Virgile STARK, Crépuscule des bibliothèques…

♦  Virgile STARK, Crépuscule des bibliothèques, Les Belles Lettres, 2015, 210 pages
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  » Je n’aime pas ce monde. Décidément, je ne l’aime pas. La société dans laquelle je vis me dégoûte ; la publicité m’écoeure ; l’informatique me fait vomir. Tout mon travail d’informaticien consiste à multiplier les références, les recoupements, les critères de décision rationnelle. Ça n’a aucun sens. Pour parler franchement, c’est même plutôt négatif ; un encombrement inutile pour les neurones. Ce monde a besoin de tout, sauf d’informations supplémentaires. »,
Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, collection J’ai Lu, page 82

Virgile Stark est bibliothécaire ; il a passé plus de dix ans à la Bibliothèque nationale de France, au cœur des grandes mutations du livre et du projet numérique, lit-on notamment sur la quatrième de couverture de son livre, paru récemment aux éditions Les Belles Lettres.

Contrairement à ce que cette expérience au service de la « dématérialisation du livre » laisserait supposer, de tout ça, du livre numérique, de ses nouveaux supports, blogs et autres, liseuses et tablettes, de toutes ces « babioles informatiques dernier cri », de « l’Ecran total », ‒ il n’en peut plus, il n’en veut plus, Virgile !

« On pourrait en pousser des cris d’alarme, à propos de pas mal de choses », s’exclamait Raymond Devos dans l’un de ses sketchs les plus célèbres. Ce qui laisserait entendre que l’abondance de ces cris en fait autant de coups d’épée dans l’eau.

Le danger que pointe Virgile Stark dans son essai, dont il analyse les signes et démonte les mécanismes avec clarté, passion, et conviction, mérite, pour sa part, d’être pris très au sérieux.

Virgule Stark, en effet, a un pressentiment ‒ c’est presque une prémonition ‒ qui le plonge dans l’effroi, ni plus ni moins : le livre numérique, qu’on le veuille ou non, va remplacer, dans un avenir proche, le livre papier ; toute coexistence entre l’un et l’autre est, ou sera rendue, impossible.

Principales conséquences ?

La fin de la lecture approfondie, en continu (une telle lecture sur un support numérique s’avérant impossible), et pour tout dire, ‒ la fin probable de la littérature !

En parallèle, la transformation des bibliothèques en lieux de divertissement et de convivialité, et non plus de culture.

L’essai de Virgile Stark se termine par une exhortation à la résistance. Hélas, les moyens dont disposent les « fidèles de lecture de tous horizons » (entendez par là ceux qui aiment lire dans un livre-papier), pour organiser cette résistance lui paraissent bien faibles, lorsqu’on les compare à ceux qu’oppose « la barbarie à visage numérique ».

À méditer.


 

Florilège

« L’écran voile le texte. L’épaisseur manque. La forme manque. Il n’y a rien à toucher, à flatter, à plier, à soumettre, à serrer, à soupeser, à effeuiller, à sentir et à malmener. Il n’y a rien à imaginer. Le lyber est désespérément plat, inodore, insipide et compact. Il est mille fois moins ingénieux que le codex. Il lui faut deux fois plus de temps pour trouver une page précise. Il est incapable de me montrer vingt pages en quelques secondes. Il ne m’autorise pas d’aller et venir au sein de son texte, sans fil directeur, par simple désir de butinage. Il empêche toute la rêverie autour du livre dont Borges disait qu’elle faisait partie intégrante de la lecture. », page 17

« Longtemps, même au pinacle de la marchandisation et de la reproductibilité, il a conservé son aura ; et cet écrin parfait de la Parole, ce récipient génial, a toujours été l’enjeu d’une croisade spirituelle, d’une foi ou d’une croyance. Aujourd’hui qu’un processus de désacralisation et d’hypertechnicisation arrive à son terme, cette aura qu’on pensait indestructible est entrée dans son éclipse. La magie s’est retirée du livre pour habiter la page-écran et la symbolique des réseaux. Le livre-objet part en poussière », page 22

« Maintenant que les écrans nous ont déjà brûlé la cervelle et mathématisé l’âme, il ne reste plus aux vendeurs de ce XXIème siècle qu’à apposer un label qualité sur la grande déchetterie numérique », page 101

« La population, quand elle entre dans une bibliothèque, ne vient plus chercher la culture ‒ ce labeur ingrat et peu rentable ‒, elle vient se distraire. », page 145

« Effet d’un emballement techno-financier perpétuel, la machine à lire (la liseuse) appartient déjà au passé, de cette transition nécessaire entre le livre et le très au-delà. Elle n’était qu’une transposition nostalgique de l’imprimé, dont nous sommes pour ainsi dire déjà guéris ; elle n’offrait pas « l’hyperconnectivité » des tablettes, elle n’incluait pas l’indispensable, c’est-à-dire le lien permanent avec la couche numérique de l’univers. Elle n’assouvissait pas pleinement le besoin du « confortable ». Muni de cet appareil hypocrite, le consommateur liquéfié n’y trouvait pas son compte : ne lui demandait-on pas de refaire cet effort de lecture dont il était en droit de vouloir se libérer ? », page 184

« Demain, toutes les techniques seront unifiées pour nous faire une belle chambre d’hôpital où nous serons placés en soins palliatifs éternels. », page 189

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