« Elle ouvrit la chambre à coucher, dont elle poussa violemment la porte, en criant à pleine voix dans l’obscurité : « Venez donc voir, la bête est crevée ; elle est par terre, tout ce qu’il y a de crevée ! », page 114
J’ai lu le texte de La Métamorphose une première fois vers l’âge de dix-sept, dix-huit ans. Et, très vite, au bout d’une vingtaine, une trentaine de pages… il m’est tombé des mains !
À qui la faute ? Rétrospectivement, je suis tenté d’incriminer la traduction française d’Alexandre Vialatte. Ce devait être la seule disponible, vers la fin des années soixante. Mais je me trompe peut-être, et pour être honnête, je ne me rappelle plus qui était le traducteur… Le texte, en français, était rempli d’aspérités qui, pour moi, le rendaient illisible. Et par surcroît, alors que je m’efforçais d’avancer dans ma lecture, j’avais l’impression de n’entendre aucune voix me parler, ni la voix de l’auteur ni celle du traducteur…
Et pourtant, j’étais si désireux d’en être, – de ceux qui avaient lu Kafka !
À l’époque, celui ou celle qui avait lu La Métamorphose pouvait prétendre, en trichant beaucoup, avoir lu tout Kafka, ou presque – c’était amplement suffisant ! En 1970, Cavanna publiait en effet : « Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu, mais j’en ai entendu causer », c’est vous dire !
Ayant lu La Métamorphose, j’aurais pu prétendre entrer alors dans le groupe de « ceux qui avaient lu Kafka », c’est-à-dire une forme d’ « élite intellectuelle lycéenne » qui n’a jamais existé ailleurs que dans mon esprit !
Transportons-nous en arrière, dans notre période ado rebelle, plus ou moins. Nul besoin, mon cher Marc Zuckerberg, d’acheter pour autant des lunettes spéciales, moches, trop grosses, qui coûtent, et qui vont vous donner mal à la tête. Il suffit de se rappeler les bons, les tendres et lointains souvenirs, et de méditer, ou de rêver peut-être…
Au cœur de cette « élite intellectuelle lycéenne » imaginaire, – vous trouvez la section A4.
La section A4 désignait une filière d’enseignement général consacrée principalement à l’étude de la langue française et de la littérature française.
En réalité, les classes de terminales qui relevaient de cette section ne comprenaient chacune qu’un tout petit noyau de véritables littéraires ; des purs et durs, dont je faisais partie naturellement. Car, pour l’essentiel en effet, elles étaient composées de tous ceux et de toutes celles, qui, nul(le)s en maths (comme je l’étais), ou alors bons en pas grand-chose (ce que finalement j’étais aussi ‒ j’étais « bon en français » seulement !) avaient été casés là, en A4, par défaut ! Il n’existait hélas aucune autre filière susceptible de les accueillir, pour les mener jusqu’au bac…
Bref, je n’ai lu ‒ pour de bon, pour de vrai ‒, La Métamorphose de Kafka que ces jours derniers.
Et c’est bouleversant.
Je l’ai lu dans une excellente traduction de Claude David, que je vous recommande fortement. La Préface, de Claude David également, est très éclairante quant au sens profond, et caché, de ce texte, que l’on a pu qualifier de « court roman » ou de « longue nouvelle », ce qui, eu égard à sa portée réelle, est d’ailleurs parfaitement indifférent.
Le livre est édité en folio classique.
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