Florilège
« Un homme en spencer, en 1844, c’est, voyez-vous, comme si Napoléon eût daigné ressusciter pour deux heures », page 54
« Toute réputation qui se fonde en France sur la vogue, sur la mode, sur les folies éphémères de Paris, produit des Pons. Il n’est pas de pays où l’on soit si sévère pour les grandes choses, et si dédaigneusement indulgent pour les petites », page 60
« aucun ennui, aucun spleen ne résiste au moxa qu’on se pose à l’âme en se donnant une manie », page 62 ; « une manie, c’est le plaisir passé à l’état d’idée ! », page 63
« le monde finit toujours par condamner ceux qu’il accuse », page 66
« Brillat-Savarin a justifié par parti pris les goûts des gastronomes ; mais peut-être n’a-t-il pas assez insisté sur le plaisir réel que l’homme trouve à table. La digestion, en employant les forces humaines, constitue un combat intérieur qui, chez les gastrolâtres, équivaut aux plus hautes jouissances de l’amour. On sent un si vaste déploiement de la capacité vitale, que le cerveau s’annule au profit du second cerveau, placé dans le diaphragme, et l’ivresse arrive par l’inertie même de toutes les facultés. Les boas gorgés d’un taureau sont si bien ivres qu’ils se laissent tuer. Passé quarante ans, quel homme ose travailler après son dîner ?… », page 67
« Le stoïcisme vrai ne s’expliquera jamais la courtisanerie française », page 125
« Ce qui s’était bu de vin du Rhin et de vins français étonnerait des dandies, car on ne sait pas tout ce que les Allemands peuvent absorber de liquides en restant calmes et tranquilles. Il faut dîner en Allemagne et voir les bouteilles se succédant les unes aux autres comme le flot succède au flot sur une belle plage de la Méditerranée, et disparaissant comme si les Allemands avaient la puissance absorbante de l’éponge et du sable ; mais harmonieusement, sans le tapage français ; le discours reste sage comme l’improvisation d’un usurier, les visages rougissent comme ceux des fiancées peintes dans les fresques de Cornélius ou de Schnorr, c’est-à-dire imperceptiblement, et les souvenirs s’épanchent comme la fumée des pipes, avec lenteur », page 129
« Un poète est un homme qui ne compte pas, qui laisse sa femme maîtresse des capitaux, un homme facile à mener et qu’on occupe de niaiseries », page 136
« Il n’y a que les grandes croyances qui donnent de vraies émotions. Avoir ou n’avoir pas de rentes, telle était la question, a dit Shakespeare », page 180
« En médecine, le cabriolet est plus nécessaire que le savoir », page 217
« Le jeune avocat sans cause, le jeune médecin sans clients sont les deux plus grandes expressions du Désespoir décent, particulier à la ville de Paris », page 219
« Les autres misères, celles du poète, de l’artiste, du comédien, du musicien, sont égayées par les jovialités naturelles aux arts, par l’insouciance de la Bohème où l’on entre d’abord et qui mène aux Thébaïdes du génie ! », page 219
« Quand deux amis de collège se rencontrent, à vingt ans de distance, le riche évite alors son camarade pauvre, il ne le reconnaît pas, il s’épouvante des abîmes que la destinée a mis entre eux. L’un a parcouru la vie sur les chevaux fringants de la Fortune ou sur les nuages dorés du Succès ; l’autre a cheminé souterrainement dans les égouts parisiens, et il en porte les stigmates », page 220
« Telles sont les audaces des débutants à Paris. Tout leur fait échelle pour monter sur le théâtre ; mais comme tout s’use, même les bâtons d’échelles, les débutants en chaque profession ne savent plus de quel bois se faire des marchepieds. Par certains moments, le Parisien est réfractaire au succès. Lassé d’élever des piédestaux, il boude comme les enfants gâtés et ne veut plus d’idoles ; ou pour être vrai, les gens de talent manquent parfois à ses engouements. La gangue d’où s’extrait le génie a ses lacunes ; le Parisien se regimbe alors, il ne veut pas toujours dorer ou adorer les médiocrités », page 221
Votre commentaire