Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions, folio classique n° 2776, préface de J.-B. Pontalis

Voir aussi : Les Nouveaux chemins de la connaissance, Adèle Van Reeth, semaine consacrée à l’autobiographie du philosophe suisse, ici

Florilège

« J’ai remarqué depuis que cette manière sèche d’interroger les gens pour les connaître est un tic assez commun chez les femmes qui se piquent d’esprit. Elles s’imaginent qu’en ne laissant point paraître leur sentiment, elles parviendront à mieux pénétrer le vôtre : mais elles ne voient pas qu’elles ôtent par là le courage de le montrer. Un homme qu’on interroge commence par cela seul à se mettre en garde, et s’il croit que, sans prendre à lui un véritable intérêt, on ne veut que le faire jaser, il ment, ou se tait, ou redouble d’attention sur lui-même, et aime encore mieux passer pour un sot que d’être dupe de votre curiosité. Enfin c’est toujours un mauvais moyen de lire dans le cœur des autres que d’affecter de cacher le sien », page 122

« Il me fit un tableau vrai de la vie humaine, dont je n’avais que de fausses idées ; il me montra comment, dans un destin contraire, l’homme sage peut toujours tendre au bonheur et courir au plus près du vent pour y parvenir ; comment il n’y a point de vrai bonheur sans sagesse, et comment la sagesse est de tous les états. Il amortit beaucoup mon admiration pour la grandeur en me prouvant que ceux qui dominaient les autres n’étaient ni plus sages ni plus heureux qu’eux. Il me dit une chose qui m’est souvent revenue à la mémoire, c’est que si chaque homme pouvait lire dans les cœurs de tous les autres, il y aurait plus de gens qui voudraient descendre que de ceux qui voudraient monter. Cette réflexion, dont la vérité frappe, et qui n’a rien d’outré, m’a été d’un grand usage dans le cours de ma vie pour me faire tenir à ma place paisiblement. Il me donna les premières vraies idées de l’honnête, que mon génie ampoulé n’avait saisi que dans ses excès. Il me fit sentir que l’enthousiasme des vertus sublimes était peu d’usage dans la société, qu’en s’élançant trop haut on était sujet aux chutes ; que la continuité des petits devoirs toujours bien remplis ne demandait pas moins de force que les actions héroïques ; qu’on en tirait meilleur parti pour l’honneur et pour le bonheur ; et qu’il valait infiniment mieux avoir toujours l’estime des hommes que quelquefois leur admiration », page 133

« Votre début, me dit-il, est la règle de ce qu’on exigera de vous : tâchez de vous ménager de quoi faire plus dans la suite, mais gardez-vous de faire jamais moins », page 136

« L’innocence des mœurs a sa volupté, qui vaut bien l’autre, parce qu’elle n’a point d’intervalle et qu’elle agit continuellement », page 187

« Parmi le peuple, où les grandes passions ne parlent que par intervalles, les sentiments de la nature se font plus souvent entendre. Dans les états plus élevés ils sont étouffés absolument, et sous le masque du sentiment il n’y a jamais que l’intérêt ou la vanité qui parle », page 198

« Il est certain que les entretiens intéressants et sensés d’une femme de mérite sont plus propres à former un jeune homme que toute la pédantesque philosophie des livres », page 225

« Ma mauvaise tête ne peut s’assujettir aux choses. Elle ne saurait embellir, elle veut créer. Les objets réels s’y peignent tout au plus tels qu’ils sont ; elles ne sait parer que les objets imaginaires. Si je veux peindre le printemps, il faut que je sois en hiver ; si je veux décrire un beau paysage, il faut que je sois dans des murs ; et j’ai dit cent fois que si j’étais mis à la Bastille, j’y ferais le tableau de la liberté », page 226

« … si je n’aime pas à vivre parmi les hommes c’est moins ma faute que la leur », page 246

« Nous sommes si peu faits pour être heureux ici-bas, qu’il faut nécessairement que l’âme ou le corps souffre quand ils ne souffrent pas tous les deux, et que le bon état de l’un fait presque toujours tort à l’autre », page 314

« … la curiosité rend ces coquines de femmes si insinuantes, que pour parvenir à connaître un homme, elles commencent par lui faire tourner la tête », page 315

« Elle avait ses raisons pour être facile, c’était le moyen de valoir tout son prix. On pouvait la voir sans l’aimer, mais non pas la posséder sans l’adorer », page 319

« Les Français n’ont soin de rien et ne respectent aucun monument. Ils sont tout feu pour entreprendre et ne savent rien finir ni rien conserver », page 324

« Tout au contraire des théologiens, les médecins et les philosophes n’admettent pour vrai que ce qu’ils peuvent expliquer, et font de leur intelligence la mesure des possibles. Ces messieurs ne connaissent rien à mon mal, donc je n’étais pas malade : car comment supposer que des docteurs ne sussent pas tout ? », page 327

« Une des grandes maximes de la société qui est d’immoler toujours le plus faible au plus puissant », page 402

« La justice et l’inutilité de mes plaintes me laissèrent dans l’âme un germe d’indignation contre nos sottes institutions civiles, où le vrai bien public et la véritable justice sont toujours sacrifiés à je ne sais quel ordre apparent, destructif en effet de tout ordre, et qui ne fait qu’ajouter la sanction de l’autorité publique à l’oppression du faible et à l’iniquité du fort », page 403

« On dirait qu’il n’y a que les noirs complots des méchants qui réussissent ; les projets innocents des bons n’ont presque jamais d’accomplissement », page 406

« avec quelque talent qu’on puisse être né, l’art d’écrire ne s’apprend pas tout d’un coup », page 431

« Du faible au fort, ce serait voler ; du fort au faible, c’est seulement s’approprier le bien d’autrui », page 469

« Mais je payai bien l’aisance pécuniaire où me mit cette pièce, par les chagrins infinis qu’elle m’attira. Elle fut le germe des secrètes jalousies qui n’ont éclaté que longtemps après. Depuis son succès, je ne remarquai plus ni dans Grimm, ni dans Diderot, ni dans presque aucun des gens de lettres de ma connaissance, cette cordialité, cette franchise, ce plaisir de me voir, que j’avais cru trouver en eux jusqu’alors », page 470

« Rien de vigoureux, rien de grand ne peut partir d’une plume toute vénale. (…) j’ai toujours senti que l’état d’auteur n’était, ne pouvait être illustre et respectable qu’autant qu’il n’était pas un métier. Il est trop difficile de penser noblement quand on ne pense que pour vivre », page 489

« C’était, ce me semblait, un trait de politique très simple et cependant très adroite, de se faire un mérite de tolérer ce qu’on ne pouvait empêcher », page 493

« Les femmes ont toutes l’art de cacher leur fureur, surtout lorsqu’elle est vive », page 538

« Je savais que tout mon talent ne venait que d’une certaine chaleur d’âme sur les matières que j’avais à traiter, et qu’il n’y avait que l’amour du grand, du vrai, du beau, qui put animer mon génie. (…) On s’imaginait que je pouvais écrire par métier, comme tous les autres gens de lettres, au lieu que je ne sus jamais écrire que par passion », page 613

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