« – Il n’y a peut-être pas de morale, osa suggérer Alice.
– Taratata, mon enfant ! Tout a une morale, il suffit de la trouver. »
Avant, rose était fille et bleu garçon. Il y avait les quilles à la vanille, il y avait les gars au chocolat, comme dans la chanson. A l’école, dans la cour de récréation, il y avait le côté filles et le côté garçons, ou il y avait l’école des filles et l’école des garçons. Il y avait les billes de terre, les agates en verre, et les calots en acier. Il y avait « Je déclare la guerre… », il y avait la corde à sauter, la marelle, la balle au prisonnier, et il y avait « un deux trois soleil » et chat perché ! Il y avait les cris et des bagarres – du sang ! du sang ! que ça criait, faisant cercle autour des combattants. Il y avait les conciliabules, les médisances et les complots, côté filles ! Il y avait les poupées en chiffon, les baigneurs en celluloïd, les trains électriques, les petites autos, et puis il y eut le foot et la télé, et les premières cigarettes, et, pour certains, le premier joint…
Et dire que probablement je mourrais sans avoir jamais fumé du cannabis.
Dans mon enfance, je lisais Akim, Blek le roc, Kit Carson ; de petits illustrés que j’achetais, que j’échangeais au Square des Batignolles, ou qu’il m’arrivait de gagner en jouant aux billes de terre.
Le long du square, le long des voies ferrées ‒ A la gare Saint-Lazare, A l’horloge pendue, J’ai compté quatre quarts, Et tant de pas perdus (1) ‒ , il y avait un grand, un large trottoir, vingt mètres de large sur deux cents de long, pas moins. Les trains grondaient en contrebas, dans la fosse. Là-haut, derrière les grilles, la fumée des locomotives enveloppait les patineurs, et le ciel par-dessus les arbres avalait la fumée.
Anna Karénine, un merveilleux roman.
Ai-je lu Alice au pays des merveilles lorsque j’étais enfant ? dans une version résumée, édulcorée peut-être ? Il est probable que j’ai eu, un jour, chez un « petit camarade » comme on disait alors, le livre en mains. Je n’en ai gardé aucun souvenir, même pas une simple image. Alice au pays des merveilles, sans que j’ai eu besoin de me le dire pour m’en convaincre, c’était un livre pour les filles.
Alice au pays des merveilles, je ne vous apprends rien, c’est un chef-d’oeuvre.
Début juillet, je suis parti en Savoie, et Alice je l’ai lu. M’a rien fait ; enfin, pas grand-chose ; la faute à la montagne. Comment peut-on imaginer qu’un livre, si beau soit-il, puisse s’imposer face à pareille splendeur ? Il y a pourtant, dans l’une comme dans l’autre, cette paisible, cette terrifiante beauté…
Tout de même, dans Alice, ce qu’on appelle parfois « le sous-texte », pour nous les adultes, c’est intéressant. « Peut-être qu’au non-sens, c’est à la découverte d’un sens caché que semble inviter le texte » (Laurent Bury, Introduction, page 29).
Dès le deuxième paragraphe : « Elle se demandait si le plaisir de fabriquer une guirlande de marguerites vaudrait la peine de se lever et de cueillir des marguerites, lorsque tout à coup un lapin Blanc aux yeux roses passa près d’elle en courant ».
Vous êtes là, vous vous morfondez ‒ à quoi bon lire et écrire sans compter, hein ? ‒ quand soudain les premiers mots vous traversent, et vous vous précipitez pour les écrire !
Vous êtes là, vous languissez, dépérissez (plus ou moins), quand soudain le Prince charmant apparaît, et vous avez envie de le suivre jusqu’au bout de la terre !
En lisant l’introduction écrite par Laurent Bury, je me suis demandé si l’auteur, de son vrai nom Charles Dodgson, – dit « Dodo » parce qu’il avait tendance à bégayer –, plus connu sous son pseudonyme de Lewis Carroll, était vraiment pédophile ? (comme David Hamilton, à ce que l’on prétend) ; ou si, simplement, comme vous et moi je suppose, et comme Michel Tournier (2), il aimait beaucoup les enfants ? Si cette question vous intéresse, vous trouverez certainement dans l’introduction de Laurent Bury et les références auxquelles il renvoie, de quoi satisfaire votre curiosité.
Comme bon nombre d’écrivains finalement (c’est encore plus vrai à notre époque je trouve), Lewis Carroll ne quitta jamais l’école. Je veux dire par là qu’après avoir été un élève, il fut un étudiant, en l’occurrence à Oxford, puis un professeur, de mathématiques. Il ne quitta son Angleterre natale qu’une fois « pour un voyage qui l’entraînera jusqu’en Russie ».
Lewis Carroll fut un passionné de photographie. « Pendant vingt-cinq ans, il va s’adonner avec passion à ce qui est bien plus qu’un simple divertissement : une véritable quête de la beauté, qu’il trouve plus particulièrement chez les fillettes », Introduction, page 9.
Lorsqu’il rencontre Alice Liddell, pour qui il écrira, à sa demande, quelques mois plus tard, Alice au pays des merveilles, la fillette n’a que 4 ans ; nous sommes en 1856, Lewis Carroll lui en a 24. Une brouille surviendra quelques années après avec les parents d’Alice Liddell. Il se pourrait, nous dit Laurent Bury (page 11), que la cause de cette brouille ait résidé dans une demande en mariage repoussée par les parents d’Alice. A l’époque, en effet, l’âge légal du mariage en Angleterre est de douze ans pour les filles !
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- A la gare Saint-Lazare, chanson de Colette Deréal.
- On se souvient que dans Le roi des Aulnes, le héros, Abel Tiffauges, sauve un enfant juif pendant la seconde guerre mondiale, s’enfuyant avec lui dans les marais en le portant sur son dos.
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