire haut et clair quelque chose que j’aurais espéré te voir comprendre de toi-même. Tu veux voir cette autre femme parce que je ne te donne pas ce dont tu penses avoir besoin, à savoir les déchaînements de la passion. La seule amitié, ce n’est pas assez bon pour toi. Si elle n’est pas accompagnée des déchaînements de la passion. Il y manque pour ainsi dire quelque chose. Pour moi, c’est une façon de penser dépassée. Avec cette ancienne façon de penser, si comblé que l’on soit, il manque toujours quelque chose. Le nom que tu choisis de donner à ce quelque chose de plus qui manque est « passion ». Pourtant, je suis prête à parier que si demain on t’offrait toute la passion que tu veux ‒ de la passion en veux-tu en voilà ‒ tu ne tarderais pas à trouver quelque chose d’autre qui te fait défaut. Cette dissatisfaction sans fin, ce désir ardent pour le quelque chose d’autre qui manque toujours, est une façon de penser dont nous sommes bien débarrassés, à mon avis. Rien ne manque. Ce rien qui te paraît manquer est une illusion. Tu vis dans une illusion. Voilà. », page 91.

« ‒ Une conviction, une intuition, une illusion – quelle est la différence quand on peut mettre cela en question ? T’est-il jamais venu à l’esprit que si nous suivions toutes * nos intuitions, le monde tomberait dans le chaos ?
* « tous nos intuitions » dans l’ouvrage imprimé.
‒ Je ne vois pas en quoi l’un entraîne l’autre. Et qu’est-ce qu’il y a de mauvais dans un peu de chaos de temps en temps, s’il en sort du bon ? », page 119.

« Dès que j’ai vu Inès, j’ai su. Si nous ne faisons pas confiance à la voix qui parle en nous et nous dit : « C’est elle ! », à quoi d’autre pouvons-nous nous fier ?
‒ Ne me fais pas rire ! « La voix qui parle en nous » ! Les gens perdent tout ce qu’ils ont aux courses en écoutant ces voix intérieures. Les gens se lancent dans des histoires d’amour calamiteuses en obéissant à ces voix intérieures. C’est… », page 145.

‒ « Parce qu’il ne suffit pas de rester assis à attendre que le destin suive son cours, Elena, tout comme il ne suffit pas d’avoir une idée et d’attendre qu’elle se matérialise. Il faut que quelqu’un intervienne pour que cette idée se réalise dans le monde. Quelqu’un doit agir au nom du destin. », page 145.

« Mais je n’ai pas abandonné l’idée de l’histoire, l’idée du changement sans commencement ni fin. On ne peut se débarrasser des idées par une grande lessive, pas même avec le concours du temps. Les idées sont partout. L’univers en est tissé. Sans idées, il n’y aurait pas d’univers, car il n’y aurait pas d’être. », page 158.

« Pense à des amants. Si des amants étaient serrés l’un contre l’autre tout le temps, ils n’auraient plus besoin de s’aimer. Ils ne feraient qu’un. Ils n’auraient rien à désirer. C’est pour ça qu’il y a des espaces vides dans la nature. Si tout était étroitement accolé, tout dans l’univers, ni toi, ni Inès, ni moi n’existerions. Toi et moi ne serions pas en train de nous parler, il n’y aurait que le silence. Alors, dans l’ensemble, c’est bien qu’il y ait des vides entre les choses, et que toi et moi soyons deux plutôt qu’un. », page 240.

« Une des façons de s’entendre les uns avec les autres est de parler la même langue. C’est la règle. C’est une bonne règle que nous devrions respecter. Pas seulement respecter, mais respecter de bon cœur, pas comme une mule qui refuse d’avancer. De bon cœur et avec bonne volonté. Si tu refuses, si tu t’obstines à décrier l’espagnol, et à parler ta propre langue, alors tu vas te retrouver isolé dans ton petit monde. Tu n’auras pas d’amis. On te tiendra à l’écart. », page 256.

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