Je regarde la Seine pour la énième fois
Je ne veux pas mourir
Sans avoir chanté
La vie cruelle à qui refuse
De voir que tout y est
C’est le soir dans la forêt
C’est la moisson brûlée des gaz
Il y aura du muguet
En mai
Sur les trottoirs
A chaque coin de rue
On joue à la marchande
Sur de petites tables
Les clochettes couleur de lait
Sentent le printemps l’amour
Se couche comme il peut
Les morts vont leur train
Sur l’avenue
La lumière un rayon
Tache la fenêtre
La vitre est sale
La concierge n’a pas bien fait son boulot
Je cherche
Une lueur
Dans la poussière
J’habitais rue de la Grange-aux-belles
Près du Canal Saint-Martin
Le soir les animaux vont boire
Le vin de la jeunesse l’ivresse
Que donne le pouvoir
Du lendemain parfait
J’avais vingt ans
J’étais un grand poète
Dans une tête d’enfant
Je n’avais pas de haine
Mais une passion
Je ne sais quel amour
J’ai essayé d’aimer, l’abbé, moi aussi
Mais c’est quand
L’incendie
J’habitais rue d’Hôte en cour
J’habitais rue de la Moquerie
J’habitais près de la Ration
J’habitais rue des Pimpons
En avant ! par-dessus les tombes !
Aurait dit Goethe
Sur son lit d’agonie j’ai essayé
D’aimer, l’abbé,
Moi aussi
Frondaisons
Je vois les marronniers
Du cimetière
Au printemps
Des arbres de Noël
Dans les branches
La neige sent
La liqueur des beaux jours
L’amour de Paris
Une vie n’y entre pas
J’ai traversé la rue
Plus de dix mille fois
Quelque chose qui
Cloche
Dans ma vie
Je ne saurais dire
Trotte dans nos têtes
Sur les trottoirs
Qui vous manque qui
Me pousse
Voici le dernier
Du premier jour
J’aime Notre-Dame
De la Tuyauterie
Notre-Dame de Paris
J’aime Marie-Madeleine
J’aime le doux Jésus
Pourquoi les vierges des églises
N’inspirent-elles pas l’amour ?
Les filles de Māra moi
Je les aurais baisées toutes
Je suis entré mille fois, Seigneur, dans ton église
Soixante-quatre que multiplie trois cent soixante
Une fois tous les vingt jours
Environ
Je n’ai jamais rien vu derrière
Le pilier
Tu pries
Tu attrapes froid
Le cierge fond
C’est la bignole à Ferdinand
La black Dame pipi
Circulez prenez du champ
Mon Dieu quel urinoir
Ma gardienne de tout repos
Elle somnolait entre deux vins
La loge sentait le renfermé
La bière les corps sales
Elle conservait si bien
Mes colis
Je les attends encore
Un soir de Noël
Mon fils jeta trois mages
Dans la cuvette
Tira la chasse
Sur les trois rois
Les toilettes étaient bouchées
Le lavage porte ouverte
Cuvette économique
Allô mais c’est quoi
Disait la voix
J’ai choisi
D’être poète
A l’eau moi aussi
Mais c’est quand
L’incendie
Paris d’avant sais-tu
La chaisière du Luxembourg
Qui coûtait
Vingt centimes
À ma mère
Ne les payait jamais
Les pauvres ont de ces idées
Les poètes aussi
On a remis des filets dans la Seine
Sous la Pâquerette des Arts
Pour retenir les corps des cadenas noyés
Il y avait un fiacre
En bas des Champs
Pour les touristes
Mon père fréquentait le Marché au timbre
Enveloppes premier jour
Timbres neufs de France
J’aimerais en finir
Avant que de commencer
J’avais cinq ans j’attendais
J’entendais
À l’aube de ma vie
Rue Dautancourt
Le pas ferré
Du vieux cheval
Cognait sur le pavé
Un vieux Monsieur
Qui vendait de la glace
Conduisait la carriole
Ivanhoé flottait en blanc dans la vitrine
Du marchand de télés
Chaque jeudi à cinq heures
Les enfants arrivaient
Leurs yeux brillaient
Derrière la vitre
Ecoute en silence
Regarde Regarde !
Les muettes images grises
Du rêve humain
Joël
ce poême (mon clavier ce bêta, ecrit poêle) est tout bonnement magnifique.
bisou.
Monique
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Cher Joël
Je publie ton Charlie blues
sur mon blog
« Un parler ouvert
Ouvre un autre parler
Comme le fait le vin
Et l’amour »
Montaigne
CHARLIE
Je feuillette mes « Charlie »
Qui m’ont tant fait rire.
À se taper le cul par terre.
Reiser était mon préféré.
Et Cavanna le rital qui donnait le ton
« On est les pelés, les teigneux,
On emmerde tout le monde,
Et tout le monde nous le rend bien. »
Et puis vint Wolinski
– Monsieur il n’y a que les faibles
Qui hésitent à employer la force
Pour défendre leurs idées.
– Quand on est fort, monsieur,
On n’a pas besoin d’idées.
Cabu, le grand Duduche,
Et puis Charlie nouvelle donne,
Avec Charb et Tignous
Qui n’avaient pas froid aux dieux,
Dont ils se moquaient
– encore heureux ! –
En toute liberté.
Et puis leur rire s’est figé
Détruit par les armes de guerre
De deux tarés.
– Et personne pour dire
« Poil au nez ! »*
* Cavanna
Aux obsèques de Pierre Overney
« Charlie Hebdo 13 mars 1972)
Jean Jacques Dorio
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