Dans mon petit panthéon perso, au sein de cette lignée d’auteurs que je qualifie d’« insolents » (Voir ici), ‒ j’inclurais volontiers Béatrix Beck.
Récemment ‒ récemment pour moi, en juin 2014 pour être précis ‒, aux éditions du Chemin de fer, a paru La double réfraction du spath d’Islande. Il s’agit d’un recueil de nouvelles et de textes autobiographiques ; sachant que Béatrix Beck ne faisait aucune différence entre l’un et l’autre genre, nous signale son éditeur. Pour la simple raison (c’est du moins mon intuition) que les sujets de ses nouvelles sont inspirés également de sa propre vie.
Une bonne partie de cet ensemble de textes est inédite (ils ont été retrouvés dans ses archives). Toutefois, certains ont déjà fait l’objet d’une publication isolée, en revue ou dans les journaux. Le recueil comporte « 43 nouvelles et textes autobiographiques » ; ils ont été écrits « sur près de 50 années ». Ce recueil « dresse en creux le portrait d’un écrivain incontournable dont la vie et les livres sont intimement mêlés ».
De Béatrix Beck, je n’avais lu que ses poèmes, d’une grande fantaisie et d’une extrême liberté de ton (Ces poèmes ont été publiés en 2013, aux éditions du Chemin de fer également, sous le titre Entre le marteau et l’écume & Autres poèmes ; Voir ici l’article, enthousiaste, élogieux, que je leur consacre).
La double réfraction du spath d’Islande est une petite merveille, vite dévorée, de 188 pages. D’une manière générale, l’auteur qualifiait elle-même ainsi son style :
« Quand j’étais enfant, mon écriture était pompeuse ou archaïsante. Après, ç’a été le style qu’on appelle blanc et que j’appelle incolore. Maintenant c’est n’importe quoi pourvu que ça me plaît ».
Voilà qui ne manque ni de piquant ni d’allure ! Mais naturellement, ce n’importe quoi n’est pas un n’importe comment…
Il faut dire que Béatrix était, de surcroît, l’ami de Roger Nimier (encore un insolent celui-là, Cf. Le hussard bleu, son roman le plus célèbre, ici par exemple). Elle évoque, avec beaucoup de tendresse, la figure de Roger Nimier dans l’un de ses textes autobiographiques (Dieudonné, page 139). De Roger Nimier, elle dit : « un garçon terriblement beau… terriblement taquin aussi… » et conclut, provisoirement : « Ce timide remportait chaque fois la victoire sur sa timidité » ; elle dit encore ceci : « Ivre de champagne ou autres alcools, il parlait de lui-même à la troisième personne : « Nimier n’a jamais froid. Nimier n’a jamais peur. » ; et ceci encore : « Téléphonez-moi quand vous vous ennuyez. Moi c’est toujours ».
Le titre, mystérieux, énigmatique, et pour cela très séduisant : La double réfraction du spath d’Islande, est un choix de l’éditeur. Il s’en explique à la fin du livre (page 182). Ce titre lui a été soufflé par Béatrix Beck elle-même. Béatrix Beck en effet, dans le texte autobiographique lui un instant (page 119), évoquait déjà son souhait d’écrire un livre intitulé La double réfraction du spath d’Islande ; « sans savoir qu’y mettre », ajoutait-elle.
Le « lui » de lui un instant, en l’occurrence c’est « elle » ‒ car c’est une femme ; mais c’est aussi et par-dessus tout un être « merveilleusement garçonnier »…
Explication : Béatrix, alors élève de 4 ème au lycée de filles Claude Debussy à Saint Germain-en-laye, tombe follement amoureuse de cet être « merveilleusement garçonnier », dès qu’il lui apparaît la première fois :
« Cheveux noirs, petites oreilles. Grands yeux vert bronze, l’air grave. Il portait une blouse blanche. Espoir presque enivrant de l’avoir pour prof. Nous l’eûmes, en géologie. Dépassant de la blouse blanche, ses jambes gainées de bas prouvèrent qu’il s’agissait d’une femme. Mon saisissement n’eut pas le temps de devenir déception. », page 119.
Un jour, lui, donc elle, Pompéi – la prof de géologie s’appelle Pompéi – distribue à ses élèves des pierres à identifier. Celle qui échoit à Béatrix est un spath d’Islande, une pierre de calcite transparente, possédant bel et bien cette étrange propriété de double réfraction (Sur ce phénomène, naturel, de double réfraction du spath d’Islande, les plus curieux pourront se reporter ici :
Béatrix Beck, dans lui un instant, poursuit :
« Ma pierre était aussi sensationnelle que Pompéi elle-même, comme si celle-ci avait créé celle-là : le spath d’Islande à la double réfraction. Ce caillou, transparent comme la vitre à travers laquelle j’avais vu l’amour – posé sur quelques mots de mon cahier, les multipliait par deux, leur donnait une ombre, à la manière du soleil. J’ai souhaité depuis écrire un livre intitulé La double réfraction du spath d’Islande, sans savoir qu’y mettre. »
Et voilà comment ce titre, et cette phrase (figurant en incipit) d’où il est extrait, ont donc été judicieusement repris par l’éditeur : bel hommage posthume, sans avoir l’air d’y toucher, rendu à l’auteur.
Petit florilège
« Je désire être inhumée avec ma blouse gorge-de-pigeon, ma jupe lilas, ma veste prune, ma cape bleu nuit, mes souliers feuille-morte, mon collier de graines et mon passe-muraille. Je lègue mes instruments de jardinage au cantonnier et mes livres au facteur, sauf le Dictionnaire Universel qui sera placé entre mes mains », page 37
« Je m’intéresse à vous. Vous avez tort, il faut se foutre les uns des autres », page 44
« C’est dangereux d’avoir des parents et le parricide est interdit. La meilleure façon de s’en tirer, c’est la maladie mentale, désert doux », page 46
« Je veux qu’on procède en moi à l’ablation de Dieu », page 47
« Ils ne veulent pas me donner de papier ni de crayon, ils ont peur que j’écrive un poème », page 48
« Il y a beaucoup de fous, je ne suis pas un original. On est une grande famille mais on ne se connaît pas, on est brouillés même avec nous-mêmes », page 48
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En juin de cette année, vient également de paraître, toujours de Béatrix Beck, et toujours aux éditions du Chemin de fer (Voir ici), Bribes. Il s’agit d’un recueil de » réflexions sur l’existence, la vieillesse et la mort, phrases entendues, observation de la nature et des animaux, en particulier des chats qu’elle aimait tant, jeux de mots… « . La particularité du livre est de reproduire les manuscrits de l’auteure. C’est un petit livre de 64 pages, avec un beau graphisme.
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