De l’extinction des servitudes (poème)

 

Alfred Le Bousin n’avait pas la place
Il suspendait son vélo à la douche
Alfred Le Bousin
Rangeait ses tennis
Dans le tiroir
De son bureau
Il ne les lavait jamais
À ma connaissance
Patrick Beauséjour vers la fin
De quoi
Dormait la nuit dans son bureau
Donnait
Rue Victor Cousin
L’après-midi l’été
Il s’enfuyait
Par la fenêtre
Pour aller au cinéma du Panthéon
Le matin chez lui sentait bon
C’était du Mennen
Lucien Mortod chaque midi
Cuisait
Rue Soufflot
Sous les combles
Sur la gazinière
Une petite casserole de petits pois chez soi
Car ce sont les meilleurs
Lucien Mortod chaque midi
Réglait
Le feu
Minutieusement
Sous la petite casserole
À pois
Cela durait
Durait
Durait
Durait
Durait durait durait
Chuuu…
Chuuu…
Chuuu…
Chuuuuuu……
Chuuuuuu……
Chuuuuuu……
Faisait le gaz
À la virgule près

Flamme bleu émail blanc bouton noir
C’était jamais trop
Minutieusement réglé
Un jour j’ai goûté
Tandis qu’il était aux toilettes
C’était pas bon du trou
Si vous saviez à quel point
J’emmerde la syntaxe
Et la scène antique
Le jeudi la journée finie
Après le travail
Nous jouions au ping-pong
Dans le hall
Sous la verrière
Il y avait deux tables
De ping-pong
L’immeuble était une ancienne imprimerie ce sont
Il y avait deux tables dans le hall sous la verrière l’immeuble était une ancienne imprimerie ce sont
Des vers libres
Sauvages
Très
Haïku ta mère
Tremper vos esprits
Avec suint
Je vais arriver coi

Antoine Rabalour
Chaque matin
En arrivant
Disposait
Côte à côte
Quatre rangées de pommes queues en l’air
Pour les manger
Un faux sourire perpétuel sur les lèvres
Absolument consternant
On retrouve parfois
Vingt ans après
Des traces d’épluchures
Qu’il a craché toussant
Entre les feuilles
De la copie
Dans sa tombe
ô
La moisson
Des gloses

Mademoiselle Cralère faisait des recherches
D’un bureau l’autre la feuille à la main
Parfois peut-être était-elle fatiguée
Tenai talors sa feuille à l’envers
Qu’à cela Etienne l’empêchait pas de faire des recherches d’un bureau l’autre
À la tienne
Haut si
En bavardant
Fesses calées
Le rebord de la bibliothèque boudin
Blanc
Boudin
Bleu marine
Quel boudin
ô
Quel boudin
À l’arête de la planche

Mademoiselle Darlingue accrochait de toutes
Petites boulettes rouges
Dans les branches de l’oranger du Mexique
De Mademoiselle Piolette
Malaxées avec soin avec la peau du
Babybel
Il est joli plus
Ton arbre comme ça
Rutilait
Sous le soleil
Des vieux livres

Madame Van Naile lorsqu’elle avait fini
Son travail
Lisait un polar
Je n’ai plus rien à faire
Disait-elle
Chaque jour
De travail
Lorsque vous entriez
Oh la voyiez pas du tout
À son bureau au fond sur la moquette la mandarine
Professeur
Alors sa voisine faisait un petit signe de tête
Approchez approchez
Disait-elle n’ayez
Pas peur
Elle est là
Par terre allongée la papesse
Sur la moquette sale tachée
Derrière son bureau
Dormait le nez piqué
Dans un coussin sale aussi
Cela durait
Durait durait durait
Durait
Est-elle morte aujourd’hui
Syntaxe
Ma mère

Elle allait venait sur la coursive longeait
Rue Tournefort les bureaux aux portes
En verre dépoli se serait cru
Un grand paquebot blanc partance
Vers la haute mer
De la finance
Sur cette mer la tempête
Finirait par arriver
Ô
La tempête

Elle enfilait une manche de son gilet de laine
Une seule
Angora
L’autre pendait traînait ramasse la poussière les yeux le vague Traînaient
Derrière elle sa queue de robe son doudou réchauffait son bras malade lorsque vous croisiez son regard levait les yeux au ciel haussait disait ah l’hémiplégie c’est une cochonnerie ne manquait pas ses yeux bleus, plus bleus encore, derrière ses lunettes Cerclées d’or
De vous rendre
Un grand
Sourire

Elle aimait
Le mot « épatant »

Le comte de Courte dingue
Descendait de Saint-Louis
Parlez bas
Par les bâtards
Dans son bureau il y avait des tapis
Des très beaux énormément
Neuf tapis l’un sur l’autre c’étaient
Ils n’avaient pas tous la même dimension
Évidemment

Robert Podeau était vicomte
Il avait fait faire des étagères à sa mesure
Dont il était très fier, très
Les vérins métalliques
Cédèrent ah le poids des livres
Virtuel
Dont il attendait
Depuis un mois
La livraison

Dans le bureau du comte
Il y en avait un
De fauteuil Voltaire
Pour s’asseoir dessus
Et pourquoi on le ferait pas
Apporté par le comte
Pour le visiteur
On était Important
Quel charmant aristocrate c’était
Le comte
De vouloir que son visiteur soit assis
Mieux que lui
Alors il tournait
Lentement sa chaise
D’un côté l’autre
Vous regardait regarder la chaise
Tourner
De côté
Sous ses lunettes cerclées noir
Son œil noir
Malicieux
Couinez manège
Du bon passé

En son lieu et place !
Rugissait La Piolette
En brandissant ses feuilles
Au-dessus de sa tête agitée
Roulant des yeux de pythie
Qui connaît par cœur la langue française
Qui branlait comme une malade
C’est pas en ses lieux et place !
Regardez !
Alors elle ouvrit
Le petit Robert

La petite chose en bleue portait
Une robe bleue
Couleur de ciel

Elle trouva
La solution

Elle écrit flou
Elle rajoute des fautes
Il y en a Plus Encore
C’est Encore plus joli
Avec les fautes
Une correctrice hors pair
Elle trouva
La solution
Aussi

C’est la pause finale
La pause thé est-ce
La pause
Finale
Lutte en vain ma
Chance d’échapper au
Malheur
Être là nous
Encore
Ecrire encore écrire
Angkor

Un soir il s’adossa
Au papyrus de Madame Piolette
Vodka orange jus de fruit très peu
Un doigt un séquoia peut-être alors
Il est tombé par terre
C’est la faute à personne
Si l’alcool prend ses aises
Un peu partout
Il fumait des gitanes maïs
Fierté calme volupté
Aussi

Lui, le hongrois, il souriait
Vingt secondes au moins
Par minute
Pendant cinquante ans
Il aurait aimé
Surveiller les jeunes filles
La nuit de la bonne société
Dans un pensionnat
Des rêves plein la tête de pouvoir un jour
Croiser
Une belle de passage
Une coupe de champagne
À la main
Voir les bulles
S’élever
Dans son âme
À ailes

Et avec ça des idées d’écrire
Un gros roman voilà
La statue de La Liberté un beau soir
Sans qu’on s’en aperçut
Quitterait
Le port de New York traversant
Le ciel par-dessus l’Atlantique
Franchissant l’océan l’Europe
De l’Atlantique à l’Oural
On la verrait
Se rasseoir
À Moscou
Sur la place rouge les pavés gris
De la révolution d’octobre
C’était beau
Les pavés mouillés
La joie d’écrire
Dans son roman à lui
Cette année-là
J’écrivis
La trajectoire
De la solitude
C’était un titre, ça

Que ce serait un symbole d’ouvrir
Les frontières
Grâce à une statue
Hélas on connut
La fin
Avant qu’elle ne fût écrite
Le mur de Berlin s’écroula
Tout ce travail pour rien disait amer morne
Content de n’avoir plus à écrire rien cependant
Regarder encore les lignes d’ombre de la fenêtre aux stores perpétuellement fermés de son bureau
Qui donnait rue Victor Cousin il sautait
L’été par la fenêtre
Pour aller au petit cinéma du Panthéon
Il allait boire une bière
Juste à côté du cinéma au petit bar
Deux trois
Je le tiens ce nid de fauvettes !
Ils sont deux, trois, quatre petits !
Clamait-il
C’était le seul
Poème
Dont il se souvint
Deux vers seulement

Il apprit
Ce fut un mauvais jour
Que bat en anglais
C’était chauve-souris
Il découpa dans des feuilles de papier
Autocollant
La forme d’une chauve souris noire
Reproduite
Autant de fois que nécessaire
En haut à gauche de chaque première page
Blanche
De chaque article qu’il envoyait à imprimer
Colla une chauve-souris noire
Brillait
Déployait ses ailes noires
C’est le bon à tirer disait-il
À la Fabrication
Elle voulut décoller ce noir
Il dit serrons-nous la main
Avant la boîte finale
Vous enverrez les chauve-souris noires
Mon corbillard en tête
Je retrouvai dix mois plus tard
Dans son bureau un code civil rouge
Coincé entre deux livres
Il y avait une fiche à la page
Où s’ouvrait le chapitre
De l’extinction des servitudes

Monsieur Boulaouache passait ses journées assis près de l’horloge de la pointeuse attendant qu’on daignât lui donner un pli à distribuer
La Tunisie mon pays la mer ma patrie
Un soir un Monsieur
Monta la rue sous tes clameurs
Peuple Souverain
Ce fut ton Dernier
Grand soir

Monsieur Boulaouache
Serait mort d’avoir mangé trop épicé
Sa vie durant
Vous comprenez tout ce couscous avec l’harissa C’est mauvais pour nos intestins Moi je mange des pistaches C’est plein de vitamines Il avait déjà perdu ses cheveux Mais les pistaches allaient arranger ça Il les achetait par sac d’un kilo Y’a plus qu’à écosser
Lançait-il
Je ne suis pas certain que l’on écosse les pistaches
Lançai-je
Sa femme aurait eu des seins de marbre
Il prétendait
À quoi j’eus l’audace de répondre que
C’était froid
Dur le marbre ces petites choses-là tendres et tièdes
Eussent mérité mieux
La mienne fait très bien à manger disait Raymond
Ils fumaient ensemble de gros cigares
Buvant du vieux whisky
Deux nababs
Toussaient en chœur
Comme des enfants

Madame Chouplette pleurait dans son bureau
Chaque jour
En buvant sa canette de bière l’une après l’autre
Tellement Monsieur Napali la faisait rager
Car il la trouvait laide
Qu’il eût aimé avoir
Une petite assistante jeune et bien faite
Tout sourire efficace aurait été son action
Alors je recueillis Madame Chouplette
Elle fut heureuse
Et put finir nous entrerons dans la
Carrière
Tranquillement à la tombe tombe tombe
Je n’veux pas aller
Madame Chouplette maman
Je reçois encore parfois
De temps en temps une carte postale
De Madame Chouplette
Elle me parle de son fils
Qui vit au Canada
Et a réussi

Un jour de désœuvrement il prit sa belle plume pour taper une lettre invitant Alfred le Bousin le comte le vicomte vous savez
Qui suspendait son vélo au-dessus de la douche
Par manque d’espace
Au Congrès de Vienne
Vu que nos trois amis avaient des qualités véridiques incomparables de rédacteur qui étaient parvenues jusqu’à nous
Disait la lettre
Et que l’on aimerait bien savoir quels sont vos secrets pour clarifier si bien la source féconde et pure
Du droit français
Raison pour laquelle on vous invite
Messieurs les rédacteurs de la source pure du droit français
Au congrès de Vienne
A Vienne à l’Institut je sais plus
Quoi
C’est pas mal finalement
Ces allées
Venues
Sur la page
On dirait
Un poème
Suivait un nom ronflant
D’Institut turlututu
Inventé qui ronflait le nom
Et qui sentait le haut bourgeois cossu
Prestigieux grande classe ah mais non allô quoi c’est pas ta vous à l’Encyclopédie que ça arriverait pareille invitation, au congrès de Vienne, disait au comte
Qui
Descendait de Saint-Louis par les baguettes comment savoir avec tous ces quartiers
Dans un demi-sourire
Le vicomte
La lettre
Nos trois amis étaient fiers si si
Seraient partis mais le comte subodora
Le poteau rose
Lorsqu’il s’agît d’acheter les billets
De train
Partir pour râler où
Ramasser quoi sa médaille
Manger de bonnes pâtisseries
Au congrès de vienne
Laissez-moi
Maintenant
Dormir

Un peu

Un commentaire sur “De l’extinction des servitudes (poème)

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  1. À la virgule près
    J’ai prélevé trois de tes vers
    Recopiés à l’encre sympathique
    Sur l’enveloppe rouge babybel

    Le poteau rose
    La forme d’une chauve-souris noire
    Sous les pavés gris la place rouge

    Ça fait couleur de printemps
    M’a dit Victor
    Le roi n’était pas son cousin

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