Constance Chlore, Atomium, récit, 72 pages, Atelier de l’agneau, 2013

 

« Sur fond de mystère
La beauté ose un genou à terre »
page 62

 Atelier de l’agneau, éditeur, ici

Je le dis d’emblée, avec d’autant plus de force et de conviction, que je ne connais pas son auteur, et ne sais pour ainsi dire rien d’elle : Atomium, le livre de Constance Chlore, est une petite merveille d’écriture et de poésie. Qui fera date.
« Atomium, récit » annonce la page de titre de ce livre singulier. En quatrième de couverture, le Prière d’insérer, de son côté, précise : « ce poème au long souffle chante de partout… ».
C’est exact : cela chante de partout. Toujours juste, en mesure, mais avec une réelle audace, et méthodiquement.
Cela étant, récit ou poème, ou récit et poème, récit poétique ? ou plus précisément « ode » ? Abstraction faite de la forme, innovatrice, du récit de Constance Chlore ‒ Je me souviens des grandes odes de Paul Claudel ! ‒ le mot « ode » aurait pu être apposé sur la couverture de son livre, quand bien même ce terme est passé de mode, et n’est plus guère employé aujourd’hui ; à mes yeux, c’est bien d’une ode, en effet, dont il s’agit ici.

Mais ode à qui, ode à quoi ?
Une ode, on le sait, est un poème ayant vocation à célébrer un personnage ou un événement. Dans le livre de Constance Chlore, c’est une chose, énorme par surcroît ‒ l’atomium ‒, qui est célébrée. L’Atomium est une imposante construction qui fut érigée dans le cadre d’un événement lui-même considérable : l’exposition universelle de 1958. Cette construction, à la belle architecture, est emblématique de l’événement.
L’atomium fut effectivement « le point focal » de l’exposition universelle de 1958, la « première exposition  universelle et internationale après la seconde guerre mondiale » (Atomium,  page 6). Cette exposition se tint à Bruxelles, en Belgique, où l’Atomium est d’ailleurs toujours en place, où Constance Chlore est née. Constance vit à Paris aujourd’hui, a déjà publié deux romans, et donne régulièrement à lire ses poèmes dans des revues.

L’ode est « un genre élevé », nous dit-on dans l’article que Wikipédia lui réserve. Or, le récit poétique de Constance Chlore commence ainsi :
« Haut de 102 mètres
Le trouble de l’Atomium qui ne l’a ressenti à son approche »…

Voilà qui est amusant ! Présentement, « l’objet » de l’ode ‒ bien concret, palpable ‒ consiste, en effet, en la reproduction d’un atome, agrandi 165 milliards de fois ! La « sculpture », l’édifice, rappelons-le, est « Haut de 102 mètres », et comporte « 9 sphères de 18 mètres de diamètre… » qui « flottent au-dessus de ma tête » (Atomium, page 9).

L’ode est un genre poétique très ancien. Autrefois Boileau en donna les règles, en proclamant qu’elle est à peine susceptible d’en recevoir, puisqu’elle serait par nature : « un beau désordre »…
Dans le récit de Constance Chlore, il règne aussi un certain désordre apparent. En réalité, sous ce désordre de surface (que l’on pourrait dire aussi d’apprêt, ou d’apparat), le lecteur perçoit très vite une cohérence forte, tant le récit est mené avec méthode, rigueur, et vigueur.

Cette cohérence, cette rigueur, cette vigueur tiennent d’abord aux divers éléments de la composition de ce long et beau poème. Elles se manifestent dans les parties composées en vers libres. Les plus nombreuses, elles constituent le fil principal du texte, en forment la charpente, solide, puissante ; elles donnent aussi la tonalité d’ensemble. La sensation s’y déploie, elle prend la meilleure place ; l’émotion, l’émoi, l’angoisse, une frayeur latente, éprouvés par le personnage de la visiteuse de l’atomium, face à l’énormité de cette chose, viennent tout naturellement s’y greffer.

Au-delà du vertige immédiat, où sensations et émotions se mêlent, ce que ressent, au fond de lui, le personnage mis en scène par l’auteur ‒ dont l’âge fluctue, tantôt il a 22 ans, tantôt il a 16 ans, mais peut-être aussi 28, 34 ou 42… ‒, lors de sa visite, toujours répétée, de l’Atomium, ce que ressent le personnage relève de l’énigme et du secret. Ils affleurent sous les mots, et parfois éclatent : « J’admets le chant du désir/Aux limites des fièvres/Les supplices et l’extase/Où nombreux s’égarent », page 61.

Rigueur, vigueur du chant, mais aussi audace du propos, tiennent également au choix des rythmes. L’auteur a choisi la complexité et aime la difficulté : les rythmes divergent, mais réussissent à ne jamais être discordants. C’est la principale caractéristique de ce récit poétique. Celle-ci a son origine dans la juxtaposition, au sein du récit, de parties en vers libres, on l’a vu, et d’éléments en prose, une prose que je qualifierais volontiers de « non poétique » ‒ c’est un parti pris.
On trouve ainsi côte à côte des extraits d’articles de presse, réels ou imaginaires ; des éléments de discours prosaïque, lequel semble surgir, parfois, d’une bouche inconnue. Le récit, d’ailleurs, s’ouvre par cette sorte de discours : « Dans ces boules d’acier on peut manger, des gens y travaillent J’ignore comment c’est à l’intérieur… ». On trouve aussi, très fréquemment, des argumentaires d’ordre technique, des énumérations chiffrées ; des considérations futiles en langage parlé ; un clin d’œil récurrent au Je me souviens de Georges Perec ; des réflexions profondes, philosophiques ; ou des formules à l’emporte-pièce ; quand ce ne sont pas des incantations ou des proférations, etc. !

Rigueur et audace se retrouvent enfin dans les options de présentation typographique et de mise en pages : polices de caractère différentes, corps différent ; alternance de paragraphes placés « au fer à gauche », ou repoussés vers le bord extérieur de la page ; « pavés » entiers, sans point en fin de phrase, mais avec la capitale au début de la phrase suivante. Et pour tout dire : fantaisies, trouvailles de ponctuation de toutes sortes, et cependant, un soin apporté à chaque détail, une précision extrême, où rien jamais ne semble être le fruit du hasard. Il en résulte un agrément pour l’œil, un plaisir de lecture indéniable, et une indiscutable harmonie de cet ensemble. Dans la forme comme dans le fond.
Constance Chlore prête aussi une grande attention au souffle de son poème, à la fois ample et tenu. Elle le préserve, ou le protège, et, lorsque délibérément elle s’en écarte, elle le replace toujours, au moment opportun, dans sa ligne.

« Ecriture plurielle » relève-t-on aussi dans le prière d’insérer ; l’humour, la malice y ont leur place, c’est le moins que l’on puisse dire ! En effet, le vocabulaire, la langue de Constance Chlore, la plupart du temps simple et accessible, est néanmoins, de par ses origines variées, d’une grande richesse ; elle est imagée, actuelle, surprenante. Il est parfois question de « tubes Potferdoom », de « soft ice » ou de « carabistouilles » ; on trouve aussi un long « Ahhhhhhhhhhhhhhhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa », deux même, à quelques deux ou trois lignes d’intervalle ! une déconcertante « Estelle stellaire », ma foi un brin naïve ; des « gloutonneries stridentes », des « sauts de Marsupilami » et des « faims romantiques » ! en bref, comme le dit l’auteur elle-même : une langue qui « pousse de tous côtés »…

……………………………………………..

Quelques extraits :

« On découvrait des robots, des fausses mains articulées : on ouvrait grand les yeux Ce qui frappait, ce qui intriguait : l’Atomium Cette sorte de sculpture ou d’architecture, on savait pas trop bien C’était révolutionnaire, dirigé vers le futur »
page 7

« Qui n’aime les rêves, les mirages, le décollement de soi »
page 10

« Des géométries entrent en moi :
   Cercles de l’extrême instant
   Cercles de vie épuisante
   Cercle de chairs émouvantes
   Cercles du dehors refusé
   Cercles d’impatience intenable
   Cercles d’espoir cousus sur l’œil
   Cercles coupés du reste Sont-ce des pièges armés d’attente ?
   Ces boules sont-elles des ombres luisantes ?
   Trappes par où mes profondeurs menacées
   Versent sans remplir
   Puisent sans épuiser
   La cage est-elle partout ?
   Par les ongles et chaque nerf
   Par quelle corde est-on retenu ?
   Je passerai à travers »
page 18

« Je suis au bord d’un rêve
   Je veux entrer dans le jour
   Où aucune main d’angoisse
   N’obstrue plus le chemin »
page 23

 

 

Un commentaire sur “Constance Chlore, Atomium, récit, 72 pages, Atelier de l’agneau, 2013

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  1. Je suis en train de préparer ma valise pour Bruxelles. Ton invitation à lire ce poème a piqué ma curiosité. Je vais fureter dans les rues de Brest et me procurer ce livre, profiter du voyage poétique et du calme des rails, avant de me plonger dans le corps de cette immensité.
    Au plaisir, cher Joël ! Hugues

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