Michel ERMAN, Marcel PROUST, une biographie, La Petite Vermillon, n°385

« Devinez ce que Cocteau a fait en me voyant arriver ? Il s’est mis à courir sur les tables en criant : « C’est Marcel ! C’est Marcel ! ». Il y a longtemps que je ne m’étais senti aussi gêné »

Jérôme Dupuis, Une journée avec Monsieur Proust, Magazine Lire, Hors-Série n°16 consacré à Marcel Proust, page 91. – Anecdote rapportée par Céleste Albaret, la gouvernante de Proust durant les huit dernières années de sa vie (Céleste ALBARET, Monsieur Proust, Souvenirs recueillis par Georges Belmont, Robert Laffont, Documento, 2014, page 157).

Il y a quelques jours, à Paris, le thermomètre est monté à 37, – un petit trente dans mon bureau, là où j’écris en ce moment même. La couverture de mon exemplaire au « dos carré collé » de la bio de Proust, écrite par Michel Erman, s’est décollée : elle aurait pas dû. C’est probablement à cause du réchauffement climatique ? ou la faute à la rentrée littéraire, à tout casser ?

Bref, le mois dernier, j’étais à Florence. A la Librairie française, Piazza Ognissanti, alors que je me préparais à prendre le train – la tête pleine de trésors, le cœur gros à l’idée de devoir rentrer à Paris –, voilà que je tombe par hasard sur : Marcel Proust, une biographie, de Michel Erman, professeur à l’université de Bourgogne.

Cette biographie a été publié d’abord chez Fayard en 1994. Ensuite, en 2013 et 2018, à La Table ronde dans une édition revue et augmentée, reprise dans la collection de Poche La Petite vermillon, preuve de son succès amplement mérité.

Elle comporte 318 pages, – 374 avec les notes, la bibliographie, ainsi qu’un index.

Petit chef-d’œuvre du genre, elle allie clarté, précision et concision. Pour le lecteur passionné de Proust que je suis, simplement passionné – plaçant bien avant l’étude le grand et seul plaisir de lire –, cette biographie est un cadeau du ciel : elle flatte ma paresse ; elle me dispense de lire la biographie, de référence, ou considérée comme tel, écrite par Jean-Yves Tadié, laquelle est hélas trois fois plus volumineuse ! (Voir ici).

Sur la couverture, un joli dessin, signé Cheeri, « très graphique » comme on dit maintenant, et pour cause (Voir ici), représente la tête de Proust portant une lavallière.

Une lavallière, vous le savez déjà, vous l’ignorez peut-être, c’est. c’était – et si on inventait aussi une écriture inclusive pour les temps de la conjugaison ? – une sorte de gros nœud papillon aux ailes bouffantes…

La lavallière se portait à la fin du 19ème siècle. C’est en somme l’ancêtre, en plus complexe, en plus subtil – j’ai envie de dire en plus féminin – de nos cravates actuelles.

Je reviens à la bio de Proust proprement dite, écrite par Michel Erman.

Les premiers chapitres du livre sont consacrés aux origines sociales, une « bourgeoisie libérale », ainsi qu’à l’enfance et l’adolescence de Proust, marquées notamment, comme chacun sait, par les crises d’asthme à répétition. Marcel est « un garçon triste, perpétuellement en quête de consolation et de tendresse » ; sa mère, Jeanne Proust, « couve son fils à l’excès » ; elle « encourage sa sensibilité délicate et favorise son goût pour les livres », mais « se montre parfois surprise, voire réprobatrice, devant ses accès de gentillesse et de compassion. »

Dans cette biographie, très logiquement, la vie de l’écrivain Marcel Proust, se taille la part du lion. En lien avec la genèse de l’œuvre elle-même, elle est décrite et analysée, dans l’ordre chronologique, sous tous ses aspects, anecdotiques parfois :

Celle du Proust journaliste et critique littéraire collaborant aux revues de l’époque.

Celle du poète fourvoyé, auteur d’un recueil (Des plaisirs et des jours) qui, semble-t-il (je ne l’ai pas encore lu), n’a rien d’impérissable.

Celle du romancier « à la peine », – et « à la traîne » : ses meilleurs amis, plus rapides et mieux introduits (Robert de Montesquiou entre autres), quoique nettement moins doués (l’avenir le montrera), réussissent alors mieux que lui. À cette époque, Marcel Proust se lance dans l’écriture de Jean Santeuil, qu’il abandonne en chemin. Par la suite, malgré tout, il aura la bonne idée de puiser dans ce roman autobiographique inachevé pour écrire certaines pages de la Recherche.

Celle de l’essayiste et traducteur. Proust consacre en effet trois années de sa vie à traduire, préciser et commenter l’oeuvre de Ruskin (1). Qui sait, c’est peut-être aussi pour lui, inconsciemment, un alibi ? un moyen de différer l’écriture de son chef-d’œuvre, qui l’obsède, mais dont il devine, s’il y consent, qu’elle aura raison de sa santé, et peut-être même de sa vie ?

Celle du « dreyfusard », ardent défenseur du capitaine Dreyfus. Proust, écrit Michel Erman, a « immédiatement choisi son camp : entre ce que d’aucuns présentent comme l’intérêt national et la justice, il a préféré la justice ».

Enfin et surtout, celle du génie au travail, qui écrit – la plupart du temps la nuit, dans son lit, son manuscrit posé sur les genoux –, ce qui va devenir le chef-d’œuvre que l’on connaît : A la recherche du temps perdu… (Voir ici). Or, à l’écriture de ce chef-d’œuvre, à laquelle il finit par s’atteler, il va sacrifier sa vie, en effet… Il n’arrête pas alors de réécrire, de modifier, d’ajouter (ce sont les fameuses paperolles), de peaufiner, de bouleverser parfois…

Avec rigueur, un style sobre, sans jamais user de faux fuyants, la vie personnelle, la vie privée, la vie intime, sexuelle, de Marcel Proust, « ses passions inavouables et son goût persistant de la frivolité », sont également décrites et analysées par l’auteur :

Le Marcel Proust auto-destructeur. Il mange mal et trop peu ; il dort le jour, vit/écrit la nuit ; il abuse de la caféine, se shoote au véronal.

L’inverti, le gay, qui, d’après André Gide, considère l’inversion « comme un vice inné et tragique, voire une maladie nerveuse » (page 294), alors qu’elle est « une passion belle et pure », (page 265).

L’amoureux éperdu, maladroit, jaloux, – le dépendant affectif, dirait, de nos jours, un psy – du musicien Reynaldo Hahn et de Lucien Daudet, ou, plus tard, d’Alfred Agostinelli, son chauffeur, qu’il rencontre à Cabourg : « un charmant jeune homme de dix-huit ans, dont l’attitude au volant, le visage casqué, lui évoque la grâce de sainte Cécile peinte par Raphaël », (page 184) ;  bien d’autres encore, dont parfois il achète la simple présence, et une prétendue affection…

Vers la fin de sa vie, certains aspects plus sulfureux, troublants, dérangeants, de la sexualité de Proust, sont abordés sans détour par Michel Erman :

« Marcel Jouhandeau affirme qu’un jeune micheton devait se manipuler debout devant un Proust allongé, le corps revêtu d’un drap, et qui prenait ainsi son plaisir. Maurice Sachs prétend tenir de Le Cuziat qu’il fallait à Proust une mise en scène perverse très particulière : dans une nasse, des rats étaient piqués avec des épingles à chapeau ; selon d’autres, des rats étaient affamés et le spectacle de leur dévoration mutuelle aurait mis Proust aux anges. Ces rumeurs ont été appuyées par les récits de Cocteau, qui n’est pas toujours bienveillant. », page 264 (2).

………………

(1) « Fort célèbre en Angleterre depuis la publication de son traité d’esthétique principalement consacré à Turner et aux préraphaélites, Modern Painters, 1843-1860, Ruskin n’est pas seulement considéré comme un maître du goût, c’est aussi un penseur politique qui cherche à réconcilier l’art et le peuple dans la société industrielle. », page 124.

(2)  A noter que, dans le Hors-Série du magazine Lire, consacré à Proust, paru il y a quelques années (ce devait être en 2012 ou 13), et plus exactement dans l’entretien que Jean-Yves Tadié accorde au journal, ces comportements, de l’ordre de l’épiphénomène, sont également abordés et décrits par Jean-Yves Tadié, en ces termes : « Elle (la scène avec les rats) n’est pas contestable, il y a trop de témoignages. Le premier à l’avoir écrite, c’est Maurice Sachs, puis Walter Benjamin et un Anglais, John Agati, dans un livre qui s’appelle Ego. Tous sont allés dans la maison de passe, rue de l’Arcade à Paris. On leur a dit qu’un monsieur correspondant au signalement de Proust, blême, lorsqu’il n’arrivait pas à jouir, décidait de le faire non pas avec quelqu’un mais en regardant un jeune homme se masturber. Et il faisait apporter une cage avec des rats, qu’il faisait percer avec des épingles à chapeau… », (Hors-Série Lire, page 25).

…………….

Quelques liens complémentaires :

Tout d’abord les 9 septembre (complet, semble-t-il) et 4 octobre, à Paris, à la Maison de la poésie, Véronique Aubouy nous donne rendez-vous pour une nouvelle Tentative de résumer À la Recherche du temps perdu en une heure ; Voir ici.

L’adresse, ensuite, du blog d’Isabelle Dumas, doctorante à l’Université de Montréal, entièrement consacré à Proust et son oeuvre : Du côté de chez Proust ; Voir ici.

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