« Je mets gare ? »
Proverbe d’immigré africain arrivant en France.
Depuis quelques jours, depuis la sortie du documentaire Hold-up, j’entends parler de complot partout… Or, selon moi, le complot est global mais innocent. Et il n’est pas volontaire, il est tacite, ou plus précisément il est sui generis au sens précis où l’entendent les juristes ; sa singularité mériterait une analyse spécifique.
A proprement parler, ce n’est donc pas un complot. Les puissants de la terre ‒ lesquels d’ailleurs ? ‒ ne se sont pas réunis un jour dans quelque lieu éloigné de tout, supposé mystérieux et secret, pour dire : « on va faire comme cela, pour obtenir cela. ».
Le « complot » est le résultat d’un consensus global. Il a été mis en lumière savamment par un homme de science, un sociologue, il y a déjà longtemps. Il s’appelait Jean Baudrillard. Relisez, entre autres, Simulacre et simulation (Voir ici une citation extraite de cet ouvrage, à propos du terrorisme). Relisez aussi ce qu’il disait de la séduction ; et ce qu’il pensait de l’Amérique et des Américains (Voir ici) !
Aujourd’hui, les travaux, la pensée de Jean Baudrillard sont oubliés, plus exactement : passés sous silence ; vous ne le verrez cité pratiquement nulle part. Mais cette pensée constitue un réservoir « d’idées nouvelles » pour beaucoup, à condition bien sûr de savoir l’habiller avec des mots différents ; certains le font très bien.
L’opinion prend le pas sur la raison, la pensée ; c’est une vérité d’évidence et de toutes les époques. Autre lieu commun, peut-être récent celui-là : dans les médias qui dominent et tiennent le haut du pavé, mainstream comme on dit maintenant, l’opinion s’exprime toujours en revêtant le masque de l’analyse ou de l’expertise, mais la plupart du temps, ce sont toujours les mêmes analyses, et ce sont toujours les mêmes experts qui portent ces analyses…
Le complot, c’est bien plus que la société du spectacle chère à Guy Debord, c’est la société toute entière, que dis-je, c’est l’univers entier comme spectacle ! (j’ai appris hier, sur France Culture, qu’il y avait 300 millions de planètes dans notre galaxie (la voie lactée) susceptibles d’abriter la vie !). Désormais, il n’y a plus de spectateurs, il n’y a plus que des acteurs ! Chacun aura droit à son quart d’heure de création verbale, de logorrhée, en commençant par moi bien sûr (Voir ici). Depuis la nuit des temps, n’est-ce pas, c’est toujours « moi d’abord » !
La réalité, nous ne pouvons que nous la représenter. De la réalité, nous n’avons qu’une image ; cela a été pensé il y a fort longtemps, depuis des siècles, de Platon à Schopenhauer (Voir ici). Pour la plupart d’entre nous, cette image aujourd’hui est celle que les médias mainstream nous proposent, nous imposent, et elle seule hélas. Pour chacun de nous, se forger une image rapide, commode, et peu exigeante, de la réalité, « s’informer », voire se cultiver, se faire honnête homme du vingt et unième siècle, cela passe nécessairement par les médias mainstream. Quoi d’autre ?
Cette image est hégémonique, répétée à l’envi, fragmentaire, discontinue, superficielle ; pour moi, cette image n’est pas la bonne. Or, si son utilité est réduite, discutable, son autorité, elle, est totale : l’individu n’y peut rien, les groupes sociaux n’y peuvent rien, les journalistes eux-mêmes n’y peuvent rien ! même les gouvernements, surtout les gouvernements, s’y conforment ; ils courbent l’échine ! Cette image, à elle-seule, pourrait déclencher une guerre !
Cette image est un marché, une logorrhée, une propagande ouverte, improbable ou dissimulée, une source inépuisable de sensations et de peurs, de révolte, de colère, de ressentiment. Ce n’est pas le monde tel qu’il est, c’est le monde tel qu’ils le voient. Ce « ils », c’est « eux » bien sûr ! Ce « ils », c’est nous tous, qui regardons, qui écoutons, qui lisons, qui écrivons. Quoi d’autre ?
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