Emily BRONTË, Les Hauts de Hurle-Vent, Le Livre de Poche

Emily BRONTË, Les Hauts de Hurle-Vent (Wuthering Heights), Préface de Michel Mohrt, Commentaires de Raymond Las Vergnas, Traduction de Frédéric Delebecque, Le Livre de Poche, 478 pages

« C’est une fresque atroce, pleine de bruit et de fureur, qui se situe à mi-chemin entre la tragédie élisabéthaine et Faulkner », Raymond Las Vergnas, page 452

Je viens de relire avec bonheur Les Hauts de Hurle-Vent, roman inoubliable, dans son principe ; alors que je séjournais en Savoie, et que chaque jour j’avais le Mont-Blanc sous les yeux.

Wuthering Heights :

Wuthering Heights a été traduit dans pratiquement toutes les langues. En français, il existe pas loin d’une vingtaine de traductions en à peu près un siècle. En anglais, le titre est une perfection ; ce n’est pas toujours le cas en français (1).

Le roman  fut publié en 1847 sous le pseudonyme d’Ellis Bell, il fit scandale à sa parution, surtout en Amérique. Il est considéré par un critique anglais, nous dit Michel Mohrt dans sa Préface, « comme le roman le plus remarquable de la langue anglaise ».

Wuthering Heights fut écrit en plein cœur du 19 ème siècle, à une époque où les femmes, dans chacune des circonstances de leur vie, étaient tributaires des hommes, et/ou soumises aux hommes. Une époque qui se prolongera longtemps. En France, par exemple, ne l’oublions pas, il faut attendre une loi promulguée en 1965 pour que les femmes aient le droit d’ouvrir un compte en banque et de travailler sans l’autorisation de leur mari ; et, entre autres étrangetés, il faudra attendre, aussi, 2013, pour que le texte – Dieu merci tombé en désuétude bien avant – interdisant aux femmes le port du pantalon soit enfin abrogé ! (à ce sujet, Voir ici l’article de Camille Malnory, paru dans Libération du 13 juillet 2015).

Roman du cynisme, roman de la méchanceté, de la cruauté, de la perversité. Roman trouble, dans lequel le thème de l’inceste affleure sans cesse (page 456) ; Heathcliff, en effet, serait le fils naturel, et caché, du père de Catherine ; or, élevés ensemble, elle deviendra plus tard son amante.

Roman que Léon Daudet a pu comparer au Hamlet de Shakespeare.

Écrit par une jeune femme de 28 ans ; dont la personnalité, « insaisissable » nous dit le commentateur, ne laisse pas d’intriguer la Critique, aujourd’hui encore.

Roman de l’amour passion absolu, dans lequel le héros, le grand héros romantique – Heathcliff – conduit délibérément tout droit en enfer celles qu’il a choisies, accusant au passage l’une d’elles, la première, la seule qu’il aura aimé – ou plutôt qu’il aurait aimé –, de l’avoir en quelque sorte martyrisé, lui ! Et roman dans lequel, les élues, poussées dans leurs retranchements, ne font guère mieux, somme toute, que leur tortionnaire…

Roman écrit en pleine époque victorienne, pendant laquelle les auteurs « étaient muselés comme des chiens » (Stevenson, cité par Frédéric Delebecque, page 25).

Et cependant, roman écrit par une jeune femme, nous dit Virginia Woolf, qui eut (avec Jane Austen) « au milieu de cette société purement patriarcale, le génie et la probité de s’en tenir fortement à son simple point de vue » (Virginia Woolf, Une chambre à soi, collection 10/18, page 111).

Fille de pasteur, Emily Brontë vécut pratiquement toute sa vie dans la campagne du Yorkshire (2).
Dans un presbytère où, à ce qu’il paraît, elle ne connut jamais l’amour.

Mais écoutons encore Virginia Woolf, à propos d’Emily Brontë, et de Jane Austen :

« Elles écrivaient comme écrivent les femmes et non comme écrivent les hommes. Parmi les mille femmes qui alors écrivaient des romans, elles furent les seules à ignorer complètement les perpétuels conseils de l’éternel pédagogue : écrivez ceci, pensez cela. Elles seules furent sourdes à l’éternelle voix, tantôt grommelante, tantôt protectrice, tantôt autoritaire, tantôt chagrine, tantôt scandalisée, tantôt irritée, tantôt paternelle, à cette voix, qui ne peut laisser les femmes en paix, mais s’accroche à elles comme quelque gouvernante trop consciencieuse (…), à cette voix qui les engage si elles veulent être sages et, comme je le suppose, remporter quelque brillant prix, à se tenir dans les limites que le monsieur en question juge convenables… », Une chambre à soi, op. cit, page 112.

À propos de Une chambre à soi, Voir ici.

………………….

(1)  L’ingéniosité des traducteurs frise parfois le ridicule, en effet, lorsqu’il s’agit de traduire le titre du roman : Haute plainte, 1937 ; La Maison des vents maudits, 1942 ; Heurtebise, 1951 ; Âpre mont, âpre vent, 1963  (mon préféré) ; Hurlemont, 1963 ; Hurlevent des monts, 1984 ; Les Hauteurs tourmentées, 1995 (Voir ici).

(2) Le Yorkshire est aussi la région natale du peintre David Hockney. Le Centre Georges Pompidou lui consacre actuellement une rétrospective ; à ne pas rater. Voir ici l’article, paru dans Les Echos Week-end, que Philippe Chevilley consacre à cette région qu’il a visitée,  en lien avec le grand tableau peint par Hockney, Bigger Trees Near Warter. Imaginons aussi un grand tableau peint par Hockney, sur le modèle de ces grands tableaux à deux personnages, qui sont parmi les plus beaux de l’exposition, et dans lequel Emily Brontë, par exemple, poserait un regard attendri sur sa créature, Heathcliff…

………………….

Florilège

[Dans l’édition du Livre de poche, pages 474 et suivantes, il existe également un florilège, sous le titre  » Les phrases clefs  » ; il n’a aucun rapport avec celui-ci].

« Voyez-vous ces deux lignes entre vos yeux, ces épais sourcils qui, au lieu de s’élever en décrivant une courbe, s’abaissent en leur milieu, et ces deux noirs démons si profondément enfoncés, qui jamais n’ouvrent hardiment leurs fenêtres, mais épient par en dessous comme des espions du diable ? Appliquez-vous à effacer ces rides sinistres, à lever franchement les paupières, à changer ces démons en anges confiants et innocents, affranchis du soupçon et du doute, et voyant toujours des amis là où ils ne sont pas certains d’être en présence d’ennemis. Ne prenez pas l’expression d’un chien vicieux qui a l’air de savoir que les coups de pied qu’il récolte sont bien mérités et qui pourtant, pour la souffrance qu’il ressent, hait tout le monde aussi bien que celui qui lui donne les coups », page 93

« Un bon coeur vous aidera à avoir une bonne figure, mon garçon, (…) ; et un mauvais coeur donnera à la plus jolie figure quelque chose de pire que de la laideur », page 94

« Je m’aperçois que les gens de ces contrées-ci prennent sur les gens des villes la même supériorité qu’une araignée dans un cachot sur une araignée dans une maison de campagne, aux yeux des habitants de l’une ou de l’autre de ces demeures. Pourtant l’attraction plus grande exercée sur l’observateur ne tient pas uniquement à la situation de ce dernier. Les gens d’ici vivent en vérité plus sérieusement, plus en eux-mêmes, moins en surface, en changements, en frivolités extérieures. Ici, je pourrais concevoir un amour de toute la vie comme une chose possible ; et, jusqu’à présent, j’étais fermement convaincu qu’aucun amour ne pouvait durer plus d’un an. L’état des uns ressemble à celui d’un homme devant un plat unique, sur lequel il concentre tout son appétit et auquel il fait largement honneur ; l’état des autres à celui du même homme devant un dîner composé par un cuisinier français : de l’ensemble, il tirera peut-être autant de satisfaction, mais il ne considérera et ne se rappellera chaque plat que comme un simple atome », page 100

« C’est une chose que je ne puis exprimer. Mais sûrement, vous avez, comme tout le monde, une vague idée qu’il y a, qu’il doit y avoir en dehors de vous une existence qui est encore vôtre. A quoi servirait que j’eusse été créée, si j’étais toute entière contenue dans ce que vous voyez ici ? Mes grandes souffrances dans ce monde ont été les souffrances d’Heathcliff, je les ai toutes guettées et ressenties dès leur origine. Ma grande raison de vivre, c’est lui. Si tout le reste périssait et que lui demeurât, je continuerais d’exister ; mais si tout continuait et que lui fût anéanti, l’univers me deviendrait complètement étranger, je n’aurais plus l’air d’en faire partie. Mon amour pour Linton est comme le feuillage dans les bois : le temps le transformera, je le sais bien, comme l’hiver transforme les arbres. Mon amour pour Heathcliff ressemble aux rochers immuables qui sont en dessous : source de peu de joie apparente, mais nécessaire. Nelly, je suis Heathcliff ! Il est toujours, toujours dans mon esprit ; non comme un plaisir, pas plus que je ne suis toujours un plaisir pour moi-même, mais comme mon propre être », page 126

« Voyez-vous, il faut bien qu’à la longue nous pensions un peu à nous-mêmes ; l’égoïsme des natures tendres et généreuses est seulement plus justifié que celui des natures altières », page 139

« Le tyran opprime ses esclaves et ce n’est pas contre lui qu’ils se tournent : ils écrasent ceux qui se trouvent sous leurs pas », page 165

« Je pleurais sur lui autant que sur elle : nous éprouvons parfois de la pitié pour des êtres qui ne connaissent ce sentiment ni pour eux-mêmes ni pour les autres », page 233

« La traîtrise et la violence sont des lances à deux pointes ; elles blessent ceux qui y ont recours plus grièvement que leurs ennemis.
– La traîtrise et la violence sont la juste récompense de La traîtrise et de la violence ! s’écria Hindley. », page 245

« Il disait que la manière la plus agréable de passer une chaude journée de juillet était de rester couché depuis le matin jusqu’au soir sur un talus de bruyère au milieu de la lande, à écouter comme dans un rêve le bourdonnement des abeilles sur les fleurs, le chant des alouettes qui planent bien haut au-dessus de votre tête, à regarder le ciel bleu sans nuages et le soleil brillant d’un éclat implacable. Telle était sa parfaite idée du bonheur céleste. La mienne était de me balancer dans un arbre au vert feuillage bruissant, quand souffle un vent d’ouest et que de beaux nuages blancs glissent rapidement dans le ciel ; quand non seulement les alouettes, mais les grives, les merles, les linottes, les coucous prodiguent de tous côtés leur musique ; quand on aperçoit la lande au loin, coupée par de frais vallons noyés dans l’ombre ; et, tout près, de grands tertres couverts d’herbes hautes ondulant en vagues sous la brise ; des bois et de l’eau tumultueuse, le monde entier en mouvement et frémissant de joie. Il aimait à voir tout reposer dans une extase de paix ; j’aimais à voir tout étinceler et danser dans un glorieux jubilé. Je prétendais que son paradis ne serait qu’à moitié vivant ; il disait que le mien serait ivre. Je prétendais que je m’endormirais dans le sien ; il disait qu’il ne pourrait pas respirer dans le mien », page 334

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.