♦ Robert WALSER, Les enfants Tanner, 1907, Gallimard, Folio, n° 2380, 350 pages
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Florilège
« Un homme de devoir ne réussit jamais à remplir tous ses devoirs, et il peut même plus facilement qu’un autre passer à côté de ses devoirs les plus importants et ne s’en rendre compte que bien plus tard, peut-être trop tard », page 14
« Dieu sait ce qu’on exige d’un jeune débutant : l’ardeur au travail, l’honnêteté, la ponctualité, le tact, la sobriété, la modestie, la mesure, et la persévérance, et quoi encore. Mais a-t-on jamais songé à exiger d’un patron une vertu quelconque ? », page 18
« Toujours dans les lettres l’âme veut prendre la parole et en général elle se ridiculise », page 20
« il ne me viendrait jamais à l’idée de me reposer sur une seule et même profession comme sur un matelas », page 21
« Les pauvres ont généralement un cœur qui bat vite, un cœur fébrile, tandis que celui des riches est naturellement froid, vaste, bien chauffé, bien rembourré et cloué de partout ! », page 27
« Je ne trouve aucun charme à cette façon de se tenir toujours à carreau, simplement pour éviter la réputation d’être quelqu’un d’insatisfait et de peu recommandable à un employeur », page 45
« Vous, monsieur le Directeur, vous vous êtes retranché ici, vous n’êtes jamais visible, on ne sait aux ordres de qui on obéit, ou plutôt, on n’obéit pas, on ne fait que suivre mornement de vieilles habitudes qui connaissent le chemin. Quel piège à jeunes gens, pour peu qu’ils soient enclins au moindre effort et à la paresse ! On n’a que faire ici de toutes les forces qui se trouvent peut-être logées dans le cœur d’un garçon, on ne réclame rien qui puisse distinguer parmi d’autres un homme, une personne. Ni le courage, ni l’esprit, ni la loyauté, ni le travail, ni l’envie de créer quelque chose, ni le désir de l’effort ne sont d’une aide quelconque ici pour faire son chemin. Il est même mal vu de faire montre de sa force et de ses capacités. Et il est naturel que ce soit mal vu dans un système qui fait du travail une chose si lente, si lourde, si sèche, si pitoyable », page 46
« Je ne veux pas d’avenir, je veux du présent. Cela me paraît valoir plus. On n’a d’avenir que quand on n’a pas de présent, et quand on a un présent, on oublie complètement même de penser à l’avenir », page 46
« Tout ce qui ne fait que passer dans ce monde… Il faut faire des choses, faire encore et toujours des choses, on est là pour ça, pas pour avoir pitié », page 57
« Les destins humains ne sont-ils pas comme des dés que la vie secoue dans son cornet ? », page 68
« Je ne pourrais pas supporter l’amour après avoir supporté l’absence d’amour », page 89
« La vie est courte pour ceux qui se méfient, mais elle est longue pour ceux qui ont confiance », page 96
« Que voulons-nous, quand nous sommes charmés de voir un paysage reproduit sur un tableau ? Est-ce simplement une jouissance ? Non, nous voulons trouver l’explication de quelque chose mais d’une chose dont il est sûr qu’elle restera toujours inexplicable », page 117
« l’inquiétude est un sentiment indigne de l’homme », page 118
« Qu’était-ce donc qu’un mort ? Un encouragement à vivre. Rien de plus », page 138
« Ce n’est pas un homme, c’est un mélange de petit garçon et de géant. Un homme n’a pas honte d’être bouleversé par ce qu’il ressent, mais un petit garçon, oui, parce qu’il veut être plus qu’un homme sincère, parce qu’il veut être un géant, être toujours fort et non pas faible aussi de temps en temps. Un petit garçon possède des vertus chevaleresques dont l’homme mûr et raisonnable s’est débarrassé, comme d’inutiles accessoires de la fête de l’amour. Un petit garçon est moins lâche qu’un homme, parce qu’il est moins mûr, la maturité rend facilement abject et égoïste. Il suffit de regarder les lèvres dures, mauvaises d’un petit garçon : l’image même du défi et de l’entêtement à tenir une promesse qu’on s’est faite secrètement une fois à soi-même. Un petit garçon tient sa parole ; un homme préfère la briser. Le petit garçon trouve de la beauté dans la dureté de la parole donnée et l’homme trouve de la beauté à dénouer une promesse ancienne en en faisant une nouvelle qu’il s’engage sur sa parole d’homme à tenir. L’homme promet, le petit garçon, lui, accomplit », page 146
« Peut-on franchir toute une vie avec une idée ? Gare au jour où cette idée à laquelle on sacrifie tout le reste vous devient indifférente, où l’on n’est plus capable d’y mettre la passion qu’il faudrait pour justifier l’échange », page 172
« Faut-il toujours que ce soit la faute de ces pauvres femmes si les hommes ont du malheur ? », page 244
« Si le malheur fond sur vous, eh bien, c’est qu’il y a dans votre façon d’être tout ce qu’il faut au destin pour construire commodément un malheur », page 244
« C’est le destin, le malheur, qui est beau. Il est bon : car il contient aussi son contraire, le bonheur. Il vient avec ces deux armes. Il a une voix terrible qui vous anéantit, mais il a aussi une voix douce qui vous caresse. Il éveille une nouvelle vie après qu’il a abattu la vieille qui ne lui plaisait pas. Il nous incite à mieux vivre. Nous lui sommes redevables de toute beauté à venir, si nous espérons encore rencontrer la beauté », page 247
« Bien sûr, je pense parfois que tu finiras par t’en sortir et je me sens plus tranquille. L’idée que tu deviendras peut-être un jour quelqu’un qui se rend utile aux autres et qui sait ce qu’il veut pour lui m’a toujours fait du bien au cœur. Tu as autant qu’un autre besoin d’estime et même plus qu’un autre parce que tu possèdes des qualités que d’autres n’ont pas ; elles sont seulement chez toi trop ambitieuses, trop chaleureuses. Il ne faut pas vouloir trop de choses, ni vouloir trop exiger de soi, et en souffrir, comme tu fais. Cela fait du mal, cela vous use et vous rend finalement froid, crois-moi. Si tu ne trouves pas, jusqu’à la plus petite chose en ce monde, comme tu le souhaiterais, cela ne te donne pas encore le droit de bouder. Il y a place aussi pour les idées et les goûts des autres, et les trop bonnes résolutions ont plus souvent pour effet d’empoisonner les cœurs, c’est assez triste à dire. Tu aimes trop sauter d’une chose à l’autre, il me semble. On dirait que tu ne poursuis un but que pour le plaisir de t’essouffler à l’ atteindre. Cela ne vaut rien. Laisse donc à la journée son cours naturel, jusqu’à ce qu’elle s’achève d’elle-même tranquillement, et sois donc un peu plus fier d’avoir su la suivre à ta main, c’est-à-dire humainement après tout. », page 312
« Etonnant : le temps passait sur les bonnes résolutions avec autant d’assurance que sur les mauvaises habitudes. (…) Il faisait paraître beaucoup de choses petites et sans intérêt ; car lui seul signifiait le sublime et le grand », page 313
« Qu’apprend-on à mesure qu’on juge mieux les gens ? La chose la plus simple qui soit : à être aimable avec tout le monde ! », page 319
« Ah, regarder vers l’avenir, c’est tellement mieux que de rêver du passé. On rêve aussi quand on se projette dans l’avenir. Ne serait-il pas plus sage, quand on possède un esprit sensible, de consacrer son énergie et son intelligence aux jours qui se préparent plutôt qu’à ceux qu’on a déjà vécus ? Les temps à venir sont comme nos enfants, qui ont bien plus besoin de notre attention que les morts dont nous fleurissons les tombes avec amour, et peut-être aussi un peu d’exagération », page 321
« Ces deux vieux savaient ce qu’ils voulaient, même s’ils étaient dans l’erreur. Mais que pouvait bien encore signifier l’erreur ici ? Quand à soixante ou soixante-dix ans on se règle encore obstinément sur une erreur, il n’y a plus rien à en dire, sauf qu’elle mérite absolument la considération des plus jeunes », page 323
« or les femmes c’est une espèce de mélange entre le besoin de tendresse et une attirance pour le danger, dont elles veulent sentir toujours la menace », page 326
« il n’est pas convenable de déplier le malheur, de lui enlever sa solennité, d’ôter son voile à la tristesse, qui n’est belle que si l’on garde le silence sur ces choses-là », page 329
« là où les pauvres ont de l’argent, les riches ne sauraient en manquer », page 334
« C’est une chance d’être sorti de l’enfance, car elle n’est pas seulement faite de beauté, de grâce et de légèreté, elle est souvent plus lourde à porter que la vieillesse, plus pleine de soucis », page 336
« Je ne m’inquiète pas, je finirai bien par prendre forme un jour ou l’autre, mais si ce doit être ma forme définitive, je voudrais que ce soit le plus tard possible. Et je préférerais que cela se fasse tout seul, sans préméditation de ma part », page 338
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