Le prix Nobel de littérature vient d’être décerné à Patrick Modiano. Je l’ai appris hier, en début d’après-midi, peu après l’annonce officielle du prix. Sur Facebook ; par l’intermédiaire d’une amie ; qui travaille dans l’édition. Pour une fois, me voilà au faîte de l’actualité ! Et au taquet ! Figurez-vous, je me préparais à mettre en ligne un joli florilège de ma relecture de La Cousine Bette, d’Honoré de Balzac… Patrick et Honoré… bien plus de cent ans les séparent… Mais, mutatis mutandis, le talent de l’un est à l’autre…
« de ma relecture de La Cousine Bette ». En temps ordinaire ‒ un temps qui ne presse pas ‒ pareille phrase, avec deux « de » à si peu de distance, je l’aurais reprise… Mais nous ne sommes plus en temps ordinaire : Patrick Modiano, en effet, vient d’obtenir le prix Nobel !
Bizarre Patrick… « Bizarre… », Patrick, on nous dit, ici, que vous auriez dit « bizarre… », lorsque Antoine Gallimard, votre éditeur, vous a téléphoné pour vous annoncer que le Nobel vous était décerné. Or, pour l’obtenir, ce prix il faut le demander. Le sait-on assez, le monde appartient à celui qui demande.
Il est probable que ce prix Nobel ‒ car votre œuvre, déjà, le méritait ‒, vous l’aviez demandé il y a longtemps ‒ ; il est plus vraisemblable encore que votre éditeur l’aura demandé pour vous.
Et peut-être que vous n’y croyiez plus ? n’y pensiez même plus ?
J’ai lu plusieurs des romans de Patrick Modiano, ils ont bercé ma jeunesse… : Les Boulevards de ceinture, La place de l’Etoile, Villa triste, Livret de famille, Rue des boutiques obscures (prix Goncourt 1978) ; je les ai pratiquement tous aimés ; parfois, ils m’ont un peu ennuyé, mais si rarement.
Comme j’ai aimé les romans de Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de Littérature lui aussi, en 2008 (Voir ici l’article que je lui consacre).
Souvenez-vous, Bernard Pivot à Apostrophes… Comme il l’adorait, à l’époque, la petite musique des romans de Modiano ! Il ne manquait jamais de s’en émerveiller.
Patrick Modiano, Bernard Pivot… lorsque je contemple aujourd’hui leurs photos, je trouve que l’un (mais lequel ?) a un peu un faux air de l’autre…
C’est exact, elle est belle, toujours simple, harmonieuse, la musique de vos phrases, au rythme prenant, légèrement fugué.
Caractéristique principale : le monde que Patrick Modiano décrit dans ses romans, celui dont il tire le fil, et les ficelles, avec calme, efficacité, beaucoup de savoir-écrire, sans que le lecteur, même averti, ou écrivain lui-même, puisse s’en apercevoir, est… « interlope ».
« Interlope », ce qui veut dire : louche, suspect, en langage courant ; un mot dont l’étymologie est anglaise. Un mot dérivé du verbe to interlope ; qui signifierait « courir entre deux parties, et recueillir l’avantage que l’une devrait prendre sur l’autre, d’où le sens de s’introduire, de trafiquer dans un domaine réservé à d’autres que l’expression a pris ensuite. », Voir ici.
Interlope ? Le monde que Modiano décrit dans ses romans, l’est d’abord par nature. Car il fait référence ‒ et peut-être faudrait-il écrire : « fait toujours référence » ? ‒ à l’Occupation allemande, en France, pendant la deuxième guerre mondiale (J’écris « deuxième », car il se pourrait qu’une troisième…).
Interlope, le monde que Patrick Modiano décrit dans ses romans ‒ plus qu’il ne l’analyse, à la différence d’un Proust ‒, l’est, surtout, parce que l’auteur l’a voulu, désiré, et créé ainsi. Rhétorique, Voile de Maya (vous mettrez les accents), littérature…
« Interlope », ce n’est pas moi qui le dit, car ce fut dans les romans de ses débuts, l’un de ses adjectifs récurrents (est-ce toujours le cas ?).
Or, en ce temps-là, il y avait l’interlope de Patrick Modiano et… il y avait aussi le ciel « céruléen » cher à Michel Tournier… C’était dans les années soixante et dix… Et vous Michel Tournier, vous l’auriez mérité également ce Nobel…
Si l’univers des romans de Modiano se révèle louche, leur style, le style de leur écriture en somme, le style de Modiano ne l’est jamais. Le style de ces romans a la finesse, la pureté du meilleur cristal. Fluide, d’une facilité apparente.
Comme si l’auteur Modiano ‒ et pour s’y être essayé, chacun sait que lorsque l’auteur se gonfle, c’est l’écrivain qui s’échine ‒, comme si l’auteur Modiano disais-je, une bonne fois pour toutes, s’était dit matin chagrin un mauvais jour, au bord de l’aphasie : « Je viserai, j’atteindrai au maximum d’effet, avec le minimum de moyens et voilà tout ! ».
Et à chaque fois, Patrick Modiano y est parvenu. D’un rien, il nous a fait un enchantement. Performance d’écrivain. Qui s’échine…
Bien mauvais, certes, à l’oral ‒ serait-ce pour faire genre, faire l’âne pour avoir du son, afin de tisser lui-même sa légende ? tel, par exemple, un BHL et sa chemise col ouvert, immaculée, ou un Sollers et sa coupe à la moine à la Bazin ? ‒ Patrick Modiano excelle à l’écrit. C’est attendrissant.
Car si l’auteur, à la télé, bredouille, fait son idiot, affecte le ridicule ? l’écrivain, lui, au fond de sa boutique obscure, sait… il cherche autre chose, un ailleurs…
Pour Modiano aussi, il s’agit, avant tout, chaque fois, de roman en roman ‒ n’en doutons pas un seul instant ‒ de « mettre à genoux » son lecteur…
« Dans un énoncé où la langue est travaillée, la fin n’est pas au premier chef la communication de la pensée : mais faire taire qui écoute. Fasciner. Mettre à genoux. L’écrivain nourrit tout d’abord l’espérance que celui qui le lira touchera au doigt la beauté ou la fermeté de l’énonciation. », écrivait ainsi Pascal Quignard, autre nobélisable, dans ses Petits Traités…
Chez Gallimard, c’est dans la collection blanche, « la blanche », comme on dit quelquefois, l’une des plus prestigieuses du monde de l’édition de littérature générale, que Patrick Modiano a publié tous ses romans (je ne pense pas me tromper). Néanmoins, vous les trouverez également en Folio, chez le même éditeur, Voir ici la liste complète des titres disponibles.
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