« Il existerait un syndrome de Diogène, spécifique aux écrivains, qui obligerait celui qui en souffre à garder tout ce qu’il écrit comme s’il s’agissait d’un trésor »
« … la plupart des accros à une Substance sont aussi accrocs à la pensée, c’est-à-dire qu’ils ont une relation compulsive et malsaine avec leur propre pensée », page 284
« Il y a aussi ceux qui souffrent de graves désordres émotifs et mentaux »
« Je n’attends ni aide ni conseil. Je sais déjà ce qu’il faut que je fasse. J’en ai accepté l’injonction. Je crois que je n’ai pas le choix. Mais je ne peux pas. Je n’ai pas été capable de le faire.
‒ Mais vous en avez l’intention.
‒ Pas encore l’intention. Pas encore. J’insiste sur le pas encore. », page 1305
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Depuis Ulysse de Joyce, premier d’une assez longue lignée, il s’est créé au fil du temps un genre romanesque ‒ sinon un genre, du moins un type de roman ‒, dont la principale caractéristique consiste dans l’utilisation d’une structure originale inventée par l’auteur, jamais utilisée avant lui, jamais reproduite ensuite, quand bien même elle aura pu influencer d’autres auteurs.
L’infinie comédie ‒ Infinite jest en anglais‒, de David Foster Wallace, dont je viens, enfin, de terminer la lecture (1), fait partie incontestablement de cette lignée un peu à part (3).
Le titre en français L’infinie comédie, a été choisi probablement pour son élégance. Hélas, il ne cadre pas avec le propos du roman ; bien pire, il le dénature. Jest se traduit par : plaisanterie, boutade, blague ; rien à voir par conséquent avec le mot français « comédie ».
Résumer ce roman, que l’on a pu qualifier d’encyclopédique, serait long et fastidieux. Le plus simple est encore de vous référer à l’article de Wikipédia paru en anglais, et intitulé comme le roman lui-même : Infinite Jest. Cet article est complet et bien écrit. Avant de vous lancer, si le cœur vous en dit, dans la lecture du roman lui-même ‒ qui flirte tout de même avec les mille cinq cents pages ! ‒, je vous recommande fortement la lecture de cet article ; ne serait-ce que pour comprendre d’entrée de jeu de quoi il retourne, et vous sentir un peu moins désorienté, et décontenancé ; vous le serez de toute façon !
Sachez néanmoins que le thème principal de L’infinie comédie tient en un mot : l’addiction. L’addiction sous toutes ses formes. L’addiction à toutes sortes de substances ; en premier lieu, bien entendu, l’alcool et les drogues, naturelles ou chimiques, mais aussi les médicaments.
Tout le reste : 1) la famille aimante mais dysfonctionnelle de Hal Incandenza, le principal protagoniste ; 2) les longues et ennuyeuses (pour moi) dissertations sur le tennis, tel qu’il se pratique dans les universités américaines ; ici, plus précisément, dans une académie d’élite ; 3) l’improbable coup d’état préparé par un groupuscule de radicaux québécois, nommé Les Assassins des Fauteuils Rollents, ‒ tout cela m’est apparu comme un enrobage, une vaste blague, en effet, voire un pieux bavardage, une manière ‒ pudique ou honteuse ? ‒ de dévier l’attention du thème principal : encore une fois, l’addiction.
Disons-le d’emblée : j’ai sauté de nombreuses pages, surtout dans le dernier tiers du livre, et je n’ai lu que très peu des notes de bas de pages qui sont repoussées en fin de volume. La cause en est la lassitude bien plus que l’ennui. J’espère que vous saurez faire preuve de plus de courage !
Roman culte, qualifié parfois de génial, considéré par certains comme un chef-d’oeuvre ? et pourquoi pas après tout.
Roman qui illustrerait sans la dénoncer ‒ à quoi bon, et pour quoi faire ? ‒ la société américaine de l’hyperconsommation, de l’hyperspectacle, de l’hyperfric, de l’hyperintelligence, de l’hyperbêtise, de l’hyperliberté ‒ bref, de l’hypertout ?
Roman d’un jeune adulte, qui aura été une proie facile, pour cette société ?
Roman d’un jeune adulte addict à bon nombre de substances, alcool, drogues, médicaments, victime de lui-même ?
Roman d’un écrivain potentiellement addict à tout, et donc aussi à l’écriture elle-même ? Il arrive fréquemment qu’une addiction en cache une autre, ou la remplace, et parfois celle qui prend l’avantage se révèle aussi destructrice que la première.
Roman-exutoire, roman-défouloir de l’hyperdélire d’un mélancolique, d’un dépressif ?
Roman-potache, blague rabelaisienne gigantesque ? écrite par un garçon ô combien intelligent… si drôle et si cru, si émouvant, si faussement cynique, si démuni, si attachant…
« Le roman est un putain de tueur » aurait confié Don De Lillo à David Foster Wallace, qui se plaignait auprès de lui de ne pas réussir à s’inscrire ‒ alors qu’il écrivait ce qui allait être son ultime roman, Le Roi pâle ‒, dans la structure romanesque qu’il s’était pourtant préalablement choisie lui-même…
Or, si tueur il doit y avoir, ce n’est pas le roman le tueur, ce serait plutôt l’ego du romancier.
L’un des principaux traits de l’addict, c’est d’être excessif, de se sentir tout-puissant et de vouloir le montrer. David Foster Wallace ne fait pas exception à la règle. Il semble être né ainsi.
Mais le romancier a beau faire, il a beau s’échiner, il a beau vouloir frapper fort, et, cela va de soi, vouloir frapper plus fort, ou à tout le moins aussi fort, que ses grands aînés, ceux qu’il admire, il a beau vouloir de toutes ses forces embrasser le monde, il a beau vouloir en dire la totalité, ‒ un gros morceau, le plus gros possible, écrire un roman total, un « roman-monde » (2) ‒, il a beau construire, déconstruire, investiguer, développer, varier les points de vue, les niveaux et les sortes de langage, multiplier les figures de style, les personnages, les digressions, les petits dessins, les notes en bas de page ! utiliser tous les procédés connus, et tenter d’en inventer de nouveaux, trouver une structure inusitée, et pourquoi pas le triangle de Sierpiński (3), ou l’effet du vent dans une balle de tennis, transposé à l’écriture ? Ou, comme Georges Perec, la polygraphie du cavalier ? le romancier a beau… ‒ il ne quitte jamais sa cage, il y siège, jusqu’à sa mort, à tourner autour de son cerveau ; comme un lion derrière les barreaux, ou comme un hamster dans sa roue, vous choisirez…
Faisons au moins ce crédit à David Foster Wallace : dans son cas, il s’agit d’un tour complet, et magistral ! Quelle logorrhée, écrite !
Afin de créer au moins l’illusion de s’en approcher, de cette fameuse totalité, afin de la dire à sa façon, la seule qui vaille naturellement, le romancier Foster Wallace commence donc par accumuler de nombreuses pages : 500 pages suffiraient-elles ? Oh que non, 500 ne sauraient suffire… mais 1000 c’est déjà bien mieux. A partir de 1000, il lui semble qu’il va enfin pouvoir être soulagé de ses souffrances et respirer le parfum des cimes : là où reposent en paix Cervantès, Balzac, Joyce, Musil, Proust…
Il accumule, il noircit les pages, ‒ il noie son lecteur sans le moindre état d’âme. Ce n’est pas une narration maîtrisée, cohérente, qu’il aurait savamment, astucieusement orchestrée, qui demeure donc accessible en dépit de sa complexité. À la manière d’un Georges Perec dans La vie mode d’emploi, par exemple (Voir ici).
Parfois, ivre de son pouvoir, le romancier Foster Wallace va si loin qu’il perd en route bon nombre de ses lecteurs, y compris les plus aguerris, les plus conciliants, les plus indulgents. Qu’importe, il n’en a cure ; il a la conviction, simple conjecture naturellement, qu’il s’en trouvera toujours assez – sauf cas rarissime, je fais partie de ceux-là – pour lire tout, et qui, tant bien que mal, iront jusqu’au bout de ce qui revêt pourtant toutes les apparences d’un pensum, ‒ et finalement qui est un pensum, un très gros pensum !
Le « génie » du lecteur, tout comme celui de l’écrivain, devient alors une longue patience, une lente persévérance. Lisez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins…
Que lui importe, à cet écrivain, que ces lecteurs soient si peu nombreux ; l’essentiel est qu’il en existe, de ces passionnés, de ces indécrottables enthousiastes détecteurs de génies, aptes à déchiffrer n’importe quel pensum, à le mettre en perspective, à en découvrir les pépites enfouies dans le minerai. Et des pépites, il y en a beaucoup dans L’infinie comédie ; je ne vous dirai pas lesquelles ; vous lirez, comme moi. Le florilège qui suit vous en donne un aperçu.
L’éditeur avisé, lui aussi, sait qu’il suffit de ces quelques lecteurs, pour que les autres à leur tour achètent le livre. « Les autres » ne le liront probablement pas, ou du bout des yeux, et en partie seulement. Mais ils l’auront acheté, ils pourront en parler, et, pour les plus roués, ils pourront faire croire qu’ils l’ont lu et qu’ils aiment ! Ils en seront, comme disait Marcel Proust ! à propos de tout autre chose il est vrai.
Il y a donc, vous l’aurez sans doute compris, chef-d’oeuvre et chef-d’oeuvre… Chaque romancier candidat au chef-d’oeuvre censé égaler ou dépasser tous les autres, doit composer avec son ego, vaincre ses démons.
Imaginons un instant, simple conjecture encore, que le romancier réalise soudain que sa créature, monstrueuse, lui échappe… Il pense écrire un roman dont la structure est complexe mais qui lui paraît pour autant nécessaire, parce qu’elle lui plaît, parce qu’il l’a choisie, pour des raisons qu’il ne s’explique pas tout à fait ou qui lui échappent, mais une chose est sûre : ça lui plaît, c’est ce qu’il veut faire…
Et puis, patatras ! Le démon de l’écriture prend ses aises, suit sa pente, tortueuse, tourmentée ; insensiblement, le flot monte à chaque nouvelle page, la logorrhée guette et prend le dessus… L’éditeur, averti, pratique des coupes.
Alors le tendre romancier surdoué addict potache dépressif mégalomane Davis Foster Wallace va soudain devoir recourir à une part d’intox. Bien dosée, plus ou moins détectable, selon que le lecteur est un naïf confiant, un écrivain chevronné, un universitaire aguerri, un journaliste au fait de toutes les ficelles du métier d’auteur et d’écrivain…
Notez le : dans le Don Quichotte de Cervantès, dans A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, dans La vie mode d’emploi, il n’y a pas d’intox. Jamais. Plus récemment, dans Les détectives sauvages ou 2666 de Roberto Bolano, il n’y en a pas non plus. Jamais. Je mets quiconque au défi de trouver, dans ces œuvres, une page, que dis-je, ‒ une seule ligne qui ne serait pas nécessaire.
Je n’en dirais pas autant de L’infinie comédie, de David Foster Wallace.
Si l’intox est voulue, choisie, assumée dès le départ, alors je dis bravo. Et j’observe simplement que le titre Infinite jest ne fait que résumer le propos délibéré de l’auteur : nous autoriser, sans idée préconçue, une belle, une longue (trop longue peut-être ?), mais si drôle, si audacieuse, si surprenante promenade dans un cerveau malade (4)…
Si l’intox vient plus tard, si elle surgit en cours d’écriture, afin de corriger l’effet supposé que produit également la lecture du roman : à savoir que l’auteur nous mène en bateau, que sa barque dérive « au fil de la plume »… et qu’il se trouve que c’est le reflet d’une certaine impuissance à faire mieux, parce qu’il ne maîtrise pas complètement son délire, et donc sa narration, alors le titre, venu après, n’est là que pour tenter de réparer les dégâts, atténuer l’effet désagréable, vaguement nauséeux produit par la lecture du roman…
Mais qu’importe : dans les deux cas, l’alien est sorti, emportant, déchirant tout sur son passage !… Et cela nous donne : Infinite jest (L’infinie comédie…) !
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(1) Voir ici mes premières impressions de lecteur, concernant L’infinie comédie.
(2) Voir ici à propos de l’essai de Thiphaine Samoyault, intitulé Excès du roman :
« l’effort de la littérature pour dire et/ ou représenter le monde non dans sa totalité mais comme une totalité. »
(3) Le triangle de Sierpiński est une fractale (Voir ici). La structure de L’infinie comédie serait, plus ou moins, calquée sur cette fractale ?
(4) Le titre provisoire que David Foster Wallace avait choisi pour son livre en cours d’écriture : A Failed Entertainment (Une plaisanterie ratée), va dans le sens de cette interprétation.
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Florilège
« Si, dans un élan de charité ou sous la contrainte du désespoir, il vous arrive de passer quelque temps dans les parages d’un établissement de désintoxication subventionné par l’Etat, tel qu’Ennet House à Enfield, Massachusetts, vous apprendrez de nombreux faits exotiques. Vous découvrirez qu’une fois que le Département des Services sociaux du Massachuchets a retiré des enfants à leur mère pour une période donnée, il peut toujours les lui reprendre, le D.S.S., ab libitum, sur la foi d’un simple formulaire estampillé. Autrement dit, une fois cataloguée comme Inadaptée ‒ peu importe pour quoi ou quand, peu importent les changements survenus entre-temps ‒, une mère ne peut rien y faire.
Ou encore, par exemple, que les gens dépendants d’une Substance qui cessent brusquement d’ingérer la Substance souffrent généralement d’une affreuse acné pustuleuse, souvent pendant des mois, le temps que la Substance accumulée quitte le corps. Le Personnel vous expliquera que c’est parce que la peau est le principal organe excréteur du corps. Ou que le cœur des alcooliques chroniques ‒ pour des raisons qu’aucun docteur en médecine n’a pu élucider ‒ est deux fois plus gros qu’un cœur humain ordinaire et ne retrouve jamais une taille normale. Que certaines personnes conservent une photo de leur thérapeute dans leur portefeuille. Que (ce qui est à la fois un soulagement et une sorte de déception) les pénis noirs ont la même dimension que les pénis blancs, en moyenne. Que les Etats-Uniens mâles ne sont pas tous circoncis. », page 280
« Que les femmes sont capables de la même vulgarité que les hommes en termes sexuels et scatologiques. », page 281
« Qu’un paradoxe rarement évoqué de l’addiction à la Substance est : une fois que vous êtes suffisamment asservi à une Substance pour être obligé de cesser d’en prendre afin de sauver votre vie, la Subtance asservissante est devenue si importante pour vous que le sevrage vous fait perdre l’esprit. », page 281
« Que certaines personnes ne vous aiment pas, quoi que vous fassiez. Que la plupart des citoyens adultes non toxicomanes ont déjà compris et accepté ce fait depuis longtemps. », page 281
« Qu’une prostituée chevronnée peut (paraît-il) mettre un préservatif sur l’Unité * d’un client si habilement que celui-ci ne s’en rend compte que lorsqu’il est trop tard, si l’on peut dire. », page 282
« Que plus de 50% des personnes dépendantes d’une Substance souffrent également d’une autre pathologie psychiatrique reconnue », page 284
« Que la plupart des accros à une Substance sont aussi accrocs à la pensée, c’est-à-dire qu’ils ont une relation compulsive et malsaine avec leur propre pensée. », page 284
« ce qu’elle prenait pour la sortie de la cage n’en était que les barreaux. Les mailles de l’après-midi. L’entrée dit SORTIE. Mais il n’y a pas de sortie. L’ultime fusion annulaire : la vue de la cage est une cage en soi. (…) C’est la cage qui est entrée en elle, d’une certaine façon. L’ingéniosité de la chose la dépasse. Le Plaisir a depuis longtemps été remplacé par le Trop. Elle ne peut plus se mentir à elle-même, ni sur sa capacité à arrêter ni sur son plaisir à continuer. Plus rien ne délimite le trou, plus rien ne le remplit. Le trou est sans limites. », page 310
« Les nouveaux venus qui ont de l’instruction sont les pires, d’après Gene M. Ils assimilent tout leur être à leur tête, et c’est dans leur tête que la Maladie installe son Q.G. », page 379
« Son parrain au Groupe Drapeau Blanc dit que certaines personnes n’arrivent jamais à faire le deuil de la Substance qu’ils avaient prise pour leur meilleure amie et meilleure amante », page 380
« Là où les AA de Boston ont raison, même si c’est banal, c’est que les baisers du destin autant que les coups bas illustrent l’impuissance de l’individu face aux événements vraiment significatifs de sa vie : quand quelque chose d’important vous arrive, c’est rarement à votre initiative. Le destin n’a pas de bipeur ; le destin se contente de vous faire Psst dans une ruelle, planqué dans un imperméable, et généralement vous ne l’entendez pas parce que vous êtes trop préoccupé par autre chose, une de vos importantes initiatives personnelles », page 406
« Quand j’étais soûl, je voulais être sobre et, quand j’étais sobre, je voulais me soûler. J’ai vécu comme ça pendant des années et je peux vous dire que c’est pas une vie, putain, c’est la mort dans la vie », page 481
« Tu vois maintenant qu’Elle est ton ennemie, ton pire cauchemar, qu’Elle t’a incontestablement enfoncé dans le pétrin et que pourtant tu ne peux toujours pas t’arrêter. T’adonner à la substance, c’est comme participer à une messe noire mais tu ne peux pas t’arrêter, même si la Substance ne te procure plus d’ivresse. Tu es, comme ils disent, Fini. Tu ne peux plus te soûler, tu ne peux plus t’abstenir ; tu ne peux pas être plein, tu ne peux pas être vide. Tu es derrière des barreaux ; tu es dans une cage et, où que tu regardes, tu ne vois que des barreaux. Tu es dans ce genre de merde infernale qui, soit l’un, soit l’autre, achève les vies ou les bousille. Tu es à la croisée des chemins, tu as touché ton Fond, disent les AA de Boston, mais le terme est trompeur car tout le monde s’accorde pour dire que c’est plutôt un sommet sans support : tu es au bord du vide et tu te penches en avant… », page 483
« personne n’entre ici en pleine forme pour garnir son agenda mondain », page 485
« Les crocodiles sobres depuis des décennies vivent dans une galaxie intérieure totalement différente. L’un de ces anciens explique qu’il possède désormais en lui, un château spirituel unique dans lequel il vit », page 508
« Le truc, c’est que la vérité doit parler, ici et maintenant. Il ne s’agit pas de faire un numéro pour plaire à l’auditoire, ici, il s’agit de dire la vérité, sans biaiser, sans se barricader. Et sans la moindre ironie », page 512
« si vous demandez à un gars sobre depuis un bail combien de temps vous allez devoir traîner vos guêtres dans ces foutues réunions, il vous répondra, avec ce sourire exaspérant : jusqu’à ce que tu commences à avoir envie d’y venir. Il y a, par certains côtés, un aspect secte ou lavage de cerveau dans le Programme des AA (le terme Programme en soi est déjà inquiétant pour ceux qui craignent le lavage de cerveau) et Gately ne cherche pas à éluder la question avec ses nouveaux résidents. Mais il calme le jeu et leur dit que, à la fin de sa carrière de drogué et de voleur, il a estimé que son cerveau avait besoin d’un bon nettoyage et essorage. Il dit qu’il a carrément tendu son cerveau à Pat Montesian et Gene M. pour qu’ils le lavent. Mais il ajoute qu’aujourd’hui il considère le Programme davantage comme une déprogrammation que comme un lavage, compte tenu du travail psychique que l’Araignée de la Maladie a effectué auparavant », page 513
« la marijuana démolit lentement mais complètement, tel était le consensus », page 692
« … l’infini supplice du sevrage du delta-9-tétrahydrocannabinol : c.-à-d. L’herbe : perte d’appétit, manie, insomnie, fatigue chronique, cauchemars, impuissance, interruption des règles et de la lactation, arythmie circadienne, soudaines transpirations de type sauna, confusion mentale, tremblements moteurs, production excessive de salive particulièrement déplaisante (certains nouveaux abstinents portaient encore des bavoirs), anxiété généralisée, appréhension et terreur, impression honteuse que ni les toubibs ni les anciens toxicos eux-mêmes ne manifestaient la moindre empathie ou compassion pour le pauvre toxicomane « dévasté » par ce qui était censé être la plus banale et la plus inoffensive Substance de la nature », page 692
« Puis, autre point commun avec les AA, tout le monde se mit à vociférer Continue à Venir parce que Ça fonctionne », page 693
« Tu te figures que ça me plaît d’embrasser les gens ? Tu crois qu’il y en a un seul ici qui aime ces conneries ? On fait ce qu’ils nous disent, enfoiré. Ils nous disent Se Droguer Non S’embrasser Oui. On capitule ici, putain de merde. », page 695
« Te mettre à genoux le matin pour Demander de l’Aide ne signifie pas t’agenouiller devant ce malade pendant qu’il ouvre sa braguette pour que tu Demandes de l’Aide dans sa braguette. J’espère que c’est pas un résident qui t’a dit ça. C’est ce genre de choses qui explique pourquoi on recommande des parrains du même sexe uniquement. Parce qu’il y a des malades dans les chambres, tu comprends ? Si un AA demande à une nouvelle venue dans le Programme de considérer son Unité * comme une Puissance Supérieure pour elle, faut que je m’occupe sérieusement de lui. Tu vois ce que je veux dire ? », page 773
* organe sexuel masculin, vocable ayant cours à Boston.
« Parce qu’il a besoin d’elles, besoin d’elle, parce qu’il a besoin d’elle il la craint et la hait un peu, les hait toutes, d’une haine déguisée en mépris qu’il déguise en tendre attention quand il défait ses boutons, touche son corsage comme si le vêtement était une partie d’elle, et de lui », page 775
« Orin ne sait que donner du plaisir, non en recevoir, et il en résulte qu’un nombre négligeable d’entre elles pensent qu’il est un amant merveilleux, pour ne pas dire l’amant idéal ; et cela alimente le mépris. Mais il ne le montre pas pour ne pas risquer d’amoindrir le plaisir du Sujet », page 816
« Ça peut paraître idiot mais je regrette les pubs, dont le son était plus fort que les programmes normaux. Je regrette les formules telles que « Commandez ce soir avant minuit » et « Economisez jusqu’à cinquante pour cent et plus ». Je regrette les directs en public. Je regrette les hymnes en fin de soirée, les images de drapeaux et d’avions de chasse, les chefs indiens burinés en pleurs devant des ordures. Je regrette « Sermonette » et « Evensong » et la mire et les annonces de longueur d’ondes pour capter une chaîne », page 820
« Je n’attends ni aide ni conseil. Je sais déjà ce qu’il faut que je fasse. J’en ai accepté l’injonction. Je crois que je n’ai pas le choix. Mais je ne peux pas. Je n’ai pas été capable de le faire.
‒ Mais vous en avez l’intention.
‒ Pas encore l’intention. Pas encore. J’insiste sur le pas encore. », page 1305
« Gately croit que sadisme vient de sad, triste », page 1328
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