En soutien aux grévistes du 7 mars 2023 (Extrait d’un roman en cours d’écriture)

Je m’appelle Jean Valjean. Oui, Jean Valjean, comme le Jean Valjean des Misérables, le forçat du roman de Victor Hugo. Mais ce n’est qu’une coïncidence, elle fera sourire certains. J’ai l’habitude. Ça me laisse froid.

À mon travail, on m’a affublé d’un sobriquet : JeanJean Le Grand Méchant Mou. Dans mon dos naturellement. Je n’étais pas censé le savoir.

Dans l’entreprise, tout se sait. Beaucoup savent peu, mais quelques-uns savent tout. En général, plus vous grimpez dans la hiérarchie, plus ils savent. Ils savent tout sur tout, et ils savent tout sur vous, ou presque.

Si vous êtes destiné à occuper un poste de cadre, avant même que vous n’arriviez, ils font des recherches pour savoir qui vous êtes. Ils analysent votre écriture, vous font passer des tests ensuite.

Plus tard ils vous inviteront à des séminaires de cohésion. Quelque part à la campagne, à la mer, ou à la montagne. Vous aurez une belle chambre et le soir de votre arrivée, vous aurez un bon repas. Vous boirez un bon digestif, dans un bon fauteuil, dans le salon, avec vos collègues. Vous passerez une bonne nuit, au calme, dans un bon lit confortable. La salle de bains sera mieux agencée que la vôtre, elle sera plus clean, plus fonctionnelle.

Leur délire ne commencera que le lendemain matin.

Vous ne pouvez pas refuser de participer, sous peine de. Sous peine de quoi au juste ? Personne ne vous dit que si vous refusez, vous serez pénalisé. Et d’ailleurs vous ne le serez pas. La ficelle serait trop grosse. Soyez sûr cependant que dans un dossier tenu secret, le vôtre, ils ajouteront une petite notation : « A refusé de participer au séminaire de cohésion du », suivi de la date, suivi de l’endroit. Il se peut qu’ils n’ajoutent rien à votre dossier tenu secret. Mais vous, méfiant sans être paranoïaque, vous croirez qu’ils ont ajouté quelque chose. Eux savent, mais vous, vous êtes dans l’ignorance, et vous n’avez aucun moyen de savoir ce qu’ils savent, ce qu’ils font, ou pas.

C’est imparable, vous ne pouvez que dire oui. En route donc pour le séminaire de cohésion. Mais ce n’est pas de ça dont je veux vous parler.

Mickey Macdonald vient d’être nommé directeur général de l’entreprise pour laquelle je travaille depuis une dizaine d’années. Pour ma part, je dirige l’un de ses départements. Ce département représente plus du tiers du chiffre d’affaires de l’entreprise. Je suis néanmoins le subordonné de Mickey.

Lorsque, ce matin-là, Mickey est entré dans mon bureau pour la première fois, tandis que je l’invitais à prendre un siège, nos regards se sont croisés brièvement. J’ai aussitôt compris que nous ne réussirions jamais à communiquer et encore moins à nous entendre. Sur aucun sujet.

Mickey Macdonald avait le regard vide de ces hommes qui vous regardent sans vous voir, même lorsqu’ils vous fixent droit dans les yeux. Certains hommes politiques ont ce regard-là.

Nous avons commencé à nous entretenir, Mickey et moi, à propos de notre future collaboration. Il formait des vœux, disait-il, pour qu’elle soit fructueuse. Moi je savais déjà qu’elle ne le serait pas.

Deux ans plus tôt, l’entreprise avait été rachetée par un grand groupe. C’était une PME florissante, avant son rachat. Le projet du grand groupe était qu’elle le soit plus encore, après son rachat. Il était fort probable également que le projet global du grand groupe incluait, à moyen terme, la revente de l’entreprise qu’il venait de racheter, au prix fort, dès lors que sa valeur aurait encore augmentée. Grâce à Mickey Macdonald.

La mission du futur directeur général (il n’y en avait jamais eu jusqu’à présent), pouvait se décomposer comme suit : vendre plus pour gagner plus ; vendre plus cher ; vendre autre chose de plus pour gagner plus ; accroître la clientèle afin de vendre plus pour gagner plus.

Gagner plus obligeait à dépenser moins. Il convenait donc de produire la même chose, autant et aussi bien, mais avec moins : moins d’argent, moins de personnel, ce qui impliquait de mutualiser et réduire les coûts, et de licencier.

La mission de Mickey était hasardeuse, c’était un défi. Les produits que l’entreprise vendait ‒ j’allais dire « que nous vendions » ‒ étaient des produits à haute valeur ajoutée. C’était du haut de gamme. Déjà, avant le rachat, ces produits étaient vendus chers, à une clientèle captive qui avait les moyens de les payer chers (ce fameux prix psychologique), mais dont le périmètre, hélas, était inextensible. Quant à vendre autre chose à cette clientèle, dans le même domaine d’activité, deux ou trois entreprises concurrentes le faisaient déjà depuis longtemps, et le faisaient bien.

Je pense que Mickey Macdonald savait tout cela. Dans l’entreprise où il avait travaillé jusqu’alors, il occupait le poste de directeur commercial. Décrocher un poste de directeur général représentait pour lui une promotion enviable. C’était l’occasion de pénétrer dans le saint des saints, comme un petit Dieu.

Changer de statut, professionnel, et donc social, augmenter substantiellement son salaire, consolider ainsi la bonne, voire la haute opinion que tout jeune cadre sorti d’HEC a de lui-même, Mickey en avait le désir ; il en rêvait, je présume.

Mickey s’était hâté de postuler, comme quelques autres diplômés des grandes écoles ou de l’université, qui possédait un profil de carrière comparable ; une forme d’élite si vous voulez.

Son nom avait été retenu sur la liste des candidatures sérieuses, qu’il convenait d’examiner.

Il avait passé ensuite le cap des premières sélections, son nom figurait maintenant sur la short list. Il y avait trois noms en tout. Enfin, au terme du processus de sélection, où chacun avait pu défendre sa cause et faire valoir ses recommandations, c’est lui qui avait été choisi. Mickey cochait pratiquement toutes les cases. C’était sans nul doute le meilleur candidat. Ceux qui l’avaient choisi en étaient intimement convaincus, et lui aussi.

Mickey fut nommé directeur général. Il aurait bien le temps d’échouer dans sa mission hasardeuse. De toute façon, à supposer qu’il échouât, il n’échouerait jamais complètement. Peut-être même qu’il pourrait réussir un petit quelque chose. Habilement présenté à coups de diaporamas, de phrases-chocs, de chiffres-clés et de powerpoint, à défaut d’être notable, ce petit quelque chose paraîtrait tout de même significatif.

Il pourrait ainsi réussir à augmenter un peu les résultats de l’entreprise. Dans ce but, il pourrait, en effet, mutualiser les coûts, et donc déléguer au groupe certaines tâches effectuées jusqu’à présent par un personnel dédié dans l’entreprise. Ce personnel dédié ferait alors l’objet d’un licenciement collectif. À quoi il lui serait toujours possible d’ajouter quelques licenciements individuels bien choisis.

Dont le mien.

Ces résultats, il était sûr en tout cas de réussir à les préserver. Après tout, ce n’était pas si mal. Ce serait suffisant pour conserver son poste, et son nouveau statut. Partout où il irait, accompagné ou précédé de sa nouvelle aura, il pourrait se donner une importance, qu’il saurait tempérer d’une humilité de bon aloi, afin de ne froisser personne. Il pourrait caresser son ego dans le sens du poil, caresser celui des autres dans le sens de son intérêt.

Et dès lors qu’il allait dorénavant travailler dans un grand groupe, il pourrait y cultiver un réseau, évoluer au sein de ce groupe, changer de poste au besoin, qui sait pour un plus prestigieux encore. Une bonne vingtaine de sociétés composaient ce groupe, il se voyait bien présider l’une d’elles dans un avenir qu’il aurait aimé le plus proche possible.

Terminée l’époque où il lui fallait se serrer la ceinture ; les repas d’affaires ne sont pas faits pour les chiens, il n’aurait plus le temps de fréquenter la salle de sport, il allait peut-être falloir desserrer la ceinture d’un cran ou deux, et à moyen terme changer la taille de ses pantalons.

Depuis l’aube de l’humanité, depuis que le premier homme a désiré dominer le deuxième, les hommes qui sont placés en haut de l’échelle se serrent les coudes, tacitement. Si l’occasion s’en présentait, nous ignorons encore ce que ferait la première femme, ‒ que l’on se rassure, cela n’arrivera pas, nous, les hommes, nous veillons au grain. Aurait-on quelque chose d’autre à espérer, qui viendrait d’elle ? C’est elle, la femme, l’avenir de l’homme. « L’avenir de l’homme est la femme », a dit le poète. Le poète est placé tout en bas, en compagnie des femmes, il ne sait pas de quoi il parle.

Au fil de notre conversation, ce pressentiment ‒ que nous ne pourrions jamais nous entendre ‒ s’est confirmé.

J’étais de la vieille école, dirons-nous. Réputée plus consciencieuse, plus humaine. Je me demande d’ailleurs si elle a existé autre part que dans notre imagination, cette vieille école.

Pour être clair, sur une échelle de un à dix, ou « un » représenterait une totale ingénuité, et « dix » une parfaite duplicité, j’étais probablement à quatre. À presque quarante ans, j’étais un naïf. J’étais célibataire, et à force de me remplir, j’étais devenu obèse. Me remplir était devenu mon occupation favorite durant mes temps libres. J’étais intelligent, mais paresseux, vélléitaire et couard. Face à Mickey Macdonald, un jeune hyperactif, beau, fringant, qui connaissait son marketing sur le bout des doigts, je n’avais aucune chance de survie.

J’estimais qu’un bon travail, fait avec cœur et intelligence, avec soin, finit toujours par être reconnu et apprécié par l’entreprise pour laquelle il est fait. Et cet axiome vaut pour le cadre dirigeant, que j’étais, comme pour l’ouvrier ou l’employé.

J’estimais aussi que toute personne qui travaille dans une entreprise, a droit au respect et à la considération. Ce qui vaut pour tous, sans oublier la femme de ménage, le coursier ou le PDG.

L’équipe d’employés et de cadres, que j’animais plus que je ne la dirigeais, appréciait je crois ma naïveté, ma bonhommie. Ils appréciaient en tout cas leurs effets. Ils m’aimaient bien, ou sinon ils restaient neutres. Ils se rendirent compte très vite qu’ils n’avaient rien à craindre de moi. Licencier m’avait toujours répugné.

Je les encourageais, je les écoutais me parler de leurs difficultés dans leurs tâches. Je m’efforçais de leur proposer de bonnes solutions lorsque eux-mêmes ne savaient pas quoi faire ou qu’ils hésitaient sur la conduite à adopter.

Je les écoutais aussi lorsqu’ils avaient envie de se plaindre de choses qui me semblaient à moi dérisoires : il faisait trop chaud ou pas assez, on manquait d’air, il convenait que telle fenêtre restât ouverte toute la journée et pas telle autre, il y avait des courants d’air.

Je respectais leurs petites manies. Celle-ci déambulait dans les couloirs en faisant claquer ses talons, l’air préoccupé, elle brandissait un document comme un oriflamme. C’était une contenance qu’elle se donnait, un prétexte qu’elle s’inventait pour aller bavarder avec une autre, quelques portes plus loin. Je n’étais pas dupe, et elle savait que je ne l’étais pas ; mais elle savait aussi que je me garderais de lui faire la plus petite observation : que je la laisserais respirer.

À celui-là, comme à tous les autres, on venait d’apporter quelques jours plus tôt une drôle de machine… une sorte de cube aux angles arrondis, dotée d’un écran convexe, gris comme un ciel d’hiver. La mort dans l’âme, il avait consenti à la déballer, à l’extraire de son carton, et la voilà qui trônait maintenant en majesté sur son bureau.

Une machine grâce à laquelle « vous verrez monsieur Dubongrain, vous allez gagner un temps précieux et considérable ! ».

Mais monsieur Dubongrain ne se décidait pas à l’allumer, cet écran. À peine s’il le regardait. Tellement elle lui faisait peur « la machine à gagner un temps précieux et considérable », tellement il était convaincu qu’il ne saurait jamais s’en servir… « Je ne la sens pas, monsieur Valjean, c’est étrange je le reconnais, mais je ne la sens pas cette machine ! », avoua-t-il, en haussant les épaules et les bras, ouvrant les mains avec, dans un geste d’impuissance et de profond désarroi. Comme s’il lui aurait fallu quémander mon indulgence, implorer ma pitié.

Cette peur ne regardait que lui, je l’ai respectée. Tout le temps que j’ai continué d’être là, parmi eux, la machine à gagner un temps considérable de monsieur Dubongrain est demeurée inactive, sur son bureau ; on aurait dit d’un sphinx privé de son énigme.

Quelques semaines après l’arrivée de son micro-ordinateur, monsieur Dubongrain s’est risqué à observer du coin de l’œil comment faisaient les autres, sur quels boutons il convenait d’appuyer, pour que tout s’éclaire. Par la suite, en arrivant à son bureau, chaque matin monsieur Dubongrain allumait, et le soir en partant, il éteignait. N’ayant touché à rien d’autre.

Notre allumeur de machine à gagner un temps considérable n’a pas eu besoin de se suicider pour ne pas déchoir. Nous avons tous fait comme si de rien n’était.

En ce temps déjà loin, ‒ l’open space n’était pas en vogue. Chaque cadre avait droit à un petit chez soi. Quant aux employés, ils étaient regroupés par deux, trois personnes au maximum, dans un grand bureau. Chacun, pardonnez du peu, avait son propre espace à lui, délimité par une cloison. Ils ne se voyaient pas entre eux, ils ne pouvaient ni épier ni importuner leur voisin de cloison dans ses tâches. La confiance régnait, et la paix aussi.

Je n’aurais jamais pu travailler dans un open space.

Dans l’open space, chaque poste de travail équivaut à un mirador. Tu te surveilles car l’autre peut te surveiller et tu peux le surveiller aussi. Moyennant quoi, tout le monde se surveille, ou personne ne surveille personne, c’est selon. Chacun fait son travail, probablement sans goût véritable, et sans passion. Chacun fait semblant d’y être à fond, mais n’y est pas, ou très peu.

Je suis émerveillé par tous ces jeunes qui s’y font très bien, apparemment, à l’open space. Pour la simple raison qu’ils n’ont pas connu autre chose. Je pense que j’aurais fini, moi, par m’acheter un fusil de chasse. Faute de meilleur exutoire, j’aurais procédé sur-le-champ à une tuerie de masse si j’avais dû travailler dans un open space. JeanJean tu exagères. Allez, tu n’aurais même pas eu le courage d’acheter un fusil de pacotille, et d’arriver avec, l’air menaçant, dans l’open space…

Comprenez bien, pour tout dire, que l’Amérique ce n’est pas l’Amérique. Ou alors c’est l’Amérique de Franz Kafka et de Jean Baudrillard. Lisez L’Amérique, de Franz Kafka, et L’Amérique, de Jean Baudrillard, et vous comprendrez de quoi il retourne. Ensuite vous vous sentirez peut-être acculé à choisir, entre la colère et le déni, la tristesse et la résignation. Ou la collaboration.

J’étais de la vieille école, mais Mickey Macdonald, lui, n’en était pas, mais alors pas du tout.

Il n’y a pas qu’en mathématiques qu’il existe un ordre de priorité des opérations. La principale différence qui distingue la vieille école de ce que j’appellerais, là aussi par commodité de langage, la nouvelle, concerne en effet l’ordre des priorités.

C’est ainsi que Mickey ne se demandait jamais comment il convenait de faire son travail ; jamais non plus il ne s’inquiétait de savoir s’il allait pouvoir accomplir une tâche donnée, encore moins s’il avait les aptitudes requises pour le faire ; par définition il les avait toutes. Non, pas du tout. Mickey Macdonald se demandait seulement comment il devrait faire son travail, ‒ de telle sorte que l’initiative qu’il serait amené à prendre puisse servir sa carrière.

Dans la vision de Mickey, strictement individualiste, la seule qui soit valide, le cœur du métier ce n’était pas la tâche à accomplir, – c’était la carrière à suivre.

Une pente à suivre en montant qui vous mènera peut-être au saint des saints, un espace réservé à cette forme d’élite que j’évoquais tout à l’heure. Tous ceux qui s’y retrouvent ont droit à un bureau clos. Et, encore une fois, d’où qu’ils viennent, ils se serrent les coudes.

Les plus vulgaires d’entre eux, les plus lamentables, qui sont parfois les plus lucides, vous diront qu’ils se retrouvent là, dans cet espace très fermé, – parce que, eux, ils ont eu des couilles. Que leur place au soleil dans le saint des saints, ils l’ont conquise de haute lutte. Et c’est vrai. À quoi bon gémir, « le seul cri qui vaille c’est le cri du triomphateur », écrivait Italo Svevo, dans une langue il est vrai plus châtiée…

L’entrevue entre lui et moi a pris fin. On a bien dû se serrer la main.

Mickey Macdonald est sorti de mon bureau. Moi, JeanJean le Grand Méchant Mou, je sentais que quelque chose n’allait pas, le cœur n’y était déjà plus. Et je pressentais que bientôt le compte n’y serait pas non plus…

L’avenir l’a démontré : nous ne nous sommes jamais accordés. Sur aucun sujet.

Quelques années après mon départ de cette entreprise, il m’est arrivé de raconter, dans des cercles restreints familiaux ou d’amis, cette première entrevue. Pour moi, tout ça n’avait plus qu’une valeur d’anecdote.

Je n’ai jamais eu envie de me donner le beau rôle, ni ressenti le besoin de dramatiser. Néanmoins, à chaque fois que j’ai raconté cette histoire, j’ai prétendu avoir pensé, dès ce matin-là, que cette incapacité à communiquer et à nous entendre, qui, si je puis dire, nous réunissait Mickey et moi, ‒ n’aurait qu’une issue : l’un de nous deux allait devoir quitter l’Entreprise. Nous allions être « à couteaux tirés » ; ce serait « lui ou moi »…

Celui-là serait licencié, ou bien son départ serait négocié et il ferait l’objet d’une transaction. Ou lassé, déprimé, ou brisé, il finirait par démissionner.

Celui-là, ce ne pouvait être que moi, le méchant gros petit JeanJean.

Oui, dans l’idéal, il finirait par démissionner… Au besoin, on l’y pousserait. On allait l’humilier, et il serait assez bête pour se sentir humilié, c’est humain. Alors, lassé, déprimé, ou brisé, JeanJean Le Grand Méchant Mou finirait par démissionner.

C’était patent, c’est épatant.

Biais rétrospectif.

En réalité, cette idée que, tôt ou tard, ça allait être « lui ou moi », n’a germée dans mon esprit que deux ans après notre première entrevue. Entetemps, l’hostilité entre JeanJean Le Grand Méchant Mou et Mickey Macdonald n’a fait que croître. Non seulement nous n’étions jamais d’accord sur rien, mais nous n’essayions même plus. A aucun prix, sur aucun sujet.

Entre le beau Mickey Macdonald et le gros petit JeanJean, cela vous paraîtra peut-être étrange ou étonnant, mais le fait est qu’il n’y eut jamais le moindre soupçon de haine ; juste une sourde hostilité. Pour l’essentiel nous étions indifférents l’un à l’autre, voilà tout.

Cela aussi, je l’ai réalisé beaucoup plus tard, des années après avoir quitté l’Entreprise. À l’époque, cela ne m’avait même pas effleuré. Bien entendu, je ne parle que pour moi. J’ignore ce que Mickey a pu ressentir à mon égard. Mais je ne crois pas qu’il me haïssait, sincèrement. Je ne lui étais pas antipathique, et il ne m’était pas antipathique. Tout bonnement, la question de la sympathie ou de l’antipathie ne se posait pas.

La bonne marche d’une entreprise ne prend pas en compte la question de la sympathie ou de l’antipathie entre ses membres. Dans l’Entreprise, l’amour n’existe pas. L’amour ‒ quel gros mot ‒ n’a pas sa place dans l’Entreprise. La recherche du profit n’a aucun lien avec l’amour, peut-être même qu’elle s’oppose à la manifestation de quelque sentiment ou émotion que ce soit. Y compris le respect de l’autre, que j’ai déjà évoqué, car le respect de l’autre, c’est la forme élémentaire de l’amour. C’est le pied que tu glisses en travers de la porte, par où tout peut advenir…

Celui ou celle qui se met au service d’une entreprise caractérisée par la recherche du profit, autant dire presque toutes, est tenu de ne rien éprouver. Il est souhaitable aussi qu’il montre qu’il n’éprouve rien, en toute circonstance. Certaines personnes gardent malgré elle dans la vie courante le masque qu’elles affichent au bureau. Où qu’elles se trouvent, elles s’efforcent de ne rien montrer de ce qu’elles éprouvent ; c’est devenu une habitude. Parfois même, elles ne quittent plus le masque, cette seconde peau devient la leur.

La peur de l’autre, la méfiance, l’indifférence, l’hostilité sourde, quand ce n’est pas l’envie d’en découdre, sont monnaie courante.

Vous aurez beau vous gratter la tête jusqu’au sang, vous devrez chercher longtemps pour trouver ne serait-ce qu’une bribe de sens, à un grand nombre d’entreprises d’aujourd’hui ; et quelquefois, quitte à le perdre tout entier votre sang, vous n’en trouverez aucun ! 

À quoi bon produire et commercialiser un énième savon qui vous abîmera la peau ? Je pourrais multiplier les exemples par dizaines, par centaines…

Dans l’Entreprise idéale, la « personne » au service de l’Entreprise, ce serait un être artificiel, un robot ; un robot pensant, dans le meilleur des cas.

L’entreprise cherche à transformer l’être humain en robot.

Qu’il y ait encore comme ça partout des êtres humains, à s’agiter à tous les étages, à grouiller comme des rats, des fourmis, des abeilles ou des mouches, d’un bout à l’autre de la planète dans des open space, mais quelle abomination ! Vous croyez, vous, qu’on ne pourra pas les transformer en robots ? What a fuck !

Il existe quatre types de management : la management directif, le management persuasif, le management participatif, le management délégatif.

Aucune de ces techniques ne fonctionne.

Rien n’y fait et rien n’y fera jamais.

Nous sommes tous nés, autant que nous sommes, pour être libres, pour vivre libres.

C’est ancré dans notre cœur et dans notre esprit.

Comme le nuage est dans le ciel.

Comme le poisson est dans l’océan.

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