Gustave FLAUBERT, L’Education sentimentale

Gustave FLAUBERT, L’Education sentimentale, Classiques Pocket, n° 6014

Florilège

« Pellerin lisait tous les ouvrages d’esthétique pour découvrir la véritable théorie du Beau, convaincu, quand il l’aurait trouvée, de faire des chefs-d’oeuvre. Il s’entourait de tous les auxiliaires imaginables, dessins, plâtres, modèles, gravures ; et il cherchait, se rongeait ; il accusait le temps, ses nerfs, son atelier, sortait dans la rue pour rencontrer l’inspiration, tressaillait de l’avoir  saisie, puis abandonnait son oeuvre et en rêvait une autre qui devait être plus belle. Ainsi tourmenté par des convoitises de gloire et perdant ses jours en discussions, croyant à mille niaiseries, aux systèmes, aux critiques, à l’importance d’un règlement ou d’une réforme en matière d’art, il n’avait, à cinquante ans, encore produit que des ébauches. Son orgueil robuste l’empêchait de subir aucun découragement, mais il était toujours irrité et dans cette exaltation à la fois factice et naturelle qui constitue les comédiens », page 47

« Laissez-moi tranquille avec votre hideuse réalité ! Qu’est-ce que cela veut dire, la réalité ? Les uns voient noir, d’autres bleu, la multitude voit bête. Rien de moins naturel que Michel-Ange, rien de plus fort ! Le souci de la vérité extérieure dénote la bassesse contemporaine ; et l’art deviendra, si l’on continue, je ne sais quelle rocambole au-dessous de la religion comme poésie, et de la politique comme intérêt. Vous n’arriverez pas à son but – oui, son but ! – qui est de nous causer une exaltation impersonnelle, avec de petites oeuvres, malgré toutes vos finasseries d’exécution. Voilà les tableaux de Bassolier par exemple : c’est joli, coquet, propret, et pas lourd ! Ça peut se mettre dans la poche, se prendre en voyage ! Les notaires achètent ça vingt mille francs, il y a pour trois sous d’idées ; mais, sans l’idée, rien de grand ! sans grandeur, pas de beau ! l’Olympe est une montagne ! Le plus crâne monument, ce sera toujours les Pyramides. Mieux vaut l’exubérance que le goût, le désert qu’un trottoir, et un sauvage qu’un coiffeur ! », page 59

« Rien n’est humiliant comme de voir les sots réussir dans les entreprises où l’on échoue », page 75

« N’ayant jamais vu le monde qu’à travers la fièvre de ses convoitises, il se l’imaginait comme une création artificielle, fonctionnant en vertu de lois mathématiques. Un dîner en ville, la rencontre d’un homme en place, le sourire d’une jolie femme pouvaient, par une série d’actions se déduisant les unes des autres, avoir de gigantesques résultats. Certains salons parisiens étaient comme ces machines qui prennent la matière à l’état brut et la rendent centuplée de valeur. Il croyait aux courtisanes courtisant les diplomates, aux riches mariages obtenus par les intrigues, au génie des galériens, aux docilités du hasard sous la main des forts », page 95

« La Seine, jaunâtre, touchait presque au tablier des ponts. Une fraîcheur s’en exhalait. Frédéric l’aspira de toutes ses forces, savourant ce bon air de Paris qui semblait contenir des effluves amoureux et des émanations intellectuelles ; il eut un attendrissement en apercevant le premier fiacre. Et il aimait jusqu’au seuil des marchands de vin garni de paille, jusqu’aux décrotteurs avec leurs boîtes, jusqu’aux garçons épiciers secouant leur brûloir à café », page 126

« Les passions s’étiolent quand on les dépayse », page 132

« Mais la Débardeuse, dont les orteils légers effleuraient à peine le parquet, semblait recéler dans la souplesse de ses membres et le sérieux de son visage tous les raffinements de l’amour moderne, qui a la justesse d’une science et la mobilité d’un oiseau », page 145

« Les têtes grises, les perruques étaient nombreuses ; de place en place, un crâne chauve luisait ; et les visages, ou empourprés ou très blêmes, laissaient voir dans leur flétrissure la trace d’immenses fatigues, – les gens qu’il y avait là appartenant à la politique ou aux affaires », page 187

« L’action, pour certains hommes, est d’autant plus impraticable que le désir est plus fort », page 204

« Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit avaient également diminués. Des années passèrent ; et il supportait le désoeuvrement de son intelligence et l’inertie de son coeur », page 495

 

Un commentaire sur “Gustave FLAUBERT, L’Education sentimentale

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  1. « Laissez-moi tranquille avec votre hideuse réalité ! Qu’est-ce que cela veut dire, la réalité ? Les uns voient noir, d’autres bleu… »

    Et d’autres avec leurs bombes rouges firent chanter les murs de mai :

    « Je prends mes désirs pour la réalité car je crois en la réalité de mes désirs »

    J’aime

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