Giacomo LEOPARDI, L’art de ne pas souffrir, Choix de lettres (1817-1837)

Giacomo LEOPARDI, L’art de ne pas souffrir,  Choix de lettres (1817-1837), Traduit de l’italien, annoté et préfacé par Philippe Audegean, Rivages poche, Petite bibliothèque, 2017 (texte établi sur la base de l’édition italienne de Lettere, Rolando Damiani (éd.), Milan, Mondadori, 2006), 142 pages

Giacomo Leopardi : imaginez un homme, ou plutôt un enfant ‒ laid et bossu. Dès l’âge de dix ans, il passe le plus clair de son temps dans la bibliothèque de son père, le comte Monaldo Leopardi, écrivain lui aussi. Pauvre, Giacomo passera l’essentiel de sa vie dans la maison familiale, à Recanati, une petite ville de la région des Marches, sur la mer Adriatique.

« Sept années de folles études désespérées » où il apprend seul le latin, le grec, l’hébreu et plusieurs langues modernes dont l’anglais et le français (source Wikipédia, ici).

Giacomo Leopardi meurt jeune, à Naples, en 1837 ; il a 39 ans. Dans la dernière de ses lettres, adressée à son père une quinzaine de jours avant sa mort, il conclut ainsi : « je vous prie tous de me recommander à Dieu afin que, après que je vous aurai revus, une bonne et prompte mort mette rapidement fin à des maux physiques qui ne sauraient guérir autrement. ».

Giacomo Leopardi est considéré aujourd’hui comme le plus grand poète, romantique, de langue italienne du XIXème siècle. Mais il est aussi philosophe. En témoignent ces deux œuvres majeures que sont le Zibaldone di pensieri, sorte de journal de ses pensées, monument de plus de 2000 pages judicieusement indexé ; et cet autre ouvrage, d’un volume plus modeste, mais d’un grand impact, intitulé également : Pensées (Voir ici) ; au nombre de 111, ces pensées sont extraites d’ailleurs du Zibaldone.

Profondément pessimiste, affaibli par l’étude, en mauvaise santé, quasiment aveugle, appelant la mort de ses vœux dès son jeune âge, Leopardi est le « grand poète du malheur humain ». « Je pleure la misère des hommes et le néant des choses », écrit-il à son ami Pietro Giordani en décembre 1819 ; il a 21 ans.

31 lettres sont ici rassemblées ‒ une sélection au goût de trop peu ‒, sous un titre accrocheur et séduisant (qui serait presque de nature à induire en erreur s’il n’était rappelé, à l’intérieur, qu’il s’agit d’un choix de lettres, et non d’un petit livre de développement personnel !) : « L’art de ne pas souffrir » (Cf. L’Art d’avoir toujours raison, d’Arthur Schopenhauer, chantre du pessimisme lui aussi ; Voir ici).

Florilège

« Chacun est amené à désirer que la vertu n’aille pas sans quelque ornement extérieur ; et quand on la trouve entièrement nue, on s’en attriste, et par une force naturelle qu’aucune sagesse ne peut vaincre, on n’a presque plus le courage d’aimer un homme vertueux qui n’a rien de beau que son âme », page 30

« Combien je déteste par-dessus tout la maudite affectation qui corrompt toute la beauté de ce monde », page 40

« Je ne tiens pas les illusions pour de simples vanités, mais pour des choses substantielles à certains égards, puisqu’elles ne sont pas le caprice particulier de tel ou tel, mais qu’elles sont naturelles et essentiellement innées en chacun de nous, et composent toute notre vie », page 43

« on a dit avec raison que celui qui n’a pas été malheureux ne sait rien. Or il est tout aussi vrai que le malheureux ne peut rien. », page 52

« si de nombreux savants ont compris la tristesse et la vanité des choses, moi, comme bien d’autres, j’ai également compris la tristesse et la vanité du savoir. », page 52

« Je t’avoue aussi qu’avoir vu de près la fausseté, l’insignifiance et la sottise des jugements littéraires, ainsi que l’universelle incapacité à reconnaître ce qui est vraiment bon, excellent et approfondi pour le distinguer du mauvais, du médiocre et de ce qui ne coûte aucun effort, me fait tenir pour presque inutile la perfection exténuante et minutieuse de l’écriture que j’ai toujours recherchée, sans laquelle je n’ai cure de composer et dont je sais parfaitement qu’elle ne sera jamais perçue et appréciée que par deux ou trois personnes en tout et pour tout. », page 87

« Je n’ai écrit de ma vie qu’un tout petit nombre de poèmes, tous très courts. En les écrivant, je n’ai jamais suivi que mon inspiration (ou mon délire) : lorsqu’elle celle-ci survient, je forme en deux minutes le dessin et la distribution du poème. Cela fait, je dois toujours attendre d’être à nouveau en veine, et quand je le suis à nouveau (ce qui n’arrive habituellement que quelques mois plus tard), je me mets à composer, mais avec une telle lenteur qu’il ne m’est pas possible d’achever un poème, même très courte, en moins de deux ou trois semaines. », page 90

« J’étudie jour et nuit quand ma santé me le permet. Quand elle ne le permet pas, je fais les cent pas dans ma chambre pendant quelques mois, puis je reviens à mes études, et c’est ainsi que je vis. », page 94

« En particulier, je n’arrive pas à me mettre dans le crâne l’idée que les connaissances politiques et la science de l’Etat soient le couronnement du savoir humain. Si on considère philosophiquement l’inutilité presque parfaite des études faites depuis l’époque de Solon pour atteindre la perfection des sociétés civiles et le bonheur des peuples, cette fureur de calcul et d’élucubrations politiques et législatives me fait même doucement rire », page 111

 

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