Roberto Bolaño, Le Troisième Reich, roman, Gallimard, folio, n°5548

Roberto Bolaño, Le Troisième Reich, Christian Bourgois éditeur, 2010 pour la traduction française, Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio.

Je continue avec un plaisir égal de découvrir l’œuvre romanesque, si riche et si singulière, de Roberto Bolaño. Le Troisième Reich est l’un de ses tout premiers romans. Bolaño l’écrit en 1989, il a alors trente-six ans. Toutefois, le roman ne sera publié que vingt et un ans plus tard, à titre posthume, en 2010. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio pour sa traduction française, il est publié en 2010 également aux éditions Christian Bourgois.

Udo Berger, jeune Allemand âgé de vingt-cinq ans, est passionné de jeux vidéos ; à tel point qu’il en a fait son métier. L’un de ces jeux donne son titre au roman : Le Troisième Reich. À ce jeu, Udo est réputé invincible ; capable de modifier et d’améliorer les règles du jeu, il est un expert et reconnu comme tel par la communauté internationale des joueurs.

Udo et sa petite amie Ingeborg passent une quinzaine de jours de vacances en Espagne, sur la Costa Brava  (Roberto Bolaño vécut plusieurs années à Blanes, célèbre destination de la Costa Brava). Ils descendent à l’hôtel Del Mar, celui-là même où Udo venait séjourner dix ans plus tôt avec ses parents, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent.

A l’hôtel Del Mar, Udo a la surprise de retrouver Frau Else, mariée à un espagnol à qui appartient l’hôtel. Son mari étant gravement malade, elle en assure seule la direction. La juxtaposition du terme allemand « Frau » et du prénom Else (prénom fréquent en Allemagne mais rarement donné en Espagne), laisse entendre qu’elle est Allemande. De même, le portrait élogieux et subtil, chargé de sous-entendus, qu’il dresse de Frau Else laisse supposer aussi que le jeune Udo, maintenant qu’il est adulte, va (re)tomber amoureux d’elle… :

« C’est à peine si les ans l’avaient effleurée. La vision de Frau Else m’a remémoré les jours de mon adolescence avec ses heures sombres et ses heures lumineuses ; … » (page 15) ; « Elle m’apparaissait beaucoup plus belle et au moins aussi énigmatique que dans mes souvenirs d’adolescent » (page 21).

Dès leur première soirée dans une boîte de nuit, Udo et Ingeborg font la connaissance d’un autre couple d’allemands, Charly et Hanna. « Hanna est divorcée. Elle a un enfant de trois ans et pense se marier avec Charly dès que cela sera possible » (comprendre : dès que Charly acceptera de se marier avec elle) (page 32). « Charly aime le football, le sport en général, et la planche à voile : il a apporté d’Oberhausen sa planche, dont il dit monts et merveilles ». À l’exception d’Udo, le narrateur, tous boivent beaucoup, surtout Charly.

Dès le lendemain, ils se retrouvent tous les quatre sur la plage ; un curieux personnage va et vient sous leurs yeux : le plagiste, loueur de pédalos. Il a la peau brûlée : « des brûlures faites par le feu, non par une exposition au soleil – qui recouvraient la plus grande partie du visage, du cou et de la poitrine, et qui s’exhibaient ouvertement, sombres et rugueuses, pareilles à de la viande à la plancha ou aux plaques de tôle d’un avion accidenté » (page 39).

Udo et Ingeborg, Charly et Hannah, deviennent très vite inséparables. Udo, toutefois, passe une bonne partie de la journée à l’hôtel, dans sa chambre, où il travaille à l’amélioration du Troisième Reich.

Ils ne tardent pas à faire la connaissance de deux autochtones : le Loup et l’Agneau. Un soir, profitant de l’ambiance festive et de l’ivresse des protagonistes, le Loup et l’Agneau viennent d’autorité s’asseoir à leur table. Plus tard, Udo, qui ne se fait aucune illusion sur leur prétendue amitié, dira d’eux « qu’ils vampirisent les vacances et les loisirs des autres et gâchent les vacances de quelques touristes. Ce sont les parasites des voyageurs » (page 202).

Le Loup et l’Agneau leur présentent peu de temps après celui qu’ils surnomment « le Brûlé », le loueur de pédalos. Udo et le Brûlé entrent en relation, sans vraiment sympathiser. Le Brûlé intrigue Udo ; ces brûlures ont-elles été provoquées par un accident, ou lui ont-elles été infligées par quelqu’un ? Udo enseigne au Brûlé les rudiments du Troisième Reich. Contrairement à ce qu’il pensait, le Brûlé se passionne pour le jeu ; bientôt une partie s’engage ; Udo l’invincible réalise bientôt qu’il n’est pas assuré de la gagner…

L’origine du surnom « le Brûlé » nous est donnée par le narrateur, celle des surnoms le Loup et l’Agneau ne l’est pas. Est-ce Udo qui choisit de les surnommer ainsi ? ou se borne-t-il à reprendre leur surnom, donné antérieurement par les autochtones, comme c’est le cas pour le Brûlé ?

Mystère à deux sous, me direz-vous ! anecdotique et d’aucune portée. La lecture du roman montre néanmoins qu’il fourmille de ces petits mystères à deux sous. Il en existe pratiquement à chaque page !

A côté de ces petits mystères à deux sous, il y en a de plus grands, qui touchent à la fois les situations et les personnages. Petits et grands conservent leur statut de mystère parfois brièvement, parfois longtemps ; certains, à la dernière page du roman, ne sont toujours pas élucidés…

Un exemple parmi bien d’autres :

un soir, alors qu’il a beaucoup trop bu, Charly part faire du surf ; la nuit tombe, il disparaît au large. Les heures passent, il ne revient pas… A-t-il simplement décidé de tous les planter là selon son habitude, pour réapparaître ensuite, en majesté ? A-t-il péri en mer ?

Roman en creux, Le Troisième Reich vaut autant, sinon plus, par ce que le narrateur (narration homodiégétique à la première personne), Udo, choisit de ne pas ou de peu développer ou de passer sous silence, que par ce qu’il nous raconte parfois avec force détails.

Ce procédé d’écriture se révèle au fil de la lecture, assez tôt dans le déroulement de l’intrigue néanmoins. En soi, il n’a rien d’original, c’est une caractéristique commune à beaucoup de romans contemporains.

Derrière Udo le narrateur, il y a bien entendu l’écrivain Bolaño, qui tire les ficelles… S’est-il laissé guider, au fil de l’écriture, sans la moindre idée préconçue, par son instinct, son intuition ? ou au contraire s’agit-il d’un choix opéré en amont de l’écriture, déterminant ensuite son processus ? Il y a probablement un peu des deux.

Ce procédé d’écriture donne lieu à une accumulation de faux-semblants, de fausses pistes, d’ellipses, d’omissions ou d’accentuations de certains faits. Il contribue à créer un climat général d’énigme et de mystère, que l’auteur instille opportunément dans l’esprit du lecteur, à petites touches ou par des traits plus appuyés.

Roberto Bolaño affectionne ce procédé. Il trouvera son expression la plus pure, la plus accomplie dans son ultime roman, 2666 (1), publié également à titre posthume, lequel est considéré par la plupart des critiques comme un, comme son chef-d’oeuvre. Voir ici.

Le mystère et l’énigme, en effet, séduisent toujours le lecteur. En revanche, souvent prosaïque, bête et morose, la réalité crue – ce quotidien que rien n’enchante  – ennuie : à quoi bon la retrouver pauvrement transposée dans un roman ? À quoi bon la lire ? elle est juste bonne à être vécue !

________

(1) Si la structure de 2666, se révèle plus élaborée et plus complexe que celle du Troisième Reich, la narration (narrateur omniscient cette fois, pour l’essentiel) progresse en effet de cette même manière : une sorte de dialectique entre ce qui est tu et ce qui est montré. Dans la partie IV, par exemple, « La partie des crimes », 117 féminicides sont ainsi répertoriés et décrits l’un après l’autre, dans les moindres détails, anecdotiques ou sordides, souvent répétitifs.
En revanche, rien n’est dit, ou très peu, en ce qui concerne le contexte – le narcotrafic – dans lequel ces multiples féminicides ont été commis.

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