Florilège
« Car les détails, comme chacun le sait, conduisent à la vertu et au bonheur ; les généralités sont, au point de vue intellectuel, des maux inévitables. Ce ne sont pas les philosophes, mais ceux qui s’adonnent au bois découpé et aux collections de timbres, qui constituent l’armature de la société. », page 22
« Et c’est là, dit sentencieusement le Directeur, en guise de contribution à cet exposé, qu’est le secret du bonheur et de la vertu, aimer ce qu’on est obligé de faire. Tel est le but de tout conditionnement : faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent échapper. », page 35
« Les primevères et les paysages, fit-il observer, ont un défaut grave : ils sont gratuits. L’amour de la nature ne fournit de travail à nulle usine. On décida d’abolir l’amour de la nature, du moins parmi les basses classes, d’abolir l’amour de la nature, mais non point la tendance à consommer du transport. Car il était essentiel, bien entendu, qu’on continuât à aller à la campagne, même si l’on avait cela en horreur. Le problème consistait à trouver à la consommation du transport une raison économiquement mieux fondée qu’une simple affection pour les primevères et les paysages. Elle fût dûment découverte. – Nous conditionnons les masses à détester la campagne, dit le Directeur pour conclure, mais simultanément nous les conditionnons à raffoler de tous les sports en plein air. En même temps, nous faisons le nécessaire pour que tous les sports de plein air entraînent l’emploi d’appareils compliqués. De sorte qu’on consomme des articles manufacturés, aussi bien que du transport. », page 41
« Pour gouverner il s’agit de siéger, et non pas d’assiéger. On gouverne avec le cerveau, et avec les fesses, jamais avec les poings. », page 68
« Les mots peuvent ressembler aux rayons X : si l’on s’en sert convenablement, ils transpercent n’importe quoi. On lit, et l’on est transpercé. Voilà l’une des choses que j’essaie d’apprendre à mes étudiants – à écrire d’une façon perçante. », page 90
« L’une des fonctions principales d’un ami consiste à subir (sous une forme plus douce, et symbolique) les châtiments que nous désirerions, sans le pouvoir, infliger à nos ennemis. », page 202
« Le savoir était le dieu le plus élevé, la vérité, la valeur suprême ; tout le reste était secondaire et subordonné. Il est vrai que les idées commençaient à se modifier, dès cette époque. Notre Ford lui-même fit beaucoup pour enlever à la vérité et à la beauté l’importance qu’on y attachait, et pour l’attacher au confort et au bonheur. La production en masse exigeait ce déplacement. Le bonheur universel maintient les rouages en fonctionnement bien régulier ; la vérité et la beauté en sont incapables. Et, bien entendu, chaque fois que les masses se saisissaient de la puissance politique, c’était le bonheur, plutôt que la vérité et la beauté, qui était important. Néanmoins, et en dépit de tout, les recherches scientifiques sans restriction étaient encore autorisées. On continuait toujours à parler de la vérité et de la beauté comme si c’étaient là des biens souverains. Jusqu’à l’époque de la Guerre de Neuf Ans. Cela les fit chanter sur un autre ton, je vous en fiche mon billet ! Quel sel ont la vérité ou la beauté quand les bombes à anthrax éclatent tout autour de vous ? C’est alors que la science commença à être tenue en bride, après la Guerre de Neuf Ans. A ce moment-là, les gens étaient prêts à ce qu’on tînt en bride jusqu’à leur appétit. N’importe quoi, pourvu qu’on pût vivre tranquille. Nous avons continué, dès lors, à tenir la bride. Cela n’a pas été une fort bonne chose pour la vérité, bien entendu. Mais ça été excellent pour le bonheur. Il est impossible d’avoir quelque chose pour rien. Le bonheur, il faut le payer. », page 253
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